Culture

Ventes de livres 2013: cinquante nuances de blé et Astérix chez les Pictes-sous

Chiffres d'affaires, tendances, impact des prix et de la promotion... Plongée dans les mécanismes d'un marché littéraire dominé l'an dernier par les dernières aventures du petit Gaulois et la trilogie érotique d'E.L. James.

REUTERS/Benoît Tessier.
REUTERS/Benoît Tessier.

Temps de lecture: 8 minutes

En 2013, le marché du livre a été dominé par le succès hors normes de la trilogie Fifty Shades, tandis qu'Astérix chez les Pictes a sauvé l’honneur national. Notre palmarès des ventes physiques, réalisé à partir des données d’Edistat [1], un site qui délivre des estimations hebdomadaires de ventes sur le marché du livre en France, compte parmi ses fleurons quelques habitués, tels Marc Lévy ou Guillaume Musso, mais aussi des textes moins attendus.

L’année «n’a pas été très bonne, c’est le moins qu’on puisse dire», analyse Bertrand Morisset, commissaire général du Salon du livre, évoquant une baisse globale de l’activité de «1 à 3%» et surtout les faillites de réseaux comme Virgin ou Chapitre. «C’est du chiffre d’affaires perdu, qui ne sera pas récupéré —en tout cas pas dans l’immédiat. Pour un éditeur de BD, les dédicaces de fou au Virgin Champs-Elysées, vous ne les retrouvez pas ailleurs…»

Tout aussi préoccupant, le tirage moyen est en baisse:

«Il est de 6.000 exemplaires aujourd’hui; on était à 8.000 il y a dix ans.»

La chute des ventes directes en magasin, selon les chiffres d’Edistat, est bien plus alarmante. Le chiffre d’affaires total est «passé de 2,9 milliards d’euros en 2012 à 2,5 milliards d’euros en 2013, soit une baisse de 13,8%». Il s’agit certes d’estimations qui invitent à la prudence, mais le recul est notable.

2013 a été néanmoins presque sauvée par Noël. «Le mois de décembre a été excellent, souligne Christine de Mazières, déléguée générale du Syndicat national de l'édition. Le livre est plus que jamais sous le sapin.»

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Astérix écrase le marché de la BD

A commencer par Astérix, dont le tome 35, Astérix chez les Pictes, écrase tous ses concurrents: 943.184 exemplaires écoulés, pour un chiffre d’affaires de 9,3 millions d’euros. Les petits nouveaux, Didier Conrad et Jean-Yves Ferri (bienvenue, messieurs, au club de l’ISF), ont plus que rempli leur contrat: ce tome 35 est insipide, ce qui le situe très largement au-dessus des précédents. Avec de telles ventes, la zizanie de la famille Ud€rzo peut donc se poursuivre.

Les autres BD se situent loin, très loin derrière. Fin 2013, L’Onde Septimus, le tome 22 de Blake et Mortimer, avait séduit plus de 151.000 lecteurs. La nostalgie pour l’opéra de papier est une mine d’or: avec plus de 45.000 ventes, Le Serment des cinq lords (tome 21), a continué le joli parcours entamé en 2012 (289.658 exemplaires vendus, au même niveau que La Malédiction des trente deniers, paru en novembre 2010). Autant dire que la série n’est pas près de s’arrêter.

Parmi les autres succès figurent Naruto, interminable série de Masashi Kishimoto, le tome 34 de Boule et Bill, le tome 5 de Blacksad, La Bible selon le chat, Quai d’Orsay, qui a bénéficié de son adaptation au cinéma, sans oublier La Tectonique des plaques de Margaux Motin —dont le chiffre d’affaires impressionnant résulte néanmoins pour beaucoup d’un prix de vente prohibitif (22,95 euros).

A noter un effet cinéma pour Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. D’abord avec l’édition 2010, dont les ventes, atones, ont grimpé en flèche au moment où Cannes ruisselait de fesses et de fiel (23.665 exemplaires en 2013 contre 48.000 en trois ans)… Ensuite, en septembre, pour la réédition qui portait un bandeau Vie d’Adèle, avec 22.000 ventes. À noter que Skandalon, BD du même auteur, mais non «adélisée», atteint péniblement les 1.300 exemplaires vendus.

Les ventes du Bleu est une couleur chaude sur les 52 semaines de l'année

En 2013, le marché francophone de la BD a néanmoins baissé, selon l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD), qui fait état de 5.159 publications (dont 3.882 nouveautés), soit une diminution de 7,3%. Les BD ne représentent plus «que 6,7 % de la production éditoriale globale sur le strict marché français (contre 7,6 % en 2012)».

