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Peut-on déterminer son origine ethnique avec un test ADN?

Oui, mais pas de manière aussi précise que l'affirment les entreprises qui vous proposent de savoir si vous descendez de Charlemagne ou de telle ou telle tribu africaine.

Jared Rosenthal, fondateur de Health Street, fait une démonstration de prélèvement de salive dans le Van «Who's Your Daddy?» («Qui est ton père?») à New York le 16 août 2012. Rosenthal sillonne les rues de la ville avec son van en offrant des services de test de paternité par ADN et autres tests de présence de drogue et d'alcool. REUTERS/Andrew Kelly
Jared Rosenthal, fondateur de Health Street, fait une démonstration de prélèvement de salive dans le Van «Who's Your Daddy?» («Qui est ton père?») à New York le 16 août 2012. Rosenthal sillonne les rues de la ville avec son van en offrant des services de test de paternité par ADN et autres tests de présence de drogue et d'alcool. REUTERS/Andrew Kelly

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La vidéo a été abondamment partagée dans le monde entier au début du mois de novembre: Craig Cobb, un partisan américain de l'idéologie de la suprématie raciale des blancs, se voit annoncer en direct par l'animatrice de la chaîne de télévision NBC Trisha Goddard le résultat d'un test ADN montrant que son héritage génétique est «à 86% européen et 14% d'Afrique subsaharienne». Apparemment pas convaincu, il rétorque qu'il s'agit de «bruit statistique» et que «l'huile et l'eau ne se mélangent pas».

Mais peut-on vraiment déterminer les origines géographiques et ethniques d'une personne avec un simple test ADN?

Oui, mais avec une marge d'erreur bien plus importante qu'un simple point de pourcentage et en faisant très attention à ne pas surinterpréter les résultats.

De nombreuses entreprises américaines proposent, pour des prix ayant fortement chuté au cours des dernières années grâce à la concurrence (de 100 à 300 dollars), d'analyser l'ADN de toute personne désirant découvrir ses origines ethniques. A noter qu'en France, seule une prescription juridique ou médicale permet d'effectuer légalement un test ADN, ce qui pousse certains Français à se tourner vers des sites étrangers pour faire leur propre enquête généalogique et autres tests de paternité.

Aux Etats-Unis, ces services sont particulièrement prisés des Afro-Américains descendants d'esclaves, qui veulent en savoir plus sur le parcours et les origines africaines de leurs ancêtres. Leur principe est simple: certaines portions d'ADN peuvent être liées, avec plus ou moins de fiabilité, à des zones géographiques particulières. Par exemple, l'haplogroupe maternel H est très commun en Europe (40% environ des Européens le portent), et se retrouve également de manière moins fréquente en Asie et en Afrique, mais il est quasiment absent en Australie ou en Amérique.

Ce marqueur offre une indication, mais ne peut pas à lui seul permettre de déterminer d'où viennent les ancêtres d'une personne, d'autant plus que peu d'êtres humains ont tous leurs ancêtres originaires du même endroit et qu'un brassage génétique s'opère à chaque génération. En revanche, en combinant de nombreux marqueurs que l'on retrouve chez une personne, les entreprises les plus sérieuses de tests ADN peuvent obtenir un tableau bien plus précis.

Puces de génotypage

Elles utilisent pour cela des puces de génotypage, dont les plus récentes permettent de tester jusqu'à 770.000 points de génome simultanément, et des logiciels capables d'analyser de grandes quantités de données génétiques.

Il faut ensuite diviser les chromosomes en segments qui sont comparés un par un à une base de données de populations de référence pour chaque zone géographique pour déterminer de quelle population chaque segment provient le plus probablement. Si l'on détecte chez une personne de nombreux segments de chromosomes que l'on retrouve souvent en Afrique, alors elle a probablement des ancêtres africains.

La fiabilité des résultats dépend en grande partie de la manière dont sont déterminés les génomes des populations de référence. Les entreprises utilisent pour cela des génomes qu'elles ont elles-mêmes déjà analysés et recoupés avec des données issues de travaux généalogiques classiques sur les mêmes personnes. Par exemple, si l'on sait que vos quatre grands-parents sont nés dans le même pays, et qu'il s'agit d'un pays qui a connu peu d'immigration au cours des dernières générations, votre génome est candidat à l'inclusion dans le groupe de référence de ce pays.

