Culture

Brad Pitt, 50 ans, sa vie, son œuvre, son torse nu en salopette

Je le connais bien, on a grandi ensemble et je peux vous dire pourquoi et comment il est devenu une supermégastar.

Brad Pitt en 2008. REUTERS/Mario Anzuoni
Brad Pitt en 2008. REUTERS/Mario Anzuoni

Temps de lecture: 9 minutes

Alors que nous apprenons la séparation d'Angelina Jolie et de Brad Pitt via le site TMZ, nous republions cet article écrit pour les 50 ans de l'acteur. 

Attention: ce 18 décembre 2013, Brad Pitt atteint les 50 ans. La moitié d’un siècle.

L’occasion de se pencher sur le phénomène Brad Pitt et accessoirement de lui faire parvenir une déclaration d’amour parce que ça serait pas mal qu’il se décide à me contacter avant ses 60 ans.

1.Mettons tout de suite les choses au clair. Si quand vous voyez ça:

vous ne faites pas «wahaaaaa...» salive + langue + babines, je peux vous tartiner 5 pages d’analyse «Brad Pitt, sa vie, son œuvre», vous ne comprendrez jamais.

Ce n’est pas juste une question de beauté. Il a une belle gueule, mais avec des petits yeux et un nez bizarre qui m’a toujours un peu chiffonnée. Esthétiquement, Johnny Depp a un visage plus proche de la perfection.

Mais Brad a ce truc indéfinissable, comme Marilyn Monroe, une présence qui est un cran au-delà du charisme et du charme. Un sex-appeal qui pourrait faire mouiller un cactus. Une manière nonchalante d’exister sur l'écran qui écrase à peu près tout le reste. Cette désinvolture transparaît notamment dans un de ses gimmicks d'acteur: la bouffe. Dans ses films, il s'enfourne de la nourriture comme s'il ne faisait que passer par là, par hasard en grignotant n'importe quelle merde. 

Ceci étant posé, il y a une autre explication plus générationnelle à ma Pitt-passion. Entre lui et moi, il existe une conjonction temporelle. (Non, je ne vais pas avoir 50 ans.) On a grandi ensemble. Ça a commencé dans les années 1980. J’étais une gamine qui bouffait toutes les séries américaines existantes, notamment parce que je m’emmerdais comme un rat crevé. Brad était un jeune acteur qui suivait des cours de théâtre et faisait de brèves apparitions dans ces sitcoms (Dallas, 21 Jump Street, Quoi de neuf docteur?). Ou simplement dans des pubs.

Vous vous souvenez peut-être de cette pub Levi’s au scénario incompréhensible:

Le niveau de ses prestations étaient donc à la hauteur de mes faibles capacités intellectuelles et son sourire me disait «viens, la vie va être chouette».

Ah ah ah... C'est dur le début d'une carrière.

Et puis, il y a eu ce grand film féministe qu’est Thelma et Louise et cette scène mythique où il passe le vagin de Geena Davis à la centrifugeuse me laissant entrevoir un concept encore flou: l’orgasme. («Viens, le sexe ça va être vraiment génial.»)

Après ça, j’ai gagné quelques connexions neuronales supplémentaires, ce qui tombait bien puisqu’au même moment, de l’autre côté de l’océan, il montait en grade avec des premiers rôles aux thématiques assez simples pour parler à mon cerveau d’adolescente:

Entretien avec un vampire: suis-je bon ou mauvais ? (J’avais 14 ans, j’étais comme son personnage en pleine crise existentielle.) A noter au passage que dans ce film, il tombait amoureux d’une gamine de 12 ans, ce qui ouvrait la porte à notre future et inévitable romance.

Légendes d’automne: comment savoir si je fais le bon choix de vie (par exemple en me tapant la meuf de mon frère)?

Et au milieu coule une rivière: est-ce humainement possible d’être plus craquant que ça? (Ce n’est peut-être pas la thématique que Redford voulait développer, mais c’est celle que j’y ai vue.)

Il a aussi joué un rôle certes mineur de «coach potato», dans le film culte de mon adolescence, True Romance, ce qui m’est apparu comme un signe supplémentaire de notre destin commun. Du coup, dans la foulée, je m’étais fait Kalifornia. (Franchement, qu’est-ce que vous trouviez tous à Juliette Lewis?) J’ai même vu Cool World, et on n’est pas nombreux, un obscur film avec Kim Basinger déniché en VHS chez un loueur improbable.

Tout ça, c’était sympa, mais je grandissais et il aurait continué sur la même lancée, on aurait dû se dire au revoir (comme un jour j’ai dit adieu à Christian Slater). Parce que bon, lui-même le reconnaît: ce ne sont pas des chefs d’œuvre mais plutôt des films formatés pour le box-office.

Par exemple, dans Légende d’automne, ils ont coupé sa scène préférée à la suite d'un «test public». Pour Entretien avec un vampire, la passivité de ce qu’il devait jouer le déprimait tellement qu’il a appelé un producteur pour savoir combien il fallait payer pour le sortir du film. 40 millions de dollars. Il a fini le tournage. 

