Culture

Dix affiches de cinéma qui ont marqué l'année 2013

Vous les avez remarquées ou ratées, elles résumaient un film réussi ou donnaient envie de voir un long-métrage raté: retour sur quelques illustrations symbolisant un art qui parvient encore à être créatif.

Détail de l'affiche du film «Mes séances de lutte» de Jacques Doillon.
Détail de l'affiche du film «Mes séances de lutte» de Jacques Doillon.

Temps de lecture: 5 minutes

«L'art de l'affiche de cinéma est de réduire en une image ce que le metteur en scène a réalisé en 350.000», disait Stanley Kubrick. Malheureusement depuis quelques années, la qualité esthétique, l’originalité et la pertinence des affiches de films ne semblent plus vraiment au rendez-vous.

Écartées des remises de prix (César et récompense cannoise disparus), elles peinent à attirer le regard du public. Bien qu’elles essaiment sous les abribus, sur les colonnes Morris et dans les couloirs de métro, elles se succèdent de semaine en semaine dans l’espace urbain sans toujours attirer le regard, trop nombreuses —environ 550 par an— pour qu’on s’en souvienne.

Mais si on y prête gare, dans ce flot iconographique surnagent quelques belles réussites. Totalement subjectif, ne prenant pas en compte la qualité du film (un exécrable film peut bénéficier d’une magnifique affiche, et vice-versa), voici un top 10 des affiches de films qu’il ne fallait pas rater l'an dernier.

Peut-être certaines d'entre elles vous donneront-elles envie de découvrir les longs-métrages qu’elles illustrent (le but de toute représentation) mais elles sont avant tout des créations indépendantes, des tentatives artistiques et surtout des invitations à vous faire votre cinéma.

1. Mes séances de lutte, de Jacques Doillon

L’affiche de Mes séances de lutte, vingt-septième long métrage de l'auteur du Petit criminel, met en scène le couple James Thiérrée-Sara Forestier. Les deux acteurs nus sont enlacés.

À la différence de nombreuses illustrations, l’affiche ne joue pas sur l’identification des comédiens (connus au demeurant), leurs visages n’étant absolument pas mis en valeur. Quant à la nudité, elle n’apparaît pas comme un argument commercial.

Au contraire, la boue qui recouvre les peaux, le cadre naturel (les héros couchés dans un ruisseau en pleine forêt), la position sexuelle animale produisent un trouble, une polysémie d’interprétation qui offre à la fois le mystère indispensable à toute affiche (donner envie, intriguer) et une proposition de lecture éclairante du film a posteriori.

2. L’Ivresse de l’argent, de Im Sang-soo

La Corée du sud exporte depuis une décennie des films à l’esthétique glacée, graphiquement époustouflants. Ce travail de la forme, qu’on trouve chez Park Chan-wook (Cut, son segment dans le film collectif Trois Extrêmes, atteignant le paroxysme de ce formalisme quasi-géométrique) se retrouve naturellement dans les affiches des longs-métrages, comme c’est le cas avec L’Ivresse de l’argent de Im Sang-soo.

La composition est impeccable, le visuel joue sur un code couleur simple mais symboliquement fort (noir et rouge, drame et passion) tout en positionnant les acteurs de façon verticale, créant une hiérarchie naturelle. Ces derniers regardent tous intensément l’objectif (le spectateur donc), laissant aisément imaginer que le public sera invité à être voyeur dans cette lutte de pouvoir racée. Revisitant l’élégance et la minutie des estampes asiatiques, cette affiche assume la perversion sous-tendue par sa plasticité indéniable.

3. La Cinquième Saison, de Peter Brosens et Jessica Hope Woodworth

Si pour Kubrick, une affiche se doit de résumer un film en une image, il existe des propositions de visuels dont la signification demeure obscure. C’est le cas de La Cinquième Saison, où un homme caché derrière un masque vénitien immaculé partage sa table avec un coq. Sise dans un décor épuré (murs blancs, table minimaliste) excepté un lustre un poil baroque, la scène intrigue par l’absurde évident de la situation.

Mais derrière le pourquoi de la présence de cet homme cravaté en tête à tête avec un gallinacé se dessine un malaise palpable. Le personnage semble endormi (inconscient?), la présence du coq en surplomb souligne son possible ascendant sur l’homme: bref, sous ses atours un brin comique, cette affiche charrie des lectures bien plus sombres.

4. Too Much Love Will Kill You, de Christophe Karabache

Dans la catégorie affiche provocante et rétive à interprétation, Too Much Love Will Kill You décrochait le pompon l'an dernier. On y découvre, au premier plan, une jeune fille arborant un décolleté qu’on ne peut ignorer, mais rapidement l’œil est happé par ce qui se dresse entre ses cuisses et qu’elle dirige apparemment sous sa jupe. 

Difficile d’identifier précisément de quoi il s’agit. On croirait la tête d’un animal décharné (un mouton peut-être) mais certains détails heurtent la compréhension de l’image. Des dessins enfantins semblent recouvrir l’animal.

