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Facebook ne peut pas mourir, il est devenu l'annuaire universel

Des chercheurs américains prédisent la fin de Facebook en 2017. Mais le réseau social ne disparaîtra pas: il est devenu la base sur laquelle l'Internet civilise ses pratiques.

<a href="http://www.flickr.com/photos/johanl/4859806074/">Facebook</a> / Johan Larsson via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Facebook / Johan Larsson via FlickrCC License by

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L’Internet a toujours été soumis aux métaphores biologiques. De la même manière qu’un buzz est dit «viral», pourquoi ne pas plaquer un modèle épidémiologique sur la courbe d’adoption et de régression de Facebook?

Constatant que la courbe de MySpace –un des virus les plus rapidement maîtrisés du web– correspondait parfaitement à celle du modèle irSIR, deux ingénieurs de Princeton ont utilisé ce modèle pour prévoir l’avenir de Facebook (lire PDF).

Résultat: Facebook a atteint son maximum d’utilisateurs en 2012. D’ici à décembre 2014, le réseau aura déjà décliné de 20%, avant une chute vertigineuse l’emmenant vers une quasi-disparition en 2017.

Les chercheurs de Princeton auraient aussi pu remarquer que la courbe de MySpace collait avec celle de la popularité de François Hollande. Ils ont préféré une autre comparaison: Facebook s’est propagé comme une maladie infectieuse, mais nous avons fini par être immunisés et le virus ne peut plus que régresser.

Les ados américains désertent

Il arrive que les «études à la con» aient une résonance inattendue. L’étude des deux ingénieurs a été abondamment reprise dans la presse car elle touche –involontairement– à une vérité: aux Etats-Unis, Facebook a perdu 25% des ados (13 ans-17 ans) en 3 ans, partis vers des services plus cools et moins squattés par les parents, comme Snapchat.

Si on prend toutes les catégories d’âge, Facebook ne perd pas d’utilisateurs. Bien au contraire: en un an, Facebook a encore gagné 100 millions d’utilisateurs, atteignant les 1,2 milliard d’utilisateurs d’actifs dans le monde, selon leurs derniers résultats financiers. Mais perdre les ados américains, groupe extrêmement influent dans les usages de l’Internet, n’est jamais bon signe et un certain déclin se profile.

Trolling habile de Facebook

C’est cette ambiance de fin de règne qui a forcé Facebook à répondre officiellement aux deux chercheurs. Dans un post plein de malice, l’équipe data du réseau social montre comment l’université de Princeton va perdre la moitié de ses inscriptions d’ici à 2018, avant d’en avoir plus aucune en 2021. La preuve, la courbe de la recherche «Princeton» sur Google est en chute libre.

C’est du trolling, mais du trolling habile.  Facebook met l’accent sur une grosse erreur des deux chercheurs: pour construire la courbe, ils ont utilisé uniquement les données de recherche sur Google, des data très incomplètes puisqu’elles ne prennent en compte que l’usage du réseau sur ordinateur.

Le début de déclin de la courbe de Facebook sur Google est largement compensé par le mobile: au troisième trimestre 2013, Facebook était utilisé par 874 millions de personnes sur mobile, dont 254 millions qui ne l’utilisent que sur mobile.

Arrivée de la famille et des collègues

Reste cette question: Facebook peut-il vraiment disparaître, comme MySpace en son temps?

MySpace a subi une migration de ses utilisateurs vers un autre service plus moderne, plus complet, qui s’appelait Facebook. On a longtemps pensé qu’il pourrait en être de même pour Facebook, remplacé poste pour poste par plus cool que lui. La perspective s’éloigne toujours plus à mesure que le nombre d’utilisateurs grandit. Avec 1,2 milliard d’utilisateurs (et sans doute plus d’inscrits), Facebook est le répertoire du monde, avec autant de fiches comprenant nom, photos, âge, profession, etc.

La question n’est pas de savoir si Facebook va disparaître, mais s’il restera actif.

La massification de Facebook l’a rendu moins intéressant dans sa fonction primaire de réseau social: partager sa vie en statuts ou en photos. Un ado est d’autant moins enclin à y raconter sa vie que ses parents y sont désormais inscrits. L’arrivée de la famille et des collègues a transformé ce service de réseautage pour jeunes en un annuaire universel. L’activité s’est déportée sur Twitter, Instagram ou Snapchat.

