Culture

La solitude du trompettiste classique au moment du concerto

A 30 ans, Romain Leleu a déjà une belle carrière derrière lui. De multiples concerts, quatre disques, une Victoire de la musique… Problème: il joue de la trompette, un instrument peu prisé des compositeurs. Rencontre.

Romain Leleu et l'ensemble Convergences / Caroline Doutre
Romain Leleu et l'ensemble Convergences / Caroline Doutre

Temps de lecture: 4 minutes

Quand j’ai parlé de trompette classique en réunion à Slate.fr, on a ri. Trompette? Classique?

Difficile d’imaginer un orchestre de jazz sans cuivres. Et des solistes comme Louis Armstrong ou Miles Davis sont indissociables de l’instrument.

Mais ce n’est pas vraiment le cas dans le classique, où pianistes et violonistes occupent le devant de la scène —au propre comme au figuré. Violoncellistes et clarinettistes ont également un important répertoire.

Et la trompette? «C’est un instrument qui a plein de possibilités, mais pas le répertoire du violon ou du piano», observe Romain Leleu. Dans les «cuivres», même le cor est mieux loti: «Ils ont quatre concertos de Mozart, déjà!», s’exclame-t-il. «Et un très beau répertoire de chambre, avec le trio de Brahms par exemple.»

Le répertoire de la trompette est en effet peu fourni. On y trouve quelques concertos, ceux de Johan Nepomuk Hummel et de Joseph Haydn étant les plus connus. Mais «le XIXe siècle a complètement ignoré l’instrument. On n’a pas de Schumann ou de Schubert», regrette le trompettiste. Avant d’observer:

«C’est embarrassant quand même, on est obligés de créer un répertoire.»

Un assemblage hétéroclite étonnant d’unité

C’est à cela que Romain Leleu s’emploie avec l’ensemble Convergences, fondé «avec des copains» il y a trois ans. Leur dernier album, Sur la route, revisite quelques grands morceaux de la musique savante et populaire: Danses populaires roumaines de Bartók, tangos de Piazzolla, La Danse du sabre d'Aram Katchatourian, La Strada de Nino Rota, Over the Rainbow d'Harold Arlen, Cléo de 5 à 7 de Michel Legrand…

Des morceaux qui ont été adaptés par Manuel Doutrelant pour cette configuration particulière d’un quintette à cordes et d’une trompette —un assemblage hétéroclite étonnant d’unité. Ces adaptations permettent de jouer à la trompette des morceaux non conçus pour elle.

Ecoutez par exemple les Danses de Bartók, initialement écrites pour le piano. Vous vous retrouvez plongé dans l’atmosphère de… Rio Bravo, avec son menaçant De Guello. Ou encore Sans toi, que chante Corinne Marchand dans le film d’Agnès Varda, mélodie peut-être plus déchirante encore lorsque jouée à la trompette.

Le disque se vend bien (5.000 exemplaires partis) et une réimpression est en cours. En concert, même succès. Mais les critiques font la fine bouche:

«Classica l’ignore, Diapason, qui a chroniqué mes concertos Hummel et Haydn, l’a passé sous silence… On a eu quelques articles dans la presse étrangère…»

Dans le classique, les normes sont encore bien établies:

«Trompettiste soliste, c’est un combat. Chaque jour il faut justifier son existence.»

«Il faut aller chercher le public»

Or, Romain Leleu veut rendre populaire son instrument. Par son interprétation, par les programmes qu’il compose. Le mélange des genres. Le tango qui voisine avec Tchaïkovski. «Démocratiser la musique classique est un boulot monstrueux. S’installer deux heures à Pleyel, il faut le vouloir…» Qui plus est, ceux-là sont des habitués, des initiés presque:

«Il faut aller chercher le public, pas se contenter de ceux qui ont pris leur place en première catégorie.»

Les opérations de crossover si souvent décriées par les puristes, comme celles de Roberto Alagna? «Mais c’est important! On a besoin de tels projets!», s’exclame-t-il, se disant prêt à jouer dans des stades —et pourquoi pas La Marseillaise avant un match?

