Économie

Contrôler les hedge funds est une absolue nécessité

Ils ne sont pas à l'origine de la crise financière, mais en ont été un formidable accélérateur

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La boîte noire des hedge funds reste pour l'heure une boîte noire. A l'heure où les chefs d'Etat veulent ériger un nouvel ordre financier mondial, il serait temps de propulser ces fonds dans un cadre réglementaire alors que la majorité d'entre-eux échappe à tout contrôle.

Si les 9 000 hedge funds répertoriés sur la planète, ne sont pas à l'origine de la crise financière qui sévit depuis l'été 2007, ils ont joué un formidable rôle d'accélérateur et d'amplificateur dans la chute des marchés financiers à partir du deuxième trimestre 2008. Ces fonds, dont les stratégies d'investissement sont multiples, ont pour objectif de battre les indices de référence lorsque tout va bien et de limiter la casse lorsque le vent tourne. Ils ont donc investi dans tous les compartiments de marché : actions, taux, change, matières premières, dérivés de crédit, et autres actifs à haut risque.

Les hedge funds ont proliféré dans un monde qui était le leur, sans régulation, sans obligation de transparence sur le niveau de leurs fonds propres, la ventilation de leurs actifs, leur exposition au risque. Et pour couronner le tout, ils sont devenus des as de l'effet de levier en empruntant massivement pour renforcer leur capacité d'investissement. Les grandes banques ne sont pas restées à l'écart de cette manne très tendance sur les marchés financiers. Elles ont non seulement créé des hedge funds mais aussi développé des services sur mesure pour cette industrie: achat et vente d'actifs, prêts et emprunts de titres, financement de la dette. Elles ont ainsi fait office de « prime broker » pour les hedge funds.

Pendant les premiers mois de la crise les hedge funds n'ont pas fait beaucoup parlé d'eux, à l'exception de la faillite de deux fonds détenus par la banque d'investissement Bear Stearns aujourd'hui disparue, et du sauvetage d'un fonds appartenant à Goldman Sachs. Des clauses, dites de "lock up", prévoyant que pendant un certain délai les investisseurs ne peuvent exiger un remboursement de leurs parts, ont eu un effet retardataire. Mais le cocktail fondateur des hedge funds contenait assez d'ingrédients explosifs pour conduire à un grand chambardement. C'est chose faite.

Les hedge funds ont pris de plein fouet, la crise des marchés qui a réduit leurs actifs à une peau de chagrin alors qu'ils devaient faire face à des échéances de remboursement de leur dette et aux demandes de retraits des investisseurs. Les fonds ont été contraints de vendre des actifs dans l'urgence précipitant la chute des cours. Ils ont aussi, dès qu'ils le pouvaient, spéculé à la baisse sur des valeurs boursières en empruntant des titres pour se livrer aux joies de le vente à découvert. Cette technique consiste à vendre une action à un certain prix et à la racheter à un prix inférieur pour empocher la différence. Les hedge funds ont ainsi envoyé au tapis un grand nombre de titres cotés en Bourse, mais cela n'a pas suffit à les sortir du marasme.

Déjà très affectés par la crise de confiance, les hedge funds ont reçu le coup de grâce en fin d'année dernière avec  le scandale Bernard Madoff, l'ancienne icône de Wall Street qui a monté une escroquerie à 50 milliards de dollars à partir de son fonds Bernard Madoff Investment Securities (BMIS). Affolés par cette affaire, les investisseurs ont été de plus en plus nombreux à frapper à la porte des fonds pour tenter de récupérer leur mise. A tel point que les régulateurs ont autorisé les hedge à différer dans le temps le remboursement des parts.

Aujourd'hui, l'industrie des hedge funds est en plein marasme et les faillites se succèdent. Environ un millier de fonds ont disparu l'année dernière, les actifs gérés fondent comme neige au soleil. A la fin de l'année 2007, on évaluait les actifs gérés par ces fonds à 2000 milliards de dollars. Ils ont fondu d'environ 700 milliards en 2008. La purge est loin d'être terminée, car les retraits pourraient atteindre dans les 4 mois qui viennent entre 300 et 600 milliards de dollars. Une perspective effrayante pour les marchés financiers qui craignent des ventes d'actifs massives de la part des hedge funds engendrant une spirale infernale de baisse. Une chose est sûre, personne ne peut ignorer les dégâts occasionnés par les hedge funds.

Les chefs d'Etat qui se disent bien décidés à remettre de l'ordre dans un système financier devenu fou sauront-ils canaliser cette industrie et ne plus la laisser à l'abri de toute réglementation ? Certains l'espèrent, d'autres sont plus dubitatifs. Le prochain sommet des pays membres du G20 qui se réunit le 2 avril à Londres, devrait apporter une première réponse. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont donné de la voix à plusieurs reprises contre l'opacité des hedge funds. Quant aux pays traditionnellement les plus réfractaires à la régulation, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ils ne sont plus enclins à un libéralisme béat. Barak Obama a d'ores et déjà montré qu'il souhaitait fixer des bornes à la sphère financière, tandis que Gordon Brown tente de sauver un système bancaire britannique au bord du gouffre. La Commission européenne a été contrainte de se saisir du sujet, alors que Charlie McCreevy, le Commissaire au marché intérieur, était opposé de longue date à une réglementation des hedge funds. La Commission a lancé en décembre une « consultation publique sur les hedge funds » qui s'est terminée le 31 janvier. Son objectif est de servir de base à la contribution européenne aux travaux du G20 de Londres.

Si les politiques prennent le taureau par les cornes, les mesures à adopter ne semblent pas, à priori, particulièrement compliquées. Il faut contraindre les hedge funds à s'enregistrer auprès d'une autorité de surveillance « sérieuse » qui doit ensuite leur imposer de détenir un minimum de capital, plafonner l'endettement, exiger des informations transparentes sur leur portefeuille d'actifs, instaurer une information régulière sur la valorisation des parts. Toutefois, la réglementation des hedge funds ne peut être efficace que si on s'attaque aux paradis fiscaux et aux centres financiers non coopératifs.  Selon les chiffres de Transparency International, 80% des hedge funds y sont domiciliés.  Si on laisse subsister les Etats et les territoires de non droit en matière financière rien n'empêchera les hedge funds de se soustraire à la régulation. De nombreuses voix se font aujourd'hui entendre pour mettre au ban de la communauté internationale les paradis fiscaux et autre places off-shore trop accommodantes, qui sont parfois situés là où on ne les attendait pas.

Transparency International, relève que sur les 50 paradis fiscaux identifiés par ses soins, 25 d'entre-eux se trouvent en Europe. Lors du prochain sommet du G20, les chefs d'Etat auront l'occasion de montrer s'ils dépassent le stade des bonnes intentions et s'ils tirent les leçons de la crise. Emblématiques s'il en est de la finance opaque, les hedge funds doivent rentrer dans le rang. Il n'est plus possible de laisser dans la nature des fonds qui peuvent se transformer en arme de destruction massive sur les marchés financiers.

Dominique Marriette

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