Politique / France

La politique française dans le cercle vicieux de l'hystérie et du fatalisme

Entre éruptions polémiques sur des sujets d'une importance inégale et manque de débat sur des questions de fond, le débat public prend un tour aussi troublant qu’étrange.

La manifestation «Jour de colère», le 26 janvier 2014 à Paris. REUTERS/Philippe Wojazer.
La manifestation «Jour de colère», le 26 janvier 2014 à Paris. REUTERS/Philippe Wojazer.

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Le débat public français prend décidément un tour aussi troublant qu’étrange. Les polémiques s’enchaînent à l’infini sur des sujets d'importance inégale —de la «quenelle» d’un saltimbanque sans scrupules à une obscure «théorie du genre» en passant par le serpent de mer de la PMA pour les couples de lesbiennes— dont on admettra qu’ils n’entrent pas dans les préoccupations premières de la population, contrairement aux questions sociales ou économiques. Elles n’en provoquent pas moins du bruit médiatique et de la fureur politique, pour le plus grand profit des extrêmes de tous poils et des sectaires de toutes espèces.

Simultanément, pourtant, le consensus de fond progresse dans le «cercle de la raison» des partis de gouvernement. La conversion de la gauche au pouvoir à la «politique de l’offre» et la priorité officiellement reconnue à une quête désespérée de «compétitivité» rapprochent considérablement le PS et l’UMP, une orientation explicitement condamnée par le candidat socialiste pendant la campagne présidentielle. Cette confusion ne peut évidemment être publiquement reconnue par ces deux formations devenues bien plus rivales dans la conquête de l’Etat qu’opposées dans leurs visées politiques.

Les deux phénomènes se confortent l’un et l’autre. Le conformisme idéologique de l’espace politique institutionnel entretient et provoque, par un effet de compensation, l’éruption régulière de polémiques plus ou moins hystériques. La confusion des uns alimente le sectarisme des autres.

Une société écartelée

L’écho rencontré par les débats les plus houleux de la période ne saurait pour autant être sous-estimé. Si leur objet est parfois mineur, ces affrontements se jouent sur le terrain de marqueurs symboliques forts: l’homosexualité, l’égalité des sexes ou encore le racisme. Et ils révèlent une société française beaucoup plus divisée dans ses valeurs fondamentales qu’on aurait pu l’espérer ou l’imaginer.

Le rapport à l’homosexualité est sans doute celui qui met en évidence les plus profondes contradictions dans les représentations culturelles. Structurée par ses convictions religieuses au sein d’une société majoritairement indifférente à Dieu, une minorité non négligeable campe sur sa vision traditionnelle de la famille. Il n’est pas étonnant que s’y retrouvent à la fois des courants catholiques et musulmans.

Cette sensibilité est évidemment aux antipodes des combats portés par les associations LGBT qui influencent une autre et large partie de la société française. Que devient le «vivre ensemble» dans ces conditions?

Visibilité des extrêmes

Ces polémiques ont encore pour inconvénient majeur de donner une visibilité remarquable à des franges extrêmes de la scène publique. Au nom de la lutte contre l’antisémitisme, une publicité extraordinaire a ainsi été donnée au duo malfaisant formé par Dieudonné et Alain Soral.

Cette surexposition médiatique doit beaucoup à la stratégie adoptée, en ce qui les concerne, par Manuel Valls. Si l’interdiction faite à l’humoriste antisémite de fouler le sol britannique semble la conforter, la question reste de savoir si le choix d’une censure préalable diminuera son écho auprès du jeune et bigarré public de cet agitateur intéressé.

Le climat actuel a aussi permis, pour la première fois depuis très longtemps, à une manifestation authentiquement d’extrême droite d’être massive. Les 17.000 participants à «Jour de colère» représentent un succès qui ne peut être nié pour un courant aussi radical.

Face à tout cela, la gauche semble à la fois tétanisée et tentée par la surenchère verbale. Les diverses manifestations d’une «France réactionnaire» qu’elle honnit sans vraiment en comprendre les ressorts provoquent dans ses rangs des réactions parfois outrancières qui ne peuvent que conforter ses adversaires. Nombreux ont été ceux qui se sont laissés aller à un amalgame entre «Jour de colère» et la Manif pour tous, deux mouvements pourtant bien distincts dans leurs mots d’ordre et dans leur modes opératoires.

Le triomphe de TINA

Ces réactions sectaires ne sont assurément pas sans rapport avec le trouble identitaire qui saisit la gauche gouvernante. TINA (le fameux «there is no alternative» de Margaret Thatcher) ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Le «pacte de responsabilité» passé entre François Hollande et le Medef trahit un véritable consensus sur la politique économique à mener entre le PS et l’UMP. Au sein de cette dernière formation, les réactions divergentes manifestent seulement des désaccords tactiques sur la manière de se situer par rapport au tournant présidentiel.

Il est également révélateur que personne ne prenne vraiment au sérieux le programme franchement «libéral» concocté dernièrement par l’UMP. Chacun sait que le futur candidat de droite ne pourra aller à l’élection présidentielle sur cette ligne, Nicolas Sarkozy s’imaginant plutôt brouiller à nouveau les clivages idéologiques. Comme François Hollande navigue dans des eaux qui l’éloignent de plus en plus de l'électorat de gauche qui l'a porté au pouvoir, la confusion des esprits a de beaux jours devant elle.

Nervosité publique

Rien de tel pour fournir du carburant aux «extrêmes» rituellement dénoncés par les dirigeants socialistes. Le Front national est conforté, de jour en jour, dans son slogan d’opposition à «l’UMPS». Sa montée en puissance est dans l’ordre des choses, si elle n’est pas calculée en haut lieu. Jean-Luc Mélenchon peut, avec de solides arguments, s’indigner de voir la gauche «trompée, répudiée» par le pouvoir.

La radicalisation des électeurs lors des échéances nationales n’aura, dés lors, rien de surprenant. En attendant, les sectarismes fleurissent. Un candidat du Parti de gauche est désavoué pour avoir pris un pot avec l’ancien ministre gaulliste Yves Guéna, un personnage républicain pourtant tout à fait honorable. Un ministre de l’Intérieur, qui avait eu l’imprudence de comparer la situation présente aux années trente, lâche un «Je t’emmerde» à un député de l’opposition.

Le candidat Hollande avait promis d’apaiser le débat public. Au rebours, la conflictualité politique a pris, sous sa présidence, la double figure du fatalisme et de l’hystérie. La soumission à des lois économiques pourtant peu scientifiques se double d’agitations désordonnées sur les questions de société. Pour le malheur de la vraie dispute politique.

Éric Dupin

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