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L'essentiel, c'est de ne pas y aller (aux JO de Sotchi)

Les dirigeants européens, comme François Hollande, ne se précipitent pas pour assister à l'ouverture de la quinzaine olympique pour célébrer la conception russe de la paix et «l’amitié entre les peuples». Une manière feutrée de manifester un malaise.

Vladimir Poutine visite le site de saut à skis près de Sochi, en novembre 2013. REUTERS/Aleksey Nikolskyi/RIA Novosti/Kremlin
Vladimir Poutine visite le site de saut à skis près de Sochi, en novembre 2013. REUTERS/Aleksey Nikolskyi/RIA Novosti/Kremlin

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François Hollande ne se rendra pas à Sotchi en février 2014 pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver. Laurent Fabius l’a annoncé dimanche sur le ton de l’évidence comme si la question ne se posait même pas. Sans doute le ministre des affaires étrangères veut-il ainsi éviter toute surinterprétation politique de cette décision.

En août 2008, cependant, Nicolas Sarkozy, le président de la République, avait assisté à l’ouverture des JO de Pékin. Il avait longtemps hésité mais il se devait de redresser l’image de la France en Chine après le passage mouvementé de la flamme olympique à Paris. Des manifestants avaient protesté contre la répression des Tibétains. C’était une forme de rattrapage.

Pour ne pas envenimer les relations avec Moscou, les autorités françaises chercheront à minimiser la portée politique de la décision de François Hollande. Il n’en reste pas moins que le chef de l’Etat n’est pas seul dans son cas. Le président de la République fédérale d’Allemagne, Joachim Gauck, a annoncé, il y a quelques jours, déjà, qu’il n’irait pas à Sotchi, en laissant entendre qu’il entendait ainsi protester contre le sort fait aux opposants en Russie.

Sa décision a suscité des réactions diverses. La chancelière Angela Merkel a été irritée de ne pas avoir été consultée. Elle craint qu’en donnant une certaine publicité à son geste, Joachim Gauck n’envenime les relations avec le Kremlin. Il est vrai qu’elle est soumise à des pressions contradictoires. Elle-même a avec Vladimir Poutine des relations assez tièdes mais les industriels allemands sont très attentifs à tout ce qui pourrait gêner leur développement sur le marché russe. Et l’Allemagne est largement tributaire du gaz russe pour son approvisionnement énergétique.

En même temps, le régime de Vladimir Poutine et le peu de cas qu’il fait des droits de l’homme sont ouvertement critiqués par l’expert de la Russie au groupe parlementaire chrétien-démocrate, le parti de la chancelière. La décision du président allemand est «appropriée», a-t-il déclaré. Quant au Parti social-démocrate, il est traditionnellement favorable à de bonnes relations avec Moscou. Le ministre des affaires étrangères du nouveau gouvernement, Frank-Walter Steinmeier, a participé en tant que chef de la Chancellerie à la définition de la politique russe de Gerhard Schröder avant que celui-ci ne devienne un salarié de Gazprom.

L’absence de chefs d’Etat à Sotchi n’a rien à voir avec un boycottage des Jeux d’hiver. Contrairement à ce qui s’était passé en 1980. Lors des premiers (et des derniers) JO d’été qui s’étaient tenus à Moscou cette année-là, un certain nombre de pays occidentaux avaient suivi l’appel au boycottage lancé par les Etats-Unis. L’Allemagne et la Grande-Bretagne par exemple, dont les athlètes n’étaient pas allés en Russie.

Il s’agissait alors de protester contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan qui avait commencé quelques mois plus tôt et contre le bannissement de l’académicien et prix Nobel de la paix, Andreï Sakharov. Le président de la République française, Valéry Giscard d’Estaing, qui ne voulait pas se brouiller avec Léonid Brejnev, avait laissé la décision au Comité olympique français tout en lui conseillant discrètement de se rendre à Moscou.

Il est vrai que l’idée de boycotter les JO était controversée, y compris dans le milieu des dissidents soviétiques. Certains soutenaient que le boycottage était un message clair envoyé aux dirigeants de l’URSS. D’autres –y compris Andreï Sakharov quand il était encore libre de ses mouvements– considéraient au contraire que l’afflux d’étrangers à Moscou et dans d’autres grandes villes était une occasion rare de rencontres et d’ouverture vers l’extérieur.

Les mêmes divergences existent aujourd’hui dans l’opposition russe, plus de trois décennies après les JO de Moscou. Certains estiment même que dans la perspective des Jeux de Sotchi et pour polir quelque peu l’image de la Russie, le régime Poutine pourrait montrer une forme d’indulgence envers des prisonniers politiques, comme les Pussy Riot, et des manifestants en attente de jugement. Sans d’ailleurs se faire trop d’illusions sur ce qui pourrait se passer une fois éteints les lampions des JO.

Toutefois, la situation intérieure de la Russie n’est pas le seul sujet de préoccupation des dirigeants européens. Ils ne peuvent pas ne pas constater le durcissement de la politique étrangère russe qui se manifeste en particulier envers ce qu’à Moscou on appelle «l’étranger proche», c’est-à-dire les anciennes républiques de l’URSS, indépendantes depuis 1991.

Au cours des derniers mois, le Kremlin a mené campagne contre le «partenariat oriental» proposé par l’Union européenne en n’hésitant pas à recourir au chantage: baisse du prix du gaz pour les uns, fermeture au moins partielle du marché russe pour les autres. La Moldavie et la Géorgie ont tenu bon; l’Arménie a cédé. Le refus du président Ianoukovitch de signer l’accord d’association avec Bruxelles a mis des dizaines et des dizaines de milliers d’Ukrainiens dans les rues.

Si l’on ajoute le soutien de Vladimir Poutine à Bachar el-Assad, qui ne s’est guère démenti, on comprend que les dirigeants européens ne se précipitent pas à Sotchi pour célébrer la conception russe de la paix et «l’amitié entre les peuples». Se rendre aux JO d’hiver n’est pas une obligation protocolaire; ne pas s’y rendre est une manière feutrée de manifester un malaise.

Daniel Vernet

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