France

Les cathos sont-ils devenus paranos?

Ils manifestent dimanche contre le «mariage pour tous», contre la nouvelle loi sur l’IVG, les textes annoncés sur la famille et la fin de vie, contre la «théorie du genre», «l'idéologie égalitaire et libertaire» de la gauche au pouvoir. Ils se sentent mal-aimés, méprisés. Mais cette position de victime ne correspond pas à leur place, qui reste forte, dans la République laïque.

Notre-Dame de Paris, en 2012. REUTERS/Charles Platiau
Notre-Dame de Paris, en 2012. REUTERS/Charles Platiau

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Les catholiques seraient-ils les nouveaux parias de la société française, les marginaux de la République laïque et socialiste? Un procès en sorcellerie a commencé, dans leurs rangs les plus à droite, contre la «gauche libérale-libertaire» au pouvoir.

Celle-ci stigmatiserait une religion longtemps majoritaire, ancrée dans notre culture et notre histoire, fondatrice de nos mœurs, aujourd’hui réduite au rang de minorité, simple «communauté» comme les autres, ignorée du débat public, traitée avec moins d’égards que la communauté juive et même la communauté musulmane.

Etabli par une ultra-droite qui manifeste de nouveau dans les rues dimanche 2 février, l’acte d’accusation recense et amalgame, souvent grossièrement, toute une série de griefs, nouveaux et anciens: des dispositions législatives déjà acquises, comme le «mariage pour tous» ou l’interruption volontaire de grossesse, celles qui sont à venir comme la nouvelle loi sur la famille, qui ouvrirait le droit à la PMA (procréation médicalement assistée) pour les couples de femmes homosexuelles, à la GPA (gestation pour autrui) pour les hommes homosexuels. Ou comme la prochaine loi sur la fin de vie qui pourrait autoriser le suicide assisté et l’euthanasie active.

Moins bien traités que les juifs et les musulmans

Se mêlent aussi, dans ce réquisitoire, l’intrusion supposée de la «théorie du genre» dans les programmes scolaires, la récente exclusion des personnalités religieuses du Comité national consultatif d’éthique, la profanation récente de quelques églises, la simulation d’un avortement par des Femen aux seins nus sur l’autel de Sainte-Madeleine à Paris, tardivement désavouée par le gouvernement. 

S’y ajoutent encore le sentiment, plus ou moins confus, que le pouvoir, en interdisant le spectacle de Dieudonné, mais en autorisant des pièces anti-chrétiennes comme Golgotha Picnic, pratique «deux poids, deux mesures». Enfin, au nom de la laïcité et de la société multiculturelle, des administrations et des mairies interdiraient, de plus en plus souvent, les crèches de Noël, les galettes des rois dans les écoles, les sonneries de cloches!

En résumé, le sentiment domine que les catholiques ne sont pas aimés par un président de la République qui se déclare agnostique, pratique une laïcité méfiante vis-à-vis de la religion, tarde à rendre visite au nouveau pape à Rome, une rencontre qui fut sans chaleur et sans éclat. Ils se disent l’objet de moins d’attention, par les pouvoirs publics, que les juifs et les musulmans, réconfortés quand ils sont victimes d’actes antisémites ou islamophobes, régulièrement salués, les jours de fêtes religieuses, par les autorités politiques.

Le président de la République et les ministres défilent chaque année au dîner du Crif (Conseil représentatif des juifs de France) et vont rompre le jeûne dans les mosquées les soirs de Ramadan. Ils ne vont jamais dans les églises les jours de Pâques et de Noël.

Pour protester contre ce «catho-bashing», une pétition a été signée en quelques jours par 150.000 personnes et adressée au pape le jour de la visite de François Hollande au Vatican. Au-delà des rangs intégristes, des associations se mobilisent dans le même sens. Des catholiques de base et des évêques vont aussi manifester le 2 février à l’appel de la Manif pour tous contre la loi Taubira, contre la théorie du genre et les menaces pesant sur les familles.

Un nouvel «intransigeanisme» catholique

Que faut-il penser de cet ensemble de réactions et revendications aussi disparates? D’abord, qu’une certaine idéologie libérale, héritée de la «gauche morale», rencontre dans l’opinion croyante (des musulmans aussi sont révoltés par les «attaques» contre la famille) une résistance plus profonde qu’imaginée. Les valeurs de cette gauche morale ne sont pas les valeurs communes.

On a ensuite trop vite enterré, comme «conservatrices», voire réactionnaires, des convictions aussi ancrées que la défense du modèle civilisationnel «père-mère-enfant», dans le débat sur le mariage et l’adoption pour les homosexuels, ou la nécessaire protection de la vie et du plus faible, à propos de l’avortement et de l’euthanasie. On a trop longtemps dit, écrit, pensé que les rangs catholiques allaient fondre, se dissoudre dans la société sécularisée, finir par perdre toute influence dans cette vie publique que, pendant des siècles, ils ont contribué à façonner, modeler, dans des secteurs aussi vitaux que l’éducation, la santé, l’assistance aux plus pauvres, les lutes sociales.

Faut-il pour autant tomber dans une sorte de paranoïa catho? Contribuer aux fantasmes de l’extrême-droite sur l’introduction de la «théorie du genre» à l’école? Affirmer comme une évidence que la lutte pour l’égalité homme-femme et la fin des stéréotypes filles-garçons prépare une société orwellienne de l’indifférenciation des sexes? 

Peut-on dire que l’Eglise catholique est méprisée par la société politique et les médias quand le monde entier, depuis un ans, vénère la personnalité hors norme du nouveau pape, son discours contre les atrocités de l’économie libérale, contre la «globalisation de l’indifférence» à propos de ces milliers d’émigrés qui échouent chaque année à Lampedusa?

Les évêques eux-mêmes sont très divisés sur ce procès de «cathophobie». Certains participent à ce tollé ambiant et manifestent. D’autres déplorent cette instrumentalisation par la gauche de sujets de société aussi clivants, mais craignent davantage un repli identitaire de l’Eglise, son isolement sur la scène publique, la naissance d’un nouvel «intransigeantisme» catholique en opposition à toute modernité.

Ils redoutent la rupture d’un dialogue établi de longue date avec les pouvoirs publics sur l’école catholique, le respect des lieux de culte, le soutien aux organisations caritatives, la présence des émissions religieuses à la télévision publique. Il est difficile de soutenir que l’Eglise est ignorée: chaque année à Matignon, dans le respect des règles de séparation, des rencontres ont lieu entre les représentants du gouvernement et le plus haut niveau de la hiérarchie catholique.    

Les catholiques français —au moins une partie d’entre eux— oublient aujourd’hui, tant ils leur paraissent naturels et légitimes, les avantages qu’ils tirent de leur situation historique: leur présence dans la République, la place de la tradition catholique dans la culture, dans l’éducation, dans le militantisme social, dans les références quotidiennes, dans les fêtes chrétiennes qui rythment encore le calendrier. 

Certes, de vieilles rancœurs renaissent, mais, pour la République, les catholiques sont tellement intégrés qu’ils ne devraient plus avoir besoin de preuves d’amour et d’estime.

Henri Tincq

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