Mais après Légendes d’automne, il obtient le statut de star, et il peut enfin imposer ses exigences, qui n’étaient pas «des putes et de la coke», mais qui devaient le protéger des fameux test-public. Pour son film suivant, Se7en, il a fait écrire dans le contrat <SPOILER> que la tête de Paltrow devait rester dans la boîte et que son personnage devait tuer Spacey à la fin.

Il a bien anticipé parce qu’après le tournage, on lui annonce qu’en fait le public se sentirait plus à l’aise si son personnage agissait bien et livrait le méchant à la police et aussi si dans la boîte, c’était en fait une tête de chien. </SPOILER>

S’il n’avait pas été à un moment de sa carrière qui lui permettait d’emmerder les studios avec des contrats verrouillés, Se7en aurait été un film médiocre et, comme à l’époque j’avais augmenté d’un cran mes propres exigences, j’aurais décrété que c’était une merde. Notre évolution en parallèle était donc parfaite. Je lisais Michel Butor, il jouait un malade psychiatrique dans L’Armée des 12 singes. Nous étions en communion totale.

Mais là... On en parle ou pas? Je sais, Brad, c’est gênant... Rencontre avec Joe Black. Bon… Tu étais à un moment compliqué de ta vie personnelle. Je pense que ce n’est pas la peine de s’appesantir dessus.

J’ai 19 ans quand sort Fight Club.

Un film qu’il faut voir à 19 ans. Et l’année suivante, Snatch.

Ça aurait pu/dû me passer avec les années. Notamment en découvrant qu’il y avait d’autres individus masculins avec qui franchement il était plus facile de coucher. Mais il n’y a pas mis du sien par exemple en exhibant ses muscles dans Troie. (Aaaaaahhhhhhhhhh…) Une performance qui a valu à ma mère, après plusieurs années à avoir supporté sa gueule en poster dans ma chambre avec des soupirs, de lâcher comme commentaire «c’est quand même une belle bête ton Brad».

Je ne veux pas faire du mal aux autres hommes, mais j’aimerais rappeler que dans Troie, il avait 40 ans.

Ok, ça lui a pris un an de préparation physique mais quand même, on va dire qu’il a un capital génétique assez hors norme.

Plus les années passent, plus ses choix de films s’améliorent et, énième preuve du destin qui nous lie pour l’éternité, il se trouve qu’on a les mêmes goûts cinématographiques. En 2007 par exemple, il joue dans ce qui selon moi reste son meilleur film, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. A ce stade, il fait ce qu’il veut et tourne avec Soderbergh, les frères Coen, Tarantino, Malick, etc.

2.D'abord star, puis superstar

«C’est incroyable! Tu travailles mais tu n’as jamais rien fait d’iconique. Rien comme Han Solo ou Indiana Jones.»

Et c’est vrai. Il n’y a pas un seul rôle de Brad Pitt qui soit devenu un personnage marquant. Si vous n’êtes pas fan, difficile de citer une réplique culte. On n’est pas marqué par un de ses personnages mais par les films dans lesquels il joue.

D’ailleurs, pour nombre de ses films, il a simplement contacté les réalisateurs qu’il aimait en disant «hey, si t’as un rôle, n’importe lequel pour moi dans ton prochain film, ça serait super!». Il est capable de lire un scénario et demander le rôle secondaire parce qu’il sait qu’il lui conviendra mieux que celui du héros.

Corollaire: il baisse ses cachets pour certains films. Ou il les produit lui-même (Troie, Le Stratège, Killing them softly, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Tree of life», World War Z, 12 years a slave).

En toute logique, tout cela aurait dû le cantonner à une carrière de second plan d’acteur ayant bon goût mais ne cartonnant jamais et dont les gens auraient mis 25 ans à se souvenir du nom. «Tiens, c’est le mec qui jouait dans l’autre film là… mais si tu sais, le film où il fait un mec drôle qui parle bizarrement.» Sauf que voilà, il y a ce physique. Et des hordes de minettes comme moi.

Brad Pitt est un cas à part à Hollywood pour une autre raison: il n’a jamais connu de traversée du désert. Pendant toute sa carrière, Il a réussi à alterner trois grands types de films:

– les rôles secondaires comiques de mec dérangé (True Romance, L’Armée des 12 singes, Snatch, Burn after reading, Inglorious Basterds)

– les grosses productions (Entretien avec un vampire, Légendes d’Automne, la trilogie Ocean’s, Troie, Mr & Mrs Smith, World War Z, Cartel)

– les films plus «auteur»/contemplatif/poétique/festival de cinéma (Babel, The Tree of life, L’Assassinat de Jesse James..., Cogan, Le Stratège, L’Etrange histoire de Benjamin Button). 

Il a toujours eu un de ces films qui marchait au box-office ou bien accueilli par la critique. Mais si Brad Pitt a atteint le stade de «supermégastar mondiale», on ne va pas se mentir, ce n’est pas seulement pour ses performances d’acteur. Sa vie privée y est pour beaucoup.

