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Centrafrique: les défis sans réponse de l'opération Sangaris

Un mois après son lancement, son issue militaire comme politique reste problématique, et l'implication de la communauté internationale incertaine.

Un soldat français à Bangui, le 23 décembre 2013. REUTERS/Andreea Campeanu.
Un soldat français à Bangui, le 23 décembre 2013. REUTERS/Andreea Campeanu.

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Mais qu’est-il allé faire dans cette galère? Près d'un mois après que François Hollande a ordonné l’intervention française en République centrafricaine, aucune stabilisation de la situation n’est en vue. Les mots «enlisement» ou «bourbier» commencent à être prononcés.

C’est certes prématuré, mais significatif de l’état de l’opinion vis-à-vis de ces interventions extérieures, des guerres qui ne disent pas leur nom et qu’on aimerait voir terminées avant qu’elles aient vraiment commencé. Cette attitude est involontairement encouragée par les responsables politiques eux-mêmes: pour s’assurer un acquiescement majoritaire, ils ont tendance à minimiser et les forces engagées et la durée des engagements.

En présentant l’opération Sangaris, le président de la République avait d’abord énoncé un objectif simple: éviter la répétition des massacres qui avaient commencé à Bangui; expédié des forces modestes: 1.600 hommes; pour un temps limité: six mois. Le contingent français venait officiellement en appui de la force interafricaine Misca, qui devait ensuite prendre le relais. Comme au Mali, la Minusma devait assurer la sécurité après le retrait, au moins partiel, des Français.

Or, plusieurs constats peuvent être faits: 1) les soldats français doivent rester plus nombreux et plus longtemps que prévu à l’origine; 2) les forces africaines sont mal préparées aux missions qu’elles sont supposées remplir, sauf exception, par exemple les Tchadiens, qui posent par ailleurs d’autres problèmes; 3) la solution n’est pas militaire mais politique, mais ce qui a été —difficilement— possible au Mali ne l’est pas nécessairement en RCA.

Tout ceci ne veut pas dire que François Hollande a eu tort de prendre la décision d’intervenir à Bangui. Cette intervention est légitime dans la mesure où elle vise à empêcher des massacres de populations civiles dans une situation que la Maison blanche a qualifiée de «prégénocidaire». Elle est légale puisqu’elle a reçu le soutien unanime du Conseil de sécurité de l’ONU à travers la résolution 2127, votée le 5 décembre.

La France a le douteux privilège d’être la seule puissance, européenne au moins, à avoir à la fois la capacité et la volonté d’intervenir en Afrique, a fortiori dans des anciennes colonies qui ont gardé des liens étroits avec l’ex-métropole. Dans les débats des années 2000, les interventionnistes de gauche aux Etats-Unis avaient fait de l’absence d’intérêts économiques immédiats un critère de la moralité des interventions extérieures. C’est globalement le cas en RCA.

Venant après l’intervention au Mali, l’opération «Sangaris» n’en place pas moins les responsables français devant un certain nombre de défis auxquels ils n’ont, à ce jour, pas apporté de réponse.

1. Une mission ambiguë

Au Mali, l’objectif était clair: empêcher que les groupes djihadistes ne déferlent sur Bamako et ne transforment le pays en un Etat terroriste. En Centrafrique, les rebelles de la Séléka ont déjà pris le pouvoir. Il est difficile de distinguer les milices des forces du nouveau régime.

Pour éviter les massacres, qui ont fait plus d’un millier de morts rien que dans la capitale, il faut désarmer non seulement les combattants des deux camps, mais aussi les civils qui s’arment pour se défendre ou attaquer les adversaires. Les militaires ne sont pas les mieux placés et les mieux entraînés pour remplir des taches de rétablissement ou de maintien de l’ordre. Surtout quand le désordre dégénère en guerre civile.

2. Une guerre de religion

Malgré les appels au calme commun des dignitaires religieux catholique, protestant, musulman, les affrontements prennent de plus en plus un tour confessionnel, les chrétiens reprochant aux musulmans de soutenir la Séléka tandis que les musulmans reprochent aux soldats français de les avoir désarmés les laissant à la merci des milices chrétiennes, le «anti-balaka» (ou anti-machettes). Alors que la France avait été bien accueillie au Mali, les premières manifestations antifrançaises ont eu lieu à Bangui.

3. Pas de solution politique évidente

La RCA est le pays des coups d’Etat. Le président Michel Dotodjia est arrivé au pouvoir en mars à la suite de la victoire des Séléka sur les hommes de François Bozizé, arrivé lui-même à la présidence par un coup de force. Au début de l’année, François Hollande avait laissé faire, donnant simplement pour consigne au petit contingent français sur place (250 hommes) d’assurer la sécurité des Français et des Européens de Bangui.