L'annuaire universel

Les pages blanches sont en voie de disparition, c’est vrai. Mais pour que son équivalent Internet, Facebook, disparaisse, il faudrait qu’un nouveau service remplisse son office. Pour l’instant, personne n’est en mesure d’avoir des fiches profil sur tout l’Internet. Google n’y arrive pas vraiment avec son fantomatique Google+, même si le succès impressionnant d’Android, son système d’exploitation pour smartphone, lui permet de rentrer toujours plus de profils sociaux dans sa grande base de données.

Cet annuaire universel a deux fonctions. Premièrement, il permet de retrouver facilement quiconque est inscrit dans cette grande base de données. Exemple typique: on a croisé quelqu’un en soirée qu’on aimerait revoir, on a omis de prendre son numéro de téléphone, il sera en général très facile de la retrouver sur Facebook. Deuxièmement, et c’est plus fondamental, l’Internet a besoin de l’annuaire Facebook pour civiliser ses pratiques.

L’Internet n’est plus une terre sauvage peuplée d’avatars anonymes comme auparavant. Facebook a impulsé un mouvement qui aujourd’hui le rend incontournable, celui de la fin relative de l’anonymat. D’une manière qui peut paraître absurde, Mark Zuckerberg impose à ses utilisateurs d’afficher leur vrai nom. C’est en fait un coup de génie: Facebook a créé ainsi une sorte de passeport numérique certifié, le visa d’entrée sur l’Internet civilisé. Au nom de cette même logique, les photos érotiques et pornographiques sont impitoyablement censurées sur le réseau.

Tinder ne serait rien sans Facebook

Une quantité de services web ont besoin de ce service de confiance qui appose un tampon «vraie vie» sur des pages Internet. C’est le cas des sites de média, qui demandent parfois de se connecter sur Facebook avant de commenter –une manière, supposée, d'augmenter la qualité des commentaires en affichant les participants au débat sous leur vrai jour.

Tinder est l’exemple le plus significatif. Cette application de rencontres par GPS sur smartphone est une des sensations de 2013. Son succès s’explique notamment par l’obligation de s’y inscrire avec un compte Facebook, ce qui permet à Tinder d’afficher sur chaque profil le nombre d’amis et de likes en commun avec la personne. De cette manière, ce grand jeu de drague virtuel devient ancré dans la vie réelle. La violence du balayage gauche-droite (oui ou non) est tempérée par la présence rassurante des amis Facebook, qui permet de demander conseil à une connaissance commune avant de rencontrer la personne. L’affichage des likes permet de confronter ses goûts culturels de manière très fine, et même de savoir que la personne fréquente comme soi tel ou tel café. La présence discrète du graph social de Facebook tisse des relations plus fluides sur ce réseau d’anonymes.

Autre effet collatéral de l’obligation de s’inscrire via Facebook: sur Tinder, il n’y a aucune photo de bites, sans même que l’application ait besoin d’effectuer une modération. Facebook est une lessiveuse de l’Internet, qui s’attache à le rendre plus socialement présentable.

Snapchat contre Facebook

Mark Zuckerberg incarne une ligne droitière du non-anonymat, qui a tout autant sa place dans l’écosystème web que la philosophie inverse. Le succès de Snapchat prouve que le modèle Facebook n’est pas universel: il reste de la place pour un Internet sauvage et non persistant. C’est finalement comme dans la vraie vie. Facebook, c’est quand le prof fait l’appel au début du cours. Snapchat, c’est le délire avec les potes à la récré.

A l’origine, Facebook voulait incarner ces deux facettes, le sérieux de l’annuaire, et le fun du réseau social. Mais il lui sera bien difficile de garder ce dernier aspect, celle de la production de contenu. Le modèle d’une plateforme généraliste a fait long feu. Les usages contemporains plaident plutôt pour un portefeuille d’applications dans lequel l’utilisateur va piocher, que ce soit Vine, Twitter ou Pinterest. Facebook pourrait bien se transformer en ville fantôme, mais ce ne serait pas l’annonce de sa mort. Car Facebook est devenu la sous-couche sociale d’un Internet qui se construit sur son annuaire.

Vincent Glad

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