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Edward Snowden est d'ores et déjà l'homme de 2014

Les révélations provoquées par les agissements de l'ancien sous-traitant de la NSA ont eu des conséquences palpables cette année, mais on peut s'attendre à encore davantage de divulgations de ce genre dans les mois à venir.

Des passants portant des masques de Snowden à Brasilia, le 6 août 2013. REUTERS/Ueslei Marcelino.
Des passants portant des masques de Snowden à Brasilia, le 6 août 2013. REUTERS/Ueslei Marcelino.

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Il y a un an quasiment jour pour jour je prédisais que 2013 allait être une année importante pour la surveillance gouvernementale. Mais jamais je n'aurais pu en imaginer l'ampleur, conséquence, en particulier, des agissements d'un Américain solitaire: Edward Snowden.

En juin, en avouant qu'il était la source unique d'une série de révélations extraordinaires sur des programmes d'espionnage gouvernementaux tentaculaires, l'ancien sous-traitant de la NSA devenait, à 30 ans et presque du jour au lendemain, un nom commun. Les divulgations de Snowden —soit la fuite la plus conséquente d'informations top secrètes de toute l'histoire— mettaient au grand jour les activités clandestines du gouvernement américain et de ses alliés, relevant d'un niveau de contrôle sans précédent du grand public. On leur doit aussi un débat international, et depuis longtemps nécessaire, sur l'ampleur grandissante des méthodes modernes de surveillance électronique. 

La chose ne pouvait pas mieux tomber. Comme une prémonition, la veille de la toute première révélation explosive de Snowden sur la collecte, par la NSA, des données téléphoniques de millions de clients Verizon, le compte-rendu annuel du rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression de l'ONU avertissait de la possibilité, de plus en plus manifeste, qu'avaient les gouvernements de «surveiller et d'enregistrer des communications Internet et téléphoniques à une échelle nationale». Selon le rapport, de nouvelles technologies étaient en train de faciliter «une surveillance massive et arbitraire des individus, sans doute dans l'impossibilité de savoir s'ils ont été soumis à une telle surveillance et encore moins de la contester»

Le rapport de l'ONU se fondait sur des fragments de preuves, globalement indirectes, d'opérations gouvernementales et secrètes de surveillance. De fait, bon nombre d'informations circulaient déjà sur l'essor progressif des technologies de surveillance de masse. Mais aucun document attestant en détail de leur fonctionnement n'avait encore été produit, ce qui faisait que de tels programmes pouvaient toujours être démentis ou contestés par les autorités.

Des documents de première main

En fournissant une quantité considérable de documents de première main, Snowden a complètement changé la donne. Désormais, quiconque soutient l'existence d'un large filet de programmes d'espionnage —ou tente de s'y opposer par la voie judiciaire— ne peut plus être accusé d'émettre des conjectures vaseuses ou d'être un taré paranoïaque.

Le premier scoop fondé sur les informations de Snowden, celui sur Verizon, a permis de démasquer un programme qui, comme on allait l'apprendre plus tard, consistait en une collecte par la NSA, et au cours des sept dernières années, des archives téléphoniques de la quasi-totalité des Américains. Ce programme, révélé tout d'abord par le Guardian, n'a pas cessé depuis d'avoir des répercussions aux États-Unis et vient d'être considéré comme probablement anticonstitutionnel par un juge fédéral.

Au plan international, l'indignation a surtout porté sur la surveillance massive des communications Internet effectuée par la NSA et ses homologues britanniques du GCHQ dans le cadre de programmes controversés tels que PrismXKeyscoreTempora ou encore Muscular qui, l'un dans l'autre, ont permis de collecter, quotidiennement, des millions de communications.

Ces programmes ont donné lieu à une méticuleuse enquête de la part du Parlement européen et ont incité les principaux fournisseurs Internet à demander au président Obama d'initier une réforme mondiale des politiques de surveillance. (Un premier panel mis en place par la Maison Blanche pour examiner cette surveillance a proposé, de manière indépendante, une série de réformes qui, si elles sont toutes adoptées, permettraient un contrôle accru des programmes de la NSA).

Des conséquences encore difficiles à quantifier

D'autres révélations d'importance ont aussi mis en lumière les initiatives agressives de la NSA et du GCHQ visant à contourner, affaiblir et déjouer le cryptage qui garantit la sécurité d'Internet. Ces tactiques ont été condamnées par des cryptographes qui ont accusé ces agences d'espionnage d'«agir contre les intérêts du public». De plus, les fuites ont aussi montré comment les agences piratent les systèmes informatiques de gouvernements amis et infiltrent secrètement les infrastructures de télécommunications d'alliés.

Elles ont aussi révélé que les opérations de surveillance de la NSA sont imbriquées dans le programme de drones clandestins de la CIA, mais également que l'agence surveille la géolocalisation de milliards de téléphones portables. Sans oublier la dénonciation de l'espionnage, effectué par les services américains et britanniques, des communications de responsables politiques de gouvernements alliés —les écoutes par la NSA des dirigeants brésiliens et allemands ayant même déclenché une grave crise diplomatique.

Aujourd'hui, il est difficile de quantifier précisément quelles seront, à long terme, les conséquences des révélations de Snowden. L'ex sous-traitant de la NSA, vivant auparavant à Hawaï, est toujours exilé en Russie et craint que le gouvernement américain ne lui cherche des noises si jamais il remet le pied aux États-Unis.

Pour autant, ses actions ont déclenché ce qui semble être un changement culturel, certes partiel, mais vital, au sein de l'administration Obama quant à la question des secrets d’État, une transition qui a permis la déclassification de documents juridiques top secrets révélant comment la NSA a pu violer la loi en de nombreuses occasions et induire en erreur les juges censés la chapeauter.

Un débat «probablement nécessaire»

Les révélations de Snowden ont eu —et ont toujours— un rôle d'envergure à jouer dans le débat international sur le contrôle d'opérations gouvernementales secrètes en régimes démocratiques, et les comptes que ceux-ci doivent rendre aux citoyens.

Le 18 décembre, par exemple, les Nations unies ont voté à l'unanimité en faveur de limitations de la surveillance électronique massive. Et même le chef du renseignement national américain, James Clapper —qui, selon certaines fuites, aurait menti devant le Congrès— a été forcé d'admettre que le débat suscité par les révélations de Snowden «était probablement nécessaire».

Mais, à bien des égards, nous n'en sommes qu'au début. Six mois après le premier scoop Snowden, les premiers signes, substantiels, d'évolutions politiques et juridiques commencent tout juste à se faire sentir. Par ailleurs, malgré les funestes tentatives de certains gouvernements d'empêcher les journalistes de parler d'informations confidentielles, les articles ne cesseront d'affluer. Et je peux le dire avec un haut degré de certitude car, en travaillant avec l'ancien journaliste du Guardian Glenn Greenwald, j'ai eu la chance de voir les documents que Snowden lui a confiés plus tôt cette année.

Attendez-vous donc à davantage de révélations, et leur lot de décisions de justice, d'auditions parlementaires, de scandales et de réformes. 2013 a sans doute été l'année de Snowden, mais il y a fort à parier que le lanceur d'alerte revienne en force en 2014.

Ryan Gallagher   

Traduit par Peggy Sastre

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