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La poliomyélite renaît et tue en Afrique et au Moyen-Orient

Cette maladie virale devrait avoir disparu de la planète grâce à la vaccination. Or elle réapparaît dans un nombre croissant de pays d’Afrique et du Moyen-Orient –dont la Syrie. Et on assassine des vaccinateurs au Pakistan et au Nigeria. L’Europe s’inquiète.

Une campagne de vaccination au Nigeria en 2005. REUTERS/George Esiri
Une campagne de vaccination au Nigeria en 2005. REUTERS/George Esiri

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Pour la polio, la meilleure métaphore est encore celle du marathon: rien de plus inhumain que le dernier kilomètre, les derniers hectomètres. A la fin des années 1970, l'OMS annonçait une victoire considérable: l’éradication de la variole. Pour la première fois de son histoire, l’homme était parvenu à faire disparaître une maladie infectieuse sur l’ensemble de la planète. Grâce, pour une large part, à la vaccination –grâce, surtout, à une forme de mobilisation solidaire massive autant qu’exemplaire.

La suite était écrite: après la variole, ce serait la poliomyélite. On disposait de deux vaccins efficaces (un oral et un injectable). Cette maladie virale très contagieuse peut être responsable (dans une proportion d’un cas sur deux cents estime-t-on) de paralysies très handicapantes voire mortelles. Il y a trente ans, elle avait pratiquement disparu du monde industrialisé. On connaissait tout des modes de contamination du virus (pour l’essentiel un manque d’hygiène collective). Les principaux foyers du tiers monde étaient connus. Ce n’était plus qu’une question de temps et d’argent. L’OMS et les bailleurs de fonds programmèrent l’éradication pour le changement de millénaire. Ce serait là «un cadeau du XXe siècle au XXIe siècle». Nous étions à l’époque où l’OMS promettait la «santé pour tous en l’an 2000». Tout le monde en doutait, personne ne le disait.

Au début, tout fonctionna à merveille. Une mobilisation vaccinale massive (soutenue par le Rotary Club International, la Fondation Bill & Melinda Gates et Gavi Alliance) permit de faire chuter de manière spectaculaire le nombre de cas de poliomyélite: officiellement de 350.000 dans plus d’une centaine ce pays en 1988 à moins d’un millier au début des années 2000.

Encore un effort, juste un

Puis les communiqués officiels se succédèrent: on n’avait jamais été aussi proche de l’éradication. Un dernier effort, un autre encore, la victoire était là –il suffisait de réduire les trois poches endémiques d’Afghanistan, du Nigeria et du Pakistan et de mieux contrôler les mouvements de population des pèlerinages de La Mecque.

Soutenu par le Rotary Club International, la Fondation Bill & Melinda Gates et Gavi Alliance, les autorités sanitaires ont travaillé en étroite collaboration avec les principaux imams à travers le monde pour apaiser les craintes concernant la vaccination et contre de fausses allégations concernant les vaccins.

C’est alors que, petit à petit, le vent tourna. Et aujourd’hui les principaux acteurs parlent «d’un combat qui n’en finit pas de finir». C’est notamment les cas de l’ONG Médecins sans frontières qui organisait en octobre une table-ronde internationale sur le sujet à Paris. Fin  2010, une des équipes de MSF a été confrontée à une épidémie particulièrement meurtrière au Congo Brazzaville; sur environ cinq cents personnes atteintes de poliomyélite paralytique près de deux cents ont trouvé la mort.

«Plus récemment, nos équipes sont indirectement témoins d'une véritable épidémie d’assassinats de “vaccinateurs polio”, souligne-t-on auprès de MSF. Depuis le mois de janvier, au Nigeria et au Pakistan, ce sont plus d’une trentaine de vaccinateurs nigérians et pakistanais qui ont été tués alors qu'ils s'apprêtaient à administrer le vaccin oral.»

Comme d’autres observateurs, cette ONG observe la réinfection de certains pays dans lesquels l’éradication avait été obtenue depuis plus d’une décennie. Des foyers épidémiques de poliovirus plus ou moins dérivés du vaccin apparaissent. Plus grave encore, comme en témoignent les assassinats des vaccinateurs, on observe l’apparition de nouveaux foyers de résistance sociale et politique dans plusieurs pays. Les opérations «anti-vaccination» observées au Pakistan et en Somalie sont menées par des groupes agissant au nom de l’islam et assimilant les campagnes vaccinales à des actions menées par les Etats-Unis.  

Aujourd’hui, la poliomyélite réapparaît en Syrie. Après différentes informations convergentes, l’OMS vient de confirmer que treize enfants avaient contracté la maladie à Deir ez-Zor, une ville de l’est du pays. La poliomyélite avait été éradiquée du pays en 1999. Des recherches génétiques ont permis d’établir qu’il s’agissait d’une souche virale circulant initialement au Pakistan et qui se répand à travers le Moyen-Orient: elle a été trouvée ces derniers mois dans les eaux usées en Egypte, en Israël ainsi que dans les territoires palestiniens.

