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Le sexe anal non protégé devrait-il TOUJOURS être déconseillé?

Pendant des décennies, nous avons tenté de pousser les gays (et pas qu’eux) à utiliser des préservatifs par tous les moyens: honte, culpabilité et peur. Pendant des années, ça a marché.

Compétition de «bareback» dans un championnat de rodéo à Calgary au Canada, en 2012. REUTERS/Todd Korol
Compétition de «bareback» dans un championnat de rodéo à Calgary au Canada, en 2012. REUTERS/Todd Korol

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Fin novembre, le CDC a publié un rapport indiquant que le barebacking, ou le sexe anal non protégé entre deux hommes, était une tendance en hausse, de près de 20% entre 2005 et 2011 aux Etats-Unis[1]. Cette nouvelle a provoqué une vague de protestations de la part des experts des questions de santé publique et la désapprobation des vétérans de la lutte contre le sida qui craignent une «nouvelle épidémie» (on n’était pas au courant que l’ancienne était terminée).

Ces réactions sont compréhensibles –mais leur ton alarmiste est injustifié. J’admets bien volontiers que le barebacking est généralement un problème, mais c’est un problème que les tactiques démodées qui visent à effrayer l’auditoire ne peuvent qu’exacerber.

Voilà le paradoxe à la racine de cette dérive vers le barebacking. Le VIH devenant plus facile à traiter, il est devenu moins effrayant –et comme il devient moins effrayant, plus de gens vont le contracter. Le syllogisme est simple. Les mémoires traumatiques des années 1980 s’effacent rapidement de la mémoire générationnelle. Ces histoires horribles et ces images traumatisantes ont convaincu une génération de gays d’utiliser des préservatifs, mais le paysage actuel est en train de changer, immuablement.

Dans les pays développés, le VIH n’est plus synonyme de peine de mort et s’apparente à une maladie chronique. Les médicaments antirétroviraux ont considérablement réduit le risque de transmission du VIH entre partenaires séropositifs et séronégatifs, changeant la donne. Les probabilités d’être infecté paraissant moindres, la question posée n’est semble-t-il plus «pourquoi courir le risque?» mais «pourquoi ne pas le courir?».

On peut entendre des tentatives de rationalisation d’une telle attitude, généralement stupides. Des millions de personnes séropositives ignorent qu’elles le sont ou sont dans le déni; cette ignorance dangereuse augmente considérablement les risques d’être infecté. Même ceux qui sont sous traitement d’antirétroviraux peuvent oublier de les prendre et être de nouveau susceptibles d’infecter un partenaire.

Et si le VIH est certainement traitable (pas soignable), le traitement est compliqué et coûteux. Pour faire court, le VIH est une maladie que personne de sensé ne devrait souhaiter contracter. Les arguments contre la pratique du barebacking avec un partenaire non-monogame demeurent donc aussi forts qu’auparavant.

Si les homosexuels masculins sont aussi malins que la moyenne, pourquoi ne le voient-ils pas? La réponse de la communauté LGBT à la publication de la dernière étude du CDC suggère une réponse. Pendant des décennies, nous avons tenté de pousser les gays (et pas qu’eux) à utiliser des préservatifs par tous les moyens: honte, culpabilité et peur. Pendant des années, ça a marché.

Mais en 2013, cette tactique obsolète a plus que mérité de faire valoir ses droits à la retraite. Le cauchemar des années 1980 ne reflète plus la réalité du VIH aujourd’hui; les thuriféraires de la capote ont vu leur meilleur argument –la peur– disparaître. Si nous souhaitons empêcher une «nouvelle épidémie de sida», il va falloir développer de nouvelles stratégies. Et la première stratégie devrait consister à dire que le barebacking n’est pas que dangereux et stupide; cela peut également être la récompense saine et épanouissante de la monogamie.

Il devrait paraître évident qu’un couple gay monogame et séroconcordant peut parfaitement avoir des rapports sexuels sans protection. (Pour les couples sérodiscordants, la question est plus complexe.) Mais la crainte du sida –combinée à la persistance du mythe selon lequel tous les gays changeraient constamment de partenaires– tend à faire passer ce sujet sous silence.

Pourtant, à l’époque du mariage pour tous et de la monogamie homosexuelle, ce silence est anachronique au mieux et insultant au pire, car il implique l’idée que les gays seraient incapables d’être fidèles. Que l’on trouve la monogamie noble ou ridicule, elle constitue clairement la meilleure garantie d’une bonne santé sur le plan sexuel. Pour les gays ayant ce souhait, nous devrions promouvoir de bon cœur l’idée d’une relation stable, faite d’amour, de soutien mutuel et, bien sûr, de sexe non protégé.

Cette tâche est rendue plus urgente encore par une vérité qui dérange: le barebacking est bien plus agréable, au niveau des sensations, pour les deux partenaires. Tous les gays finissent, tôt ou tard, par le savoir –pourquoi mentir à ce sujet? Si nous ne pouvons promettre aux gays une récompense, une fin prévisible à tous les tracas liés à l’utilisation de préservatifs, ils risquent fort d’être frustrés et de craquer ou de renoncer. Promouvoir, au sein de la communauté, la relation stable comme objectif –et avec elle l’avantage annexe du barebacking–  ferait passer le barebacking du statut de fruit défendu à celui de récompense digne d’être obtenue.

Tout ceci ne veut pas pour autant dire que le barebacking est sans danger. Les préservatifs peuvent craquer, tout comme un partenaire peut vous tromper ou vous mentir sur son statut VIH. Mais vous n’entendrez personne brandir ce genre d’arguments pour convaincre des couples monogames hétérosexuels et pour une bonne raison: ils sont extrêmement insultants.

Tout couple engagé dans une relation stable, monogame et sur la longue durée a gagné le droit de cesser d’utiliser des préservatifs s’il le souhaite. Cessons donc de considérer le barebacking comme une pratique sexuelle irréfléchie, comme une erreur navrante et prenons-le pour ce qu’il est: non pas comme une faute déplorable mais comme la gratification de l’engagement.

Mark Joseph Stern

Traduit par Antoine Bourguilleau

[1] En France, une étude épidémiologique citée par Le Monde rapporte «une diminution de l'usage systématique du préservatif depuis 2000, quel que soit le statut sérologique des personnes». Retourner à l'article

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