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Les failles de l’accord de Genève sur le nucléaire iranien

L'accord ne change rien au fond du problème: l’existence d’un programme nucléaire secret conçu depuis l’origine à des fins militaires. Et il n’a jamais été question à Genève de le démanteler même partiellement.

Hassan Rohani à New York, le 26 septembre. REUTERS/Keith Bedford
Hassan Rohani à New York, le 26 septembre. REUTERS/Keith Bedford

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L’accord «historique» conclu dans la nuit du 23 au 24 novembre sur le nucléaire iranien entre Téhéran et la Communauté internationale a été salué presque unanimement dans le monde. Le ministre russe des affaires étrangères, Serguey Lavrov, a résumé l’opinion générale par cette phrase: «compte tenu des circonstances, il n’y a pas de perdants dans cet accord, tous les côtés sont gagnants».

Seuls Israël et plus discrétement plusieurs pays arabes ont jugé, sans surprise, compte tenu de leur antagonisme et de leurs craintes face à la République islamique, qu’il s’agissait d’un marché de dupes. «Si dans cinq ans, une mallette nucléaire explose à New York ou Madrid, ce sera à cause de l’accord signé à Genève», a déclaré brutalement Naftali Bennett, le ministre israélien de l’Economie. Et en disant New York et Madrid, il pensait sans doute Tel Aviv.

Négociations secrètes avec la Maison Blanche

Cet accord intérimaire de six mois a pour objet de s’assurer que le programme nucléaire de l’Iran ne lui permet pas de se doter d’un arsenal de bombes atomiques et en contrepartie de réduire les sanctions économiques qui ont mis son économie à terre. Mais s’il est présenté à la fois comme un succès de la diplomatie sur la guerre et comme une voie enfin trouvée pour régler une crise qui dure depuis plus de dix ans, de nombreuses questions se posent sur les motivations réelles derrière cet accord et plus encore sur ses failles.

Ainsi, l’ancien ambassadeur américain à l’ONU, le faucon Républicain John Bolton, explique que l’administration Obama a mis tout son poids pour parvenir à un accord, quel qu’il soit, plus par peur d’un bombardement israélien des installations nucléaires iraniennes que par crainte du programme en question. Pour preuve, la Maison Blanche a mené pendant des mois des négociations cachées avec Téhéran et au moins cinq rencontres secrètes ont eu lieu depuis le mois de mars.

Un programme secret depuis son origine

Le principal problème avec cet accord, même s’il est intérimaire, est qu’il peut permettre à l’Iran de continuer, comme il l’a fait de façon ininterrompue depuis une décennie, à gagner du temps et à poursuivre son ambition. Il ne change rien de fondamental à la donne stratégique: l’existence d’un programme nucléaire conçu depuis l’origine à des fins militaires, ce dont personne n’est dupe. Et il n’a jamais été question à Genève de le démanteler même partiellement. Il va rester parfaitement opérationnel pour un temps… indéterminé. Les contraintes imposées à l’Iran passent totalement sous silence la partie militaire clandestine de ce programme nucléaire, la plus préoccupante par définition.

La communauté internationale est hypocrite et a la mémoire courte. Elle oublie ainsi qu’elle a découvert au fil des années avec effroi l’ampleur du programme clandestin et l’existence en 2002 des usines d’enrichissement d’uranium de Natanz et d’un projet d’installation d’un réacteur à eau lourde à Arak. Le centre d’enrichissement de Fordo a lui été découvert en 2009 tout comme le projet de construction d’une autre usine d’enrichissement à Qom.

L’Iran a obtenu de fait à Genève de pouvoir poursuivre son programme d’armement nucléaire dans les domaines qui ne sont pas couverts par l’accord: la fabrication et le perfectionnement des centrifugeuses, les recherches en matière de conception et de réalisation d’une bombe et l’ensemble de son programme de missiles balistiques.  

L’accord de Genève s’en tient au programme nucléaire civil officiel et à la seule question de l’enrichissement de l’uranium et des stocks d’uranium enrichi. Les inspections de l’ONU ont été élargies mais ne concernent pas les installations cachées et pas la base militaire de Parchin où ont été enregistrées des explosions considérées par les experts comme des tests pour la mise au point de bombes atomiques et de leurs détonateurs.

Un droit de fait à l'enrichissement d'uranium

Barack Obama et le secrétaire d’Etat John Kerry se sont vantés après l’accord d’avoir obtenu des inspections quotidiennes de l’AIEA (Agence Internationale de l’énergie atomique) à Fordo et Natanz. Des caméras ont déjà été installées depuis longtemps dans ces deux usines, mais Téhéran refuse toujours le moindre accès à Parchin.

Les installations nucléaires secrètes ne sont pas un fantasme mais une réalité que reconnaît même la très prudente AIEA dans son dernier rapport: «depuis 2002, l’agence est devenue de plus en plus préoccupée par l’existence possible en Iran d’organisations inconnues liées aux activités nucléaires qui travaillent sur le développement d’une charge pour un missile». L’organisation internationale fait aussi état d’activités «relevant du développement d’un engin nucléaire explosif».

La pierre d’achoppement des négociations de Genève, qui a fait échouer la première tentative d’accord le 10 novembre, existe toujours. La question du «droit à l’enrichissement» n’a pas été tranchée. Washington affirme ne pas avoir reconnu ce droit à Téhéran. Mais le Président iranien Hassan Rouhani, le ministres iranien des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif et le ministre russe des affaires étrangères Sergey Lavrov ont dit le contraire. Et de fait l’Iran a le droit d’enrichir l’uranium jusqu’à 5%. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU lui avait ordonné pourtant de cesser immédiatement l'enrichissement.

L’autre concession majeure faite à la République islamique est de lui permettre de faire son retour au sein de la communauté internationale. Si l’accord avec Bachar el-Assad sur la destruction de son arsenal chimique a laissé le dictateur syrien au ban de la communauté internationale, les mollahs de Téhéran qui ont permis à Bachar de rester au pouvoir et lui ont donné les moyens militaires, humains et financiers de continuer à massacrer sa population sont redevenus aujourd'hui des interlocuteurs de plein droit des grandes puissances et du Conseil de sécurité de l’ONU.

Il n’existe évidemment pas d’accord parfait. Celui signé à Genève est par définition un pari sur la relative bonne foi des parties engagées. Mais les contraintes imposées à la République islamique d’Iran ne l’empêcheront pas, si elle le veut, de se doter rapidement d’un arsenal atomique et de mettre le monde devant le fait accompli. Historiquement, aucun des pays qui a dépensé autant d'argent et a mis autant de volonté à se doter d'armes nucléaires comme l'Inde, le Pakistan et la Corée du nord ne s'est arrêté en chemin.

Contrairement aux affirmations de Washington, l’Iran conserve la possibilité de pousser la production d’uranium faiblement enrichi par ses 18 000 centrifugeuses et de s'en constituer ainsi un stock important. Il serait ensuite assez facile techniquement dans une période de crise et en quelques semaines d’accélérer l’enrichissement et d’obtenir suffisamment d’uranium hautement enrichi pour construire des dizaines de bombes. L’AIEA et les services de renseignement occidentaux n’auraient peut-être même pas le temps de s’en rendre compte. Et même s'ils sonnent l'alarme, les lignes rouges à ne pas franchir et les menaces venant de l'administration Obama n'ont plus une grande crédibilité depuis le recul face à Bachar el-Assad.

Eric Leser

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