A ce public, il n’hésitera pas à proposer de la musique contemporaine, lui qui a déjà travaillé avec des compositeurs comme Martin Matalon (Trame XII pour trompette et orchestre), Philippe Hersant (Folk Tunes pour trompette solo) ou Karol Beffa (Concerto pour trompette et orchestre, Subway)…

Ce faisant, il se place dans une tradition. La trompette a toujours été «une histoire de personnes». Anton Weidinger, plus grand trompettiste de son temps, demanda à Haydn et Hummel de composer pour lui, faisant même évoluer l’instrument (auquel Bluehmel donnera sa forme définitive en 1813, celle de la trompette à pistons).

Bien sûr, sa popularité est un atout. Un prix Adami, une Victoire de la musique… Ces récompenses lui ont donné une liberté, la possibilité de faire ce qu’il veut:

«C’est confortable, mais il faut rester humble par rapport à la musique. Je ne suis qu’un interprète… Même s’il est vrai que les gens viennent d’abord écouter quelqu’un, pas un instrument.»

«Une palette de couleurs illimitée»

Or, la trompette n’est pas aussi photogénique que d'autres instruments. Ainsi, «on voit comment le violoniste fabrique sa note avec l’archet. Avec la trompette, tout est intériorisé, ce n’est pas visuel! Et si on bouge autant qu’un violoniste, on peut tout rater.» C’est d’ailleurs ce qui a conduit ses parents à lui faire faire de la trompette, lorsqu’il avait six ans:

«J’étais plutôt turbulent et ils se sont dit que ça pourrait me calmer. Comme l’instrument réclame un important engagement physique, la gestion du souffle, de la respiration, la maîtrise de soi, ça m’a assez calmé!»

Immobile, collé à son instrument, le trompettiste n’aura donc jamais l’aura —ou le cabotinage— du pianiste à la fascinante gestuelle. C’est son interprétation seule qui doit séduire:

«Mais il y a une curiosité du public pour cette sonorité et je ne m’y attendais pas! Et j’ai envie de lui montrer ce que la trompette peut faire…»

En s’affranchissant du cliché. «Aïda? Ca me fait un peu rire!» Et en refusant la sonorité forte et brillante:

«C’est un côté de l’instrument que je déteste, même s’il faut parfois jouer ainsi. En fait, il y a une palette de couleurs illimitée. On peut tout exprimer. Je m’inspire du violon ou des voix féminines —les sopranos— pour chercher d’autres sonorités.»

Qu’il trouve également dans le bugle, à la sonorité plus chaleureuse, ou le cornet.

«Des pièces courtes, pour garder l’attention»

Fera-t-il la carrière de Maurice André, celui qui a dépoussiéré la trompette? «Il a débroussaillé une grande partie du répertoire et donné du crédit à l’instrument. Le duo trompette et orgue qui a rempli toutes les églises de France, il l’a créé de toutes pièces… Aujourd’hui, tous les trompettistes jouent grâce à lui.» Et Romain Leleu d’ironiser lorsqu’on repose la question:

«A mon avis, on ne parlait pas de jazz à Maurice André…»

Ils sont quelques-uns, comme David Guerrier ou Alison Balsom, à suivre la voie ouverte par Maurice André. Avec cette particularité, pour Romain Leleu, qu’il construit aussi sa carrière avec l’Ensemble Convergences, structure associative qui ne touche pas de subventions. Après les concerts, la vente de disques assure une «petite marge» mais c’est lui qui parfois doit réinjecter ses cachets pour mener à bien des projets qui lui tiennent à coeur.

Comme celui de créer un festival à horizon de cinq ans. Ou de commander de nouvelles œuvres pour trompettes, qu’il jouera en concert: «Des pièces courtes, pour garder l’attention du public. Lui faire aimer la musique d’aujourd’hui.» Et construire un répertoire pour trompette, comme le fit Anton Weidinger.

Jean-Marc Proust

Romain Leleu et l'Ensemble Convergences, Sur la route (distribution Harmonia mundi). Plusieurs concerts d'ici Noël, dont une date à Paris, Salle Pleyel, le dimanche 22 décembre à 16h.

NDLE: Toutes nos excuses à Alison Balsom, dont nous avions mal orthographié le prénom et le nom.

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