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Grand Satan érotomane américain

Après avoir poussé un grand cocorico tricolore pour Astérix, revenons au réel. Le Grand Satan érotomane américain a frappé fort l’an passé. Fin 2012, E.L. James avait érotisé les ventes avec 419.617 exemplaires écoulés du premier tome de sa trilogie Fifty Shades —dont une bonne partie sous le sapin—, caressant ainsi son éditeur, Lattès, dans le sens du poil (près de 7 millions de chiffre d’affaires).

Il faut désormais y ajouter les 31,7 millions d'euros glanés en 2013, avec le succès des deux autres tomes de la trilogie. Au total, en quinze mois, Cinquante nuances approche les 1,9 million de ventes (éditions en anglais comprises). La publication en poche (6,9 euros chez J’ai lu) est annoncée le 5 février 2014 et une édition France Loisirs est prévue. Fichtre.

Relativisons néanmoins: à titre de comparaison, le dernier tome de Harry Potter «s’était vendu à plus de 700.000 exemplaires la semaine de sa sortie et totalise 1.400.000 exemplaires pour la seule version grand format depuis 2007», indique Edistat.

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Ce succès donne-t-il un coup de fouet au genre coquin? «Oui, clairement, dans le sillage de Fifty Shades, la littérature érotique branchée va marcher pendant trois ou quatre ans», estime Bertrand Morisset. «Mais le genre a toujours été présent. Souvenez-vous du succès des scènes croustillantes de La Bicyclette bleue de Régine Desforges...»

Les Editions Blanche se présentent par exemple comme l’«éditeur phare en matière de littérature érotique». Et, chez La Bourdonnaye, les livres érotiques figurent dans les «vingt meilleures ventes».

La Musardine a tenté de rééditer des classiques en y ajoutant des scènes de sexe explicites. Mais ces hot Manon Lescaut (81 ventes) et Carmen (429) n’ont pas fait recette. Quant à Lattès, il espère bien rééditer son exploit avec la trilogie italienne d’Irene Cao dont le premier tome, Sur tes Yeux, bénéficie d’un lancement «blockbuster» en affiches 4x3…

La fiction reste le moteur des ventes

Que l’on raisonne en termes de ventes ou de chiffre d’affaires, la fiction reste le principal moteur des ventes. A l’exception du livre du Dr Frédéric Saldmann (Le meilleur médicament, c’est vous!, près de 235.000 ventes), les premières places sont occupées par des habitués des podiums.

Guillaume Musso dépasse à nouveau les 10 millions de chiffres d’affaires. Une stabilité remarquable, même si le cru 2013 est en baisse: 11 millions contre 14 millions en 2012. Y figurent aussi Dan Brown, Marc Lévy, Eiichiro Oda, Stephen King, Harlan Coben ou Thierry Courtin, heureux papa de Tchoupi. Les best-sellers n’échappent cependant pas à la crise, avec un chiffre d’affaires en baisse sensible en 2013.

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Comme le Goncourt, Musso ou Lévy sont devenus des marques qui font vendre, que l’on achète (et lit?) les yeux fermés. Dès les premiers jours, les fans de Musso ont fait de Demain un succès. Un tiers des ventes annuelles s’est effectué dans les deux premières semaines.

Il en est de même pour Marc Lévy, lui aussi plébiscité dès parution (245.000 ventes cette année). Et plus encore pour Astérix chez les Pictes, avec plus du tiers des ventes —327.744 exactement— en première semaine.

Le mercato des écrivains est-il toujours d’actualité? «Oui et non, tempère Bertrand Morisset. Il est moins voyant que celui du football car un livre, c’est un match de foot tous les deux ans! Et la relation éditeur-auteur est un travail de longue haleine, qui implique de la fidélité. Il est plus difficile de trouver un auteur que de le garder…»

Impact du bouche-à-oreille

Derrière cette grosse cavalerie, il y a aussi les livres qui se vendent, souvent sans prix littéraires, par la seule grâce du bouche-à-oreille ou de la recommandation du libraire.

Ainsi de Jonas Jonasson: son Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire a poursuivi en 2013 un parcours remarquable, avec 215.719 ventes en poche, qui s’ajoutent aux 388.384 déjà enregistrées en 2012. Sorti en mars 2011 aux Presses de la Cité, le roman grand format ne compte lui «que» 94.000 exemplaires vendus. Publié en octobre chez le même éditeur, le nouvel opus, L'Analphabète qui savait compter, totalise déjà plus de 59.000 ventes.

Très beau parcours aussi pour le Prix Goncourt des lycéens 2012, La Vérité sur l'affaire Harry Québert, qui dépasse désormais les 600.000 ventes, dont 205.000 en 2013. Si le prix a eu indéniablement un effet prescripteur, les ventes dans la durée témoignent d’un phénomène de librairie qui va au-delà de l’effet d’aubaine.