Le cas de la Syrie

L'ONU avait annoncé le lancement d'une campagne de vaccination dans le pays. Objectif: vacciner plus de deux millions d'enfants contre la poliomyélite, mais aussi contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, infections virales contagieuses en recrudescence, de même que l’hépatite B. En Syrie, le taux de vaccination contre la poliomyélite dépassait les 90% des enfants en 2010. Selon l’OMS, il est tombé à 68% en 2012. Pour sa part, l'Unicef estime à 500.000 le nombre des enfants syriens qui n'ont pas pu être vaccinés depuis le début du conflit.

Selon Foreign Policy, la Jordanie va lancer un programme national de vaccination de l'enfant contre la propagation de la rougeole et de la poliomyélite dans les campements de réfugiés syriens. Israël a relancé une campagne de vaccination de masse des enfants depuis après la découverte de virus polio dans les égouts de plusieurs régions du pays.

Des cas de polio ont récemment été recensés en Ethiopie, en Somalie ainsi que parmi une douzaine de réfugiés somaliens au Kenya. A la mi-octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies a demandé à ce que des campagnes de vaccination de masse soient menées au Soudan du Sud. Israël mène actuellement une telle campagne auprès des jeunes enfants après la découverte de souches virales dans des circuits d’eaux usées.

L’Europe commence elle aussi à s’inquiéter. Le Centre européen de prévention et contrôle des maladies a lancé une alerte. Mais déjà des voix s’élèvent pour estimer que d’autres mesures devraient être prises. Des experts allemands font observer que la couverture vaccinale de certains pays situés à l’est du Vieux Continent (la Bosnie-Herzégovine, l'Ukraine et l'Autriche) est très insuffisante, exposant la population à un risque majeur en cas de réintroduction du virus sauvage sur leur territoire. Ils ajoutent que le vaccin actuellement utilisé (le vaccin injectable) n’est pas aussi efficace que l’oral, alors que l’Europe ne dispose d’aucun stock de vaccins oraux disponible. Ils prônent encore de reprendre le dépistage systématique du poliovirus dans les eaux usées et un renforcement de la surveillance dans les zones où sont accueillis des réfugiés syriens.

Au final, le constat général est particulièrement sombre: réinfection d’un nombre croissant pays dont on croyait le virus éliminé parfois depuis plus d’une dizaine d’années; apparition depuis le début des années 2000 d’épidémies soit de poliovirus sauvages, soit de poliovirus dérivé du vaccin chez des enfants insuffisamment vaccinés; apparition ou persistance de foyers de résistance sociale et politique; assassinat de vaccinateurs contre la poliomyélite.

«Un tel constat doit nous inciter à penser urgemment à de nouvelles solutions, précise-t-on auprès de MSF. Quelle limite va-t-il falloir atteindre en termes de coût humain, c’est-à-dire en nombre de vaccinateurs tués, pour que la stratégie d’éradication de la polio soit, si ce n'est revue, au moins discutée?»

Peut-on soigner contre la volonté des populations?

Plusieurs tendances se dessinent. L’une est de garder le cap vers l’éradication la plus rapide possible et d’adopter des mesures de plus en plus coercitives. Il s’agirait de protéger les équipes de vaccination ou d’obliger les populations à se faire vacciner, voire d’accorder des permis de port d'armes aux vaccinateurs ou en les faisant escorter par la police ou par l'armée (au Pakistan). Ou en arrêtant les familles refusant le vaccin (au Nigeria).

D’autres s’interrogent: persister dans cette voie conduit à remettre en cause le fondement même de la campagne d’éradication: l’adhésion totale et entière d’une population à une mesure de santé publique. C’est là la déclinaison d’une vieille question philosophique, morale et sanitaire: peut-on faire le bien contre la volonté des personnes concernées?

«A l’évidence, les défis qui se posent au programme ne sont plus aujourd’hui techniques, opérationnels ou programmatiques, ils sont politiques et sociaux», reconnaît le  Dr Jafari. «Oui, il y a régulièrement des remises en cause, mais il n'y a pas de marche arrière possible, il faut en finir, et il faut en finir rapidement, fait valoir Johannes Evers, expert technique auprès de l’OMS. Les groupes violents trouveront d’autres cibles que les vaccinateurs. Renoncera-t-on demain à défendre les droits des femmes pour les mêmes raisons? Je ne veux pas le croire.»

«Il y aura toujours des résistances à la vaccination. Doit-on alors imposer à chacun de se faire vacciner? Personnellement, je ne pense pas qu’on doive l'imposer à tout le monde, estime pour sa part Florence Fermon, spécialiste des vaccinations pour MSF. En revanche, on se doit de changer les approches, en proposant certes la vaccination dans ces programmes verticaux mais en l’intégrant aussi à des approches de soins.»

Agir au plus vite sans prendre de gants dans l’intérêt général? Prendre au contraire le temps nécessaire  pour convaincre avant d’agir?

Jean-Yves Nau

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