Profondément dérangeante dans sa mise en scène d’un acte a priori sexualisé, cette affiche ne déflore pas la ligne narrative du film: tout au plus donne-t-elle une idée de l’ambiance qui y plane, mortifère et érotique.

5. Le Dernier Exorcisme 2, de Ed Gass-Donnelly

La vague de films de genre (et leurs innombrables suites, préquelles et remakages divers) a sonné le glas d’une quelconque originalité dans les affiches horrifiques. Toutefois, l'an dernier, un deuxième épisode a tenu le pari d’une esthétique astucieuse. Le Dernier Exorcisme 2 (avoir «dernier» et «2» dans un même titre relevant déjà du grand n’importe quoi) ne propose ainsi aucunement une scène du film ou un visuel du casting, mais au contraire une vision proprement flippante. 

Rappelant les contorsions de Regan (personnage principal de L’Exorciste, film matrice du genre), l’affiche présente le corps d’un personnage qu’on imagine féminin (la présence de la robe), torse cambré en arrière, corps déglingué en forme de 2. Même si la représentation en soi n’est pas d’une originalité confondante (les haillons, le visage transfiguré de douleur, le code couleur gris noir), le choix d’assumer pleinement le registre «suite» en en faisant le centre de l’affiche vaut amplement cette cinquième position.

6. La Vénus à la fourrure, de Roman Polanski

Le dernier film du cinéaste polonais bénéficie d’une affiche sobrement composée mais parfaitement significative du contenu du long-métrage. L’escarpin talon aiguille noir écrabouillant des lunettes d’intello (le tout sur fond rouge) est en adéquation avec le sujet de cette relecture du roman de Sacher-Masoch.

Le fétichisme du pied (et de la chaussure féminine, son prolongement) indique le fantasme masculin, mais aussi sa suprématie sur l’homme (symbolisé par les lunettes). Incarnation du pouvoir (destructeur) de la femme, cette affiche laisse deviner que les rôles de dominant/dominé sont déjà distribués avant même que le film ne débute.

7. Paradis: espoir, de Ulrich Seidl

Nombreuses sont les affiches qui jouent des charmes des actrices mais pour Paradis: espoir, on assiste à un renversement des codes. 

Présentant un trio d’adolescentes légèrement vêtues (une tête de gondole habituellement affriolante), l’affiche pervertit les attentes du spectateur en choisissant des corps atypiques, loin des critères de beauté des magazines. Dévoilant une chair dodue et ostensiblement dévoilée, la photographie ne cherche pas à émoustiller. Au contraire, elle crée un malaise perceptible à travers la crudité des poses et des corps.

Tandis que le regard des personnages est tendu vers un hors-champ invisible, le public, lui, demeure captif de cette vision iconoclaste, pas franchement «vendeuse» et pourtant fascinante. Le portrait d’une adolescence aux antipodes d’un Spring Breakers.

8. You’re Next, de Adam Wingard

Encore un film d’horreur dans ce top, et pour cause: You’re Next a joué la carte du bizarre pour attirer le public en salle. Montrant en plan poitrine un individu masqué, l’affiche intrigue. Sans compter que ledit masque (celui d’un loup) est recouvert de sang.

Distillant des éléments scénaristiques (une bande de personnages masqués attaque une famille), l'affiche fait tout de même le choix de ne pas dévoiler le visage des protagonistes, encore moins d’éventer le mystère de la menace. Le masque permet ainsi de teaser celui qui le contemple mais de lui laisser l’interprétation de qui se cache dessous. Un whodunit version affiche en somme.

9. I Used To Be Darker, de Matthew Porterfield

Sans être l’affiche de l’année, I Used To Be Darker a le mérite d’obliger le public à changer de perspective. Malgré l’amoncellement de codes classiques (une fille alanguie sur son lit et légèrement vêtue, encore), ce visuel, pour être apprécié, contraint à un exercice de contorsion.

Inconsciemment, sans même le vouloir, on se retrouve naturellement à pencher la tête sur le côté pour être dans le «bon sens». Cette gymnastique imposée offre ainsi la possibilité de voir des gens se dénuquer pour observer correctement la comédienne. Sachant que les affiches fleurissent pour la plupart dans des lieux publics, il est amusant d’imaginer le nombre de spectateurs qui ont du choper un torticolis!

10. Les Rencontres d’après minuit, de Yann Gonzalez

Bien que l’illustration paraisse enfantine dans le choix des couleurs pastel et des formes arrondies, l’affiche des Rencontres d’après minuit n’est pas franchement destinée aux petites têtes blondes. Des personnages nus s’enlacent, s’embrassent, couples hétérosexuels ou homosexuels, extatiques, repus de plaisir ou simplement endormis.

Symbolisant la partouze géante à laquelle les héros du film sont conviés, l’affiche se veut plus soft que le film mais la polémique entourant le visuel de L’Inconnu du lac nous a rappelé, l'an dernier, que le puritanisme est encore de mise. D’où l’intelligence du concepteur de cette affiche qui a assumé la thématique du film (une sexualité débridée) tout en nimbant son illustration d’un trait naïf.

Ursula Michel

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