Surprise: Un été avec Montaigne, recueil de chroniques d’Antoine Compagnon (bien connu des proustiens) sur France Inter, totalise plus de 147.000 exemplaires vendus. Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi, de Jean-Christophe Rufin, a lui séduit 318.651 lecteurs.

Même succès pour La Femme parfaite est une connasse, livre (?) des soeurs Anne-Sophie et Marie-Aldine Girard, vendu en poche à 5 euros, qui affiche près de 250.000 ventes. Au vu de la courbe, beaucoup ont dû grincer les dents en ouvrant leurs cadeaux de fin d’année. Mais non, c’est «le mantra d’une nouvelle génération», affirment-elles à Madame Figaro. Soit.

... et du «vu à la télé»

Les ouvrages politiques, eux, restent souvent des échecs commerciaux, comme en témoignent les bides de Valérie Pécresse (2.386 ventes), Anne Hidalgo (2.188) et, plus encore, Pierre Moscovici (742). Mais le succès est parfois au rendez-vous: Bruno Le Maire (Jours de pouvoir, plus de 52.000 exemplaires) reste une plume politique très appréciée tandis qu'avec sa (perfide) Récréation, Frédéric Mitterrand est une des surprises de l’automne (près de 31.000 exemplaires).

On observera aussi avec intérêt les ventes significatives des ouvrages consacrés à l’identité et au mystère hexagonal (Alain Finkielkraut, Hervé Le Bras, Emmanuel Todd; Lorànt Deutsch, aussi).

Du côté des amuseurs, très joli score de Stéphane De Groodt (près de 62.000 lecteurs pour les Voyages en absurdie). Côté ex-Première dame, à la place de Cécilia Attias, on déposerait le titre Une envie de vérité. On ne sait jamais.

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Les prix restent des démultiplicateurs de ventes

Le contenu des livres importe peu du moment qu’il y a une jaquette, rouge de préférence, et c’est ainsi que les Goncourt-Fémina-Médicis envahissent les sapins. Sont-ils lus? C’est une autre histoire.

Pour évaluer l'importance des prix, nous publions un classement actualisé de l’impact des prix littéraires sur les ventes de 2008 à 2013. Pour le calculer, la moyenne des ventes des six semaines précédant l’obtention du prix à été retranchée de celle des ventes observées durant douze semaines une fois la récompense obtenue (la méthode est décrite précisément ici). 

Le Goncourt est évidemment le meilleur des agents littéraires, garantissant entre 2,8 et 4,8 millions de chiffres d’affaires en plus à l’heureux éditeur. En 2013, Au revoir là-haut réalise presque 5 millions de chiffre d’affaires grâce à cette distinction, avec un chiffre d'affaires multiplié par cinq entre l'avant et l'après. Le Goncourt n’est dépassé que par le… Goncourt des lycéens mais, on l’a vu, La Vérité sur l'affaire Harry Québert est un cas à part.

Après Amazon, le méchant Wikipédia

Des locomotives qui marquent le pas, des ventes en librairie qui chutent, sous l’effet des fermetures de magasins… Le secteur du livre souffre. La loi «anti-Amazon», que vient de voter le Sénat, lui apportera peut-être une bouffée d’oxygène.

«J’espère que ça va se redresser, indique Bertrand Morisset. Après une année 2013 très dure, 2014 devrait être plus calme. Mais les dix années qui viennent, avec le numérique et la question du piratage, la restructuration des éditeurs et des distributeurs, seront décisives.»

De son côté, Christine de Mazières évoque des «maisons en difficulté et des dépôts de bilan», mais souligne la «bonne résistance» du monde de l’édition et des clients «satisfaits de la diversité» de l’offre. Pour ce secteur, plus qu’Amazon, le véritable problème, ce serait Wikipédia. «L’imaginaire continue à tirer les ventes. L’édition de savoir connaît des jours plus difficiles. Les étudiants ont tendance à moins lire depuis quelques années et il y a un gros souci de prescription par les enseignants.»

Ce pourrait être ça, 2014: une loi anti-Wikipédia.

Jean-Marc Proust

[1] Les estimations d’Edistat sont accessibles au grand public sur son site. Ce palmarès rend compte des ventes de livres en caisse (hors livres numériques et autres produits). Il ne prend pas en compte les ventes à l’étranger. Ainsi, Tatiana de Rosnay, l’écrivain français le plus vendu à l’étranger, n’y figure pas cette année. Il ne prend pas en compte les ventes de livres par correspondance ni les livres numériques, ce qui nous évite d’y intégrer Mein Kampf. Revenir à l'article

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