Ces données sont ensuite recoupées avec celles de bases de données génétiques publiques comme Human Genome Diversity Project, HapMap ou le projet 1.000 Genomes pour obtenir des groupes de référence les plus précis possibles.

Attention au simplisme

Ce genre de test fonctionne relativement bien pour des groupes comme les Afro-Américains, qui ont souvent des ancêtres en Afrique et en Europe qui vivaient loin les uns des autres, et peut donner une idée de l'importance relative de l'héritage génétique africain et européen. Quand il s'agit, en revanche, de retrouver un lien avec telle ou telle ethnie africaine précise ou pays, comme le promettent certaines entreprises, la tâche se complique grandement.

Si l'ADN peut se révéler très précieux dans d'autres domaines comme la recherche de paternité ou les enquêtes policières, certains lui font dire des choses impossibles à vérifier ou qui n'ont pas beaucoup de sens en matière de généalogie. En août 2010, des apprentis généticiens avaient ainsi affirmé, après avoir analysé les profils génétiques de différents membres vivants de la famille d'Adolf Hitler, que le dictateur allemand était porteur de l'haplopgroupe E1b1b, un marqueur caractéristique des Berbères, dont la fréquence peut atteindre 80% dans la population masculine de certains groupes au Maroc. Il est aussi présent en Somalie et au Moyen-Orient et chez les populations séfarades et ashkénazes.

Il n'en fallait pas plus pour que le tabloïd britannique The Daily Mail titre «Hitler descendait des juifs et des Africains qu'il détestait». Pourtant, la présence de l’haplogroupe E1b1b dans les chromosomes Y d'Hitler ne prouve rien d'autre que le fait que l’Autriche, la Hongrie et plus généralement l’Europe centrale ont connu depuis des siècles de nombreux brassages de population.

Les anthropologues sont généralement perplexes quant à possibilité d'identifier des «composants ancestraux», ces marqueurs génétiques qui seraient propres à telle ou telle population, ou des «lignages» parfois très précis (certaines entreprises ont des groupes de référence génétique à l'échelle d'un pays). Selon eux, l'histoire des migrations humaines est bien trop complexe pour pouvoir savoir avec certitude que tel ou tel marqueur génétique correspond bien à telle population qui vivait il y a 10.000 ans à tel endroit.

Il n'existe pas de gène français ou éthiopien, seulement des marqueurs que l'on retrouve plus souvent chez les habitants de ces pays. S'il est possible, en fonction des marqueurs génétiques et surtout de leur nombre, de savoir de manière plus ou moins précise les différentes régions du globe d'où sont originaires les ancêtres d'une personne, de nombreux généticiens mettent en garde contre les entreprises qui vendent ces tests.

Tous des descendants de Gengis Khan

D'abord, elles «oublient» presque toujours de communiquer sur la marge d'erreur de leurs calculs, qui peut facilement atteindre les 10 points. Ensuite, certaines affirment pouvoir trouver des liens de parenté avec des personnages célèbres de l'Histoire comme Charlemagne ou Gengis Khan, et vous dire si vous êtes un descendant des Vikings ou des Romains.

Cela n'a pas beaucoup de sens: certains spécialistes estiment que l'ancêtre commun le plus récent à tous les humains actuels[1] vivait il y a seulement 3.500 ans (et les ancêtres communs à tous les Européens il y a moins de 1.000 ans). En d'autres termes, la grande majorité d'entre nous a des ancêtres vikings et romains et descend à des degrés divers de Gengis Khan ou de Charlemagne.

Autre problème: plus on remonte dans le temps, plus nos ancêtres sont nombreux (nous avons tous deux parents, quatre grands parents, huit arrière grands-parents, etc.), et on atteint rapidement un niveau où nous avons plus d'ancêtres que de segments d'ADN. Cela signifie qu'il y a certains ancêtres dont nous n'avons hérité aucun ADN.

Grégoire Fleurot

[1] A ne pas confondre avec les concepts d'Eve mitochondriale et de plus récent ancêtre patrilinéaire commun. Retourner à l'article

L'explication remercie Bertrand Jordan, biologiste moléculaire et généticien, auteur de L'humanité au pluriel: la génétique et la question des races, Steve Jones, professeur émérite de génétique au University College de Londres (UCL) et auteur de Darwin's Island, et Alicia Sanchez-Mazas, professeure au département de génétique et évolution à l'unité d'anthropologie de l'université de Genève.

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