Culture

«Ecrire»

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Chaque semaine, Marc Mémonville décrypte un mot dans l'actualité.

Les observateurs nous affirment que l'été a démarré très fort.

Serait-ce à dire que la France, démentant la Crise, s'est précipitée toute entière sur les plages? Que les hôtels, les pensions et les campings affichent complet? Que les commerçants exécutent avec davantage encore de maestria que naguère les figures imposées de la valse des étiquettes pour réaliser en deux mois et demi leur chiffre d'affaires annuel? Que le taux de la croissance va renouer avec le positif? Que le niveau des rentrées de la TVA soulage enfin les finances publiques et leurs responsables?

Non, vous n'y êtes pas. La saison, du point de vue de l'Economie, s'annonce mauvaise, hélas, au mieux médiocre. Les premières totalisations des soldes confirment la tendance. Rien ne permet d'espérer que l'explosion du chômage cessera. Les optimistes attendent l'embellie pour la mi-2010, les pessimistes l'espèrent en 2011. Nous n'avons donc pas fini de manger de la vache, sinon enragée, du moins maigre.

Mais les politiques, eux, paraissent en grande forme. À défaut de rassurer le peuple, on lui offre, comme en guise de divertissement, les délices et les poisons de la pire politicaillerie, sous la forme d'un jeu nouveau qui fait fureur: on ne se parle plus, on s'écrit.

On n'ignorait certes pas que l'Écriture et la Politique ont noué en France des liens quasi incestueux, auxquels l'authenticité du talent du général de Gaulle à donné plus de vigueur. On a vu chacun y aller de son livre, de ses livres, parfois — souvent — avec l'aide de nègres, quand ce n'était pas avec la complaisance de journalistes en mal de piges. Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou, pour ne citer qu'eux, peuvent faire figurer un titre au moins, et quelquefois plusieurs, dans leur CV et leur notice dans le Who's Who.

Tout se passe comme si quelque impératif national exigeait qu'un(e) postulant(e) au pouvoir arbore sa culture et du style. Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand ont montré la voie, pour ne pas remonter à Guizot, Thiers, Georges Clemenceau ou Léon Blum.

Faute d'avoir eu le temps, ni le désir peut-être, de les imiter, Martine Aubry, comme saisie par le complexe de Sévigné (la logique justifiera que Sigmund Freud, germanophone, n'ait pas analysé ce complexe-là), a choisi la lettre, mode d'expression classique qui a donné lieu à nombre de variations et produit un chef d'œuvre, «Les Liaisons dangereuses» — titre toujours à méditer.

Voici que, dès juillet venu, madame de Lille a écrit tous azimuts. On l'a vue d'abord, inspirée par Eschyle et Euripide, interpréter «Les Suppliantes» pour les anciens compères de la Gauche plurielle. Puis, se parant de l'habit d'une moraliste, elle s'est ingéniée à tancer le malheureux Manuel Valls et à lui rappeler les règles du socialisme puéril et honnête.

On n'ignorait pas que la Première secrétaire du PS avait de la personnalité (accusée) et du caractère (mauvais). On découvre qu'elle écrit comme d'autres dégainent. En tout cas, elle a ouvert une voie sur laquelle la foule se précipite. Les lettres ouvertes, par interview ou blog interposés, volent bas. A avoir ouvert le feu la première, Martine Aubry s'est exposée à des tirs de barrage. On sait dans l'Hexagone, depuis une éternité, que la belle saison est aussi le temps des attaques et des contre-attaques. Solferino n'est pas sans rapports avec Verdun.

L'exemple se répand aussi vite que la grippe A. Le microcosme s'arrache aux joies de la mer (de la montagne, de la ville, des musées, du farniente, des îles du sud, etc. - rayer les mentions inutiles) pour saisir la plume ou pianoter sur l'ordinateur. Et chacun (chacune) d'y aller de sa missive, de son article, de son factum, ou de bloguer à tout va. Que celui (celle) qui n'a pas encore écrit lève la main! Slate, si convenable, voire collet monté, nous incite même à écrire à notre tour à la Chère Martine.

Et si la Gauche perd les Régionales, nous écrirons: c'était écrit.

Marc Menonville

Image de une: Glenn Close écrivant une lettre dans la version des «Liaisons Dangereuses» réalisée par Stephen Frears, 1988.

Vous aussi, écrivez votre lettre à Martine Aubry ou Manuel Valls

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