France

La France doit retrouver le goût du progrès

Les Français montrent une méfiance croissante à l'égard de la science. Un sentiment qui n'est pas sans rapport avec leur défiance à l'égard des réformes qui nous entraînent dans un futur incertain. Il faut que cela change.

L'Aiguille du Midi, en juillet 2012. REUTERS/Denis Balibouse
L'Aiguille du Midi, en juillet 2012. REUTERS/Denis Balibouse

Temps de lecture: 3 minutes

Plus de 23.000 cas de rougeole ont été déclarés en France depuis le 1er janvier 2008, selon l'Institut de veille sanitaire. Plus de 1.000 patients ont présenté une pneumopathie grave et 10 sont décédés. La cause de ce retour d'une maladie qu'on croyait éradiquée est la trop faible vaccination des jeunes générations. Près de 9% des jeunes âgés de 20 ans à 29 ans ne sont pas immunisés, ils n'étaient que 1,5% en 1998. Leurs parents ont peur des vaccins. Nous ne sommes plus le pays de Pasteur.

François Hollande, en s'affirmant «social-démocrate» lors de sa conférence de presse, a fait un pas historique. Il place (enfin) les socialistes français sur la ligne choisie depuis des décennies par les autres partis de gauche en Europe. Le changement de discours, en faveur des entreprises, de la «production», de l'«offre», est fondamental. Le capital et le travail ne sont plus en lutte, ils s'épaulent. Le moulin social ne peut avoir de grain à moudre que si les récoltes sont abondantes. Cette démarche, si elle s'affirme et se concrétise, devrait bouleverser le paysage idéologique du pays depuis le monde syndical jusqu'au monde politique. La social-démocratie est une politique pour la France qu'on peut discuter et ne pas partager. Mais elle trace une ligne, elle ouvre un avenir.

Mais, pour redresser la France, cette conversion si indispensable et si retardée doit être accompagnée d'une autre du même ordre d'importance: retrouver la foi dans le progrès. Que 9% des parents français aient peur des vaccinations éclaire combien le pays a, dans son rapport à la science, perdu la raison. En économie, une partie des Français avait perdu le sens de la réalité, la réalité des entreprises et de la mondialisation, mais, en face du progrès scientifique, la confusion des esprits est aussi grave, voire plus, comme le dit Jean de Kervasdoué, professeur émérite au Cnam[1]. Le pays et, notamment, beaucoup de ses médias ne sont pas loin de penser que quiconque affirme que 1 et 1 font 2 est un «scientiste», entendez dans leur bouche une mauvaise personne, ignorante de l'humain, destructrice de la nature, et, nous y voilà, vendue aux laboratoires. La science est en France accouplée au profit, deux progénitures du diable capitaliste.

La peur nous paralyse

C'est ainsi que le rouge et le vert se sont rapprochés, dans le pays de Descartes, pour nous plonger dans un néo-obscurantisme qui effraie, c'est-à-dire paralyse. Les réformes sont mauvaises car elles nous entraînent dans un futur pire. Tout se tient.

François Hollande devrait tenir sa prochaine conférence de presse en blouse blanche et dire sa deuxième conversion: celle de la foi dans le progrès. La vie est déjà emplie de technologies, mais elle le sera, demain, beaucoup plus encore, devrait-il expliquer. Le XXIe siècle va ouvrir des champs inexplorés dans tous les domaines scientifiques du génie génétique à l'agronomie, des nanotechnologies à la chimie, de l'énergie à, bien entendu, l'électronique.

Entendons-nous. Des questions lourdes se posent et vont se poser plus encore. Quels dangers réels et non fantasmés se présentent? Quels «changements» accepter des plantes et de la nature? De l'homme lui-même avec le clonage? Quelles conséquences éthiques auront toutes ces «possibilités» dans notre rapport à la naissance et à la mort. D'autres questions, cette fois d'organisation, devront être affrontées: trop de publications hâtives dans les revues, trop ne sont pas vérifiées. Les scientifiques devraient balayer devant leur porte et rehausser leurs exigences.

Mais cela étant dit, que d'enthousiasmants changements en perspective! Vivre en bonne santé plus longtemps, mieux éduqué, mieux informé, plus mobile, le XXIe siècle ne sera pas forcément l'horreur décrite par les idéologies régressives, il peut être tout le contraire. La France doit, pour ce qui la concerne, le prendre en main avec une raison retrouvée.

Supprimez le principe de précaution!

Lui, président de la République, doit demander d'ôter le principe de précaution de la Constitution. Ce texte introduit la suspicion dans toutes les activités humaines, il est durci par des juges, il donne peur devant la science, il met la France en retard. Lui, François Hollande, doit inverser la démarche, mettre la France en avant et revenir au bon sens: faire avec prudence et non pas interdire par précaution.

Un vaccin présente toujours une infime part de risque. Le risque du non-vaccin est, lui, avéré et considérable. La raison n'hésite pas devant l'alternative. La France d'aujourd'hui si. Elle laisse croire qu'il y a deux solutions et qu'elles sont de même poids. Les médias, sur tous sujets, mettent de plus en plus en balance l'avis d'un professeur agrégé et les cris de Madame Michu, dont le voisin a un cousin qui a vu l'ours. Il leur est ainsi arrivé d'écrire que les OGM donnaient le cancer à des rats ou, un comble, que l'eau avait une mémoire...

«Les hommes oublieux opposent aujourd'hui ce qu'ils appellent le vin naturel au vin artificiel, les créations de la nature aux combinaisons de la chimie. Il n'y a pas de vin naturel, il n'y a pas de froment naturel. Le pain et le vin sont un produit du génie de l'homme (…), de sa pensée inquiète et de sa volonté patiente (…) que la science soit près du moissonneur.»

C'est Jean de Kervasdoué qui reprend cette forte citation. Monsieur Hollande: elle est de Jaurès.

Eric Le Boucher

Article également paru dans Les Echos

[1] Ils ont perdu la raison, Jean de Kervasdoué, Robert Laffont. Retourner à l'article

cover
-
/
cover

Liste de lecture