Officiellement, l’opération Sangaris n’a pas pour objectif un changement de régime en RCA, mais la France devrait veiller à la mise en place d’une transition permettant des élections démocratiques dans le courant de 2014. En même temps, François Hollande a déclaré que Michel Dotodjia s’était disqualifié en laissant faire, voire en encourageant, les massacres et qu’il ne pourrait donc pas concourir à la prochaine élection présidentielle. Cette «ingérence» a été dénoncée comme du «néocolonialisme».

4. Les faiblesses africaines

Si le contingent français de 1.600 hommes est insuffisant pour stabiliser la situation, il devrait pouvoir compter sur le renfort des 4.000 soldats africains de la Misca. Malheureusement, ces derniers ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux.

Les pays contributeurs ne disposent pas des mêmes moyens; leurs troupes ne bénéficient pas du même entraînement et ne font pas preuve de la même combativité. Les dirigeants africains se méfient souvent d’une armée trop bien équipée qui pourrait se retourner contre eux.

L’armée tchadienne fait exception. Elle a montré son savoir-faire —et parfois sa brutalité— au Mali. Mais en RCA, elle tend à être juge et partie. Les Tchadiens sont nombreux dans le pays; certains ont combattu aux côtés des Séléka. Ils sont accusés par les chrétiens de Bangui de prendre fait et cause pour les musulmans.

Des incidents opposant des soldats appartenant à deux contingents de la Misca, des Tchadiens et des Burundais, ont fait des victimes pour la première fois dans une mission internationale.

5. L’Europe absente

Réunis en Conseil européen pour parler, ironie de l’histoire, de la défense européenne, les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-huit ont prodigué quelques bonnes paroles à la France et promis un appui logistique modeste, mais se sont bien gardés de s’engager dans l’opération Sangaris.

Le président de la République française comptait au moins sur une aide financière, pas nécessairement immédiate, sous la forme d’un fonds destiné à financer les opérations extérieures. Cela lui aurait permis de desserrer quelque peu l’étau du budget militaire français, dont la baisse entre en contradiction avec les ambitions politiques de l’exécutif. Il en a été pour ses frais.

«Qui paie, décide», telle a été la réponse de ses collègues européens. La France a décidé seule d’intervenir en Centrafrique. C’est à elle de supporter l’essentiel du fardeau.

Il est vrai que la diplomatie française n’a pas déployé un zèle excessif pour consulter, ni même informer, les partenaires européens. Ceux-ci font mine de s’en plaindre: en réalité, ils ne sont pas mécontents de ne pas avoir à rejeter une demande qui ne leur a pas été faite. La demande ne leur a pas été faite parce que Paris a anticipé une réponse négative et a agi avec une urgence incompatible avec les interminables conciliabules bruxellois.

Les Vingt-huit ont renvoyé à la deuxième quinzaine de janvier une décision sur une initiative européenne commune en Centrafrique. D’ici là, personne ne sait quelle sera la situation sur le terrain.

Les réticences des partenaires de la France ont plusieurs explications. La première est un désintérêt pour l’Afrique. Il est difficile de faire comprendre à la plupart d’entre eux que la déstabilisation de la RCA pourrait avoir des conséquences négatives non seulement pour le continent mais aussi pour l’Europe. Au Mali, au moins on parlait d’al-Qaida, de terrorisme international, de danger migratoire, etc. Le Centrafrique est terra incognita pour la majorité des Européens.

La deuxième explication est une méfiance persistante à l’égard des véritables intentions de la France, soupçonnée de pulsions néocolonialistes incorrigibles. L’argument selon lequel Paris ne demande pas mieux que «d’européaniser» ses interventions ne réussit pas à convaincre de sa bonne foi.

Et puis il y a le confort sécuritaire dans lequel vivent beaucoup de pays européens, soit qu’ils ne font pas la même analyse des menaces, soit qu’ils s’en remettent pour leur défense à l’Otan, c’est-à-dire aux Américains. La crise aidant, ils n’ont ni la volonté ni les moyens d’une véritable politique de sécurité.

Hors la France, deux pays ont la capacité d’agir: la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Mais la première rechigne à agir en dehors de l’Otan et refuse, en tous cas, tout ce qui pourrait renforcer une politique européenne de défense autonome. L’Allemagne, quant à elle, semble revenue à ses tendances pacifistes pré-Afghanistan. Elle a restructuré son armée en vue d’opérations extérieures que les responsables politiques ne veulent pas mener.

6. Où est l’ONU?

Faute d’Europe, François Hollande a demandé au secrétaire général des Nations unies Ban Ki moon de renforcer l’action de l’organisation internationale en RCA et de prévoir la transformation de la Misca en opération de maintien de la paix de l’ONU.

Le vote à l’unanimité de la résolution 2127 était un succès diplomatique français. C’était aussi un moyen pour les quinze membres du Conseil de sécurité de se décharger sur Paris de la solution de la crise. Décidément, dans cette affaire, la France est bien seule.

Daniel Vernet

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