Il y a une dizaine d’années, Brad était une star. Une grosse star. Il avait sa belle gueule et une vie privée parfaite pour les tabloïds. Une histoire d’amour passionnée avec Gwyneth Paltrow à l’époque où elle avait la cote (oui, cette époque a existé), puis son mariage avec Jennifer Aniston, la fille sympa par définition. Il jouait dans Friends, ce qui augmentait encore sa cote de participation à des trucs cultes. (Certes contrebalancé par des films comme Le Mexicain.)

Mais il n’était pas encore une supermégastar.

Brad Pitt n’a jamais donné l’impression que sa carrière suffisait à l’épanouir. Il n’a pas versé dans le grand classique de l’autodestruction, et je le remercie de nous avoir épargné les clichés de chambres d’hôtel mises à sac et d’arrestations pour conduite sous l’influence de stupéfiants. Mais dans toutes les interviews, au fil des années, revenait un lancinant «l’année dernière je n’allais pas bien mais ça s’arrange» qui n’augurait rien de bon. Une insatisfaction chronique de se laisser guider par les événements. Dans le fond, le cinéma, ce n’était même pas son obsession. C’est bien pour ça qu’il a voulu être tour à tour journaliste, architecte, publicitaire et qu’il envisage sans difficulté de moins tourner passé les 50 ans.

Et puis, il y a dix ans, quelque chose a changé. Il a arrêté d’être le mec qui ne finit jamais les choses. Dans une interview donnée à Esquire cette année, revenant sur le fait qu’étudiant, à deux semaines de sa remise de diplôme, il a tout planté pour partir à Los Angeles et tenter sa chance comme acteur, il raconte:

«Il me manquait deux crédits pour être diplômé. Deux crédits. Tout ce que j’avais à faire, c’était écrire une dissert'. Quel genre de mec fait ça? Ce mec –celui qui laisse toujours un peu de reste dans son assiette– me fait peur. Pendant longtemps, j’étais un peu un vagabond. Un type qui avait l’impression d’avoir grandi dans une sorte de vide et qui voulait voir les choses, être inspiré. J’ai passé des années à merder. Mais j’ai senti que je passais à côté de ma chance. C’était un changement conscient. Il y a une dizaine d’années. C’était une révélation –la décision de ne plus gaspiller mes opportunités. Parce que sinon, à quoi ça sert?»

Juste après cette épiphanie existentielle, il rencontre Angelina Jolie. Depuis qu’il avait quitté la fac à deux semaines de son diplôme, ce n’était pas une carrière qu’il cherchait mais autre chose. Une existence différente, plus réelle, plus ample, dans laquelle il se sentirait enfin à l’aise. Et le cinéma ne lui a pas directement apporté ce bien-être. (Ni Jennifer Aniston, mais ça, j’aurais pu lui dire moi-même.)

C’est l’équation pognon du ciné + Angelina Jolie qui lui aura permis de construire enfin cette vie. Et d’atteindre le rang de «supermégastar». Parce que le public a été fasciné par cette nouvelle existence aux quatre coins du monde, les six gamins, l’association humanitaire, la carrière en parallèle.

Et pourtant, les photos de paparazzis ne les montrent jamais dans des grosses fêtes ou au bord d’une plage paradisiaque. Depuis des années, on voit la même photo :

La famille Jolie-Pitt en promenade. C’est tout. Sensiblement la même photo depuis 8 ans, nonobstant le nombre d'enfants en augmentation. 

Le couple qu’il forme avec Angelina Jolie (qui a aussi de son côté fait sa mue) et la famille qu’ils ont fondée sont fascinants parce qu’ils donnent l’impression d’avoir entièrement inventé leur mode de vie et trouvé quelque chose qui peut paraître con mais qui manque à pas mal de personnes, un truc désuet et fondamental, ce qu’avant on appelait «un sens à sa vie».

Vous allez me dire qu’avec du fric, c’est facile de trouver le sens de la vie, mais demandez à Britney Spears ou Lindsay Lohan, elles vous confirmeront que non.

Bon anniversaire William Bradley Pitt. On a grandi ensemble et désormais, on vieillit ensemble. J’imagine que les gamines d’aujourd’hui doivent te regarder comme je regardais Robert Redford quand j’avais leur âge, avec une tendresse respectueuse.

On est en train de vieillir mais j’aime bien ce que tu es devenu depuis l’époque où je portais des docs martens et un bombers et où tu posais nu en salopette. Je me dis que je ne m’étais pas trompée et qu’une ado aux hormones en ébullition ferait une très bonne directrice de casting.

Pour finir, sache que tu ne me feras pas croire qu’il s’agit d’une coïncidence si ton prochain film (comme acteur et producteur) 12 years a slave (de Steve McQueen avec Michael Fassbinder) sort le 22 janvier prochain… soit le jour de mon anniversaire. Je te remercie donc pour cette délicate attention.

En bonus, un truc assez rare: Brad Pitt en plein fou rire, pendant le tournage du Stratège.

Et si vous voulez plus d'informations biographiques sur Brad, vous pouvez regarder cet épisode de Tout est vrai (que j'ai co-écrit).

cover
-
/
cover

Liste de lecture