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Comprendre ce qui se passe en Thaïlande

Deux mois de manifestations ont conduit le royaume au bord de la paralysie.

Manifestation anti-gouvernementale devant le ministère de la Défense, le 28 novembre 2013. REUTERS/Damir Sagolj
Manifestation anti-gouvernementale devant le ministère de la Défense, le 28 novembre 2013. REUTERS/Damir Sagolj

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Rien ne va plus au royaume du sourire. Les cinq membres de la Commission électorale, chargée d’organiser des élections anticipées le 2 février 2014, ont dû être évacués par hélicoptère jeudi du stade de la capitale où, entourés de nuages de gaz lacrymogènes, ils enregistraient des candidatures. Des opposants au scrutin avaient assiégé ce stade avec l’objectif avoué d’empêcher l’organisation du vote, apparemment par tous les moyens.

Ils ont obtenu que la Commission électorale recommande au gouvernement de reporter le scrutin. Ne disposant que du pouvoir d’expédier les affaires courantes depuis la dissolution du Parlement le 9 décembre, le gouvernement a rétorqué qu’il ne pouvait qu’appliquer la Constitution, qui dit que des élections générales doivent se tenir dans un délai de 60 jours après une dissolution du Parlement.

Quand la crise a-t-elle commencé?

La crise, amorcée au tournant du siècle, a rebondi une nouvelle fois voilà deux mois quand la majorité parlementaire a bien maladroitement adopté un projet d’amnistie dont aurait pu bénéficier son héros, Thaksin Shinawatra, exilé volontaire depuis 2008 (afin d’échapper à une condamnation à deux ans de prison pour corruption). Ancien officier de police qui a fait fortune dans les télécommunications (et chef du gouvernement de 2001 à 2006), ce dernier a le profil d’un Juan Peron à la thaïlandaise.

Autoritaire, expéditif, n’hésitant pas à avoir recours à des méthodes brutales, Thaksin s’est toutefois taillé une popularité durable, notamment dans le nord et le nord-est très peuplés de la Thaïlande, en offrant aux ruraux et aux pauvres la santé quasi-gratuite et des crédits substantiels. Pour avoir réveillé des masses d’électeurs autrefois sans prise réelle sur le pouvoir, il est la silhouette dominante d’une scène politique qu’il a contribuée à transformer.

Depuis le début du siècle, ses partisans ont emporté tous les scrutins et l’actuel Premier ministre est sa sœur cadette, Yingluck Shinawatra, novice en politique encadrée par les principaux collaborateurs de son frère.

Quel est le programme des manifestants?

Comme la goute d’eau qui fait déborder le vase, le projet d’amnistie a néanmoins soulevé un tollé. Bénéficiant de nombreuses sympathies au sein de l’armée, de l’aristocratie, de la bureaucratie, des milieux d’affaires, un mouvement de protestation dont la force a surpris s’est formé autour d’un tribun, Suthep Thaugsuban, qui entend déraciner ce qu’il qualifie de «régime Thaksin».

C’est son seul programme. Il est parvenu à plusieurs reprises à rassembler des dizaines de milliers de manifestants. Leurs marches à travers Bangkok, armés de sifflets, ont été très applaudies par les employés de bureaux. Originaire du sud du royaume, Suthep est la figure de proue d’un «Comité de réforme démocratique du peuple» allié à plusieurs groupes de pression, y compris des étudiants. Il est appuyé par les gens du sud et les classes moyennes de la capitale.

Les protestataires affirment ne plus vouloir de scrutins qui sont, à leurs yeux, l’objet d’achats de votes et reconduisent au pouvoir depuis douze ans leur adversaires. Pour eux, la marche vers la démocratie doit comporter plusieurs étapes avant d’en arriver à un régime entièrement électif. Ainsi, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, ils exigent au moins, dans le cadre d’une transition, un régime semi-électif. Ils réclament des réformes avant tout scrutin, et non après, contrairement à ce que propose le gouvernement.

En deux mois de manifestations, les protestataires sont parvenus à faire reculer plusieurs fois le gouvernement. Non seulement Yingluck a été contrainte de ranger dans un tiroir tout projet d’amnistie mais elle a dû freiner parfois la police et laisser les manifestants s’installer à plusieurs reprises dans des ministères.

Pourquoi on craint de nouvelles violences?

Sur la défensive, sachant que son parti est considéré comme le favori de tout scrutin, Yingluck a fini par dissoudre le Parlement avec le mince espoir que le retour aux urnes calmerait le jeu. En vain: les protestataires ne veulent pas d’élections et entendent bloquer le processus électoral (même le Parti démocrate, principale formation de l’opposition, a annoncé boycotter le scrutin).

Dans un pays où les crises politiques ont souvent débouché sur des coups d’Etat sans pour autant se résorber, la menace de violences n’est donc pas écartée. Début décembre, les esprits se sont calmés le temps de célébrer le 86e anniversaire de Bhumibol Adulyadej, monarque adulé et dont la fin du très long règne est triste. L’esprit vindicatif a repris, depuis, le dessus. Les possibilités de réconciliation semblant bien faibles, l’avenir se dessinera plus probablement dans la rue, loin des urnes.

Jean-Claude Pomonti

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