Culture

Et à la fin, c'est le pirate qui perd: l'histoire du combat de James Climent pour le téléchargement

Soutenu par Godard, lâché par l'Europe. Le Français James Climent, qui avait été condamné à 20.000 euros de dommages et intérêts pour avoir téléchargé des mp3, a vu son ultime recours été rejeté par la Cour européenne des droits de l'homme.

James Climent à Barjac, juillet 2010. Photo Alexandre Hervaud
James Climent à Barjac, juillet 2010. Photo Alexandre Hervaud

Temps de lecture: 3 minutes

La semaine dernière, l'Elysée dévoilait la contribution française à l'Europe numérique. Parmi la liste de recommandations, la France a confirmé son souhait «d'assurer le respect de la propriété intellectuelle», proposant de «relancer au plan européen la lutte contre la contrefaçon et le piratage». Et d'évoquer comme solution possible «le partage des meilleures pratiques sur la base des travaux de l’Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage et le développement d’accords entre acteurs d’Internet et titulaires de droits de propriété intellectuelle». Pour les observateurs, comme le site Numerama, c'est bien «une forme de justice privée qui confie aux entreprises à la fois des pouvoirs législatifs» qui se profile.

Hasard du calendrier, on apprenait quelques jours plus tôt l'issue d'un long, très long, combat judiciaire d'un internaute français accusé de téléchargement illégal auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Le «pirate» en question, James Climent, s'est vu signaler dans un courrier lapidaire l'irrecevabilité de son recours introduit en décembre 2010.

Condamné à verser 20.000 euros de dommages et intérêts à la Sacem et la SDRM, deux sociétés de gestion des droits d'auteurs, Climent s'était tourné vers l'instance européenne après le rejet en juin 2010 de son pourvoi en cassation. L'épilogue d'une affaire initiée en 2005 avec une perquisition au domicile de James Climent. Son disque dur, bien fourni, proposait 13.788 fichiers mp3 partagés en peer-to-peer...

En 2010, j'évoquais les mésaventures de cet internaute dans un portrait paru dans Libération. Rencontré dans son village de Barjac, dans le Gard, Climent était alors revenu sur ces motivation de «pirate»: grand consommateur de biens culturels, prônant le partage et de nouveaux modèles de distribution, il affirmait alors continuer à télécharger à foison tout en maintenant son insolvabilité, vivant du RSA et de petits boulots, afin d'être sûr de ne jamais voir ses revenus ponctionnés par la Sacem...

Un corsaire nommé Godard

Quelques temps après la parution du papier, passé relativement inaperçu au moment de sa publication, un soutien de taille a offert une médiatisation inespéré à James Climent: celui du réalisateur Jean-Luc Godard, pourfendeur invétéré de la Hadopi, touché par le cas de cet internaute après avoir lu son portrait.

Godard ne s'était alors pas contenté de belles paroles, transmettant via son producteur un chèque de 1.000 euros à James Climent pour régler une partie de ses frais de justice, et lui envoyant même le petit mot suivant, signé Surcouf: «acquis de droit, et plus encore de devoir!».

Le soutien du réalisateur d'A bout de souffle excite la presse française, qui le mentionne, de l'Express aux Inrocks en passant par Pure People. Attisée par un parfum de scandale au pays de la Nouvelle Vague, la presse internationale se penche à son tour sur l'affaire, et l'affaire Climent se retrouve évoquée jusque dans les pages du New York Times. Depuis cette époque – fin 2010, Climent a monté son dossier destiné à la Cour européenne des droits de l'homme et attendu patiemment sa réponse, tentant dans l'intervalle l'aventure politique, le temps d'un ticket avec le Parti Pirate pour les dernières élections législatives. Malchanceux jusqu'au bout, il en est ressorti avec trois ans d'inéligibilité pour une banale histoire de carnet de dons perdu...

Joint par téléphone pour commenter la décision de la CEDH, Climent, qui fêtera ses 41 ans en fin d'année, accuse le coup.

«Le dossier comprenait beaucoup de questions qui méritaient des réponses, là on nous ferme la porte au nez.»

Faisant référence au traitement réservé par la même cour aux fondateurs de Pirate Bay, Climent ne s'avoue pas totalement surpris pour autant:

«Leur message, en gros, c'est que protéger le copyright, c'est protéger la démocratie. Avec cet esprit-là, on est en droit de se demander qui la cour protège vraiment, le citoyen ou les industries culturelles?»

Bien qu'ayant épuisé tous les recours officiels, Climent assure ne pas vouloir en rester là et parle d'entrer «en désobéissance civile», ajoutant:

«J'ai joué le jeu, je n'ai pas été entendu.»

«Le piratage, c'est ringard»

Depuis l'échec de son pourvoi en cassation en 2010, Climent est susceptible de voir ses biens saisis dans le cadre des dommages et intérêts qu'il doit.

«Qu'un huissier vienne! Je le filmerai et ça finira sur le Net direct. Il faudrait qu'ils aillent au bout de leur logique...»

Du côté de la Sacem, le secrétaire général David El-Sayegh entend «ne pas faire d'excès de zèle, mais pas de laxisme non plus», préférant se focaliser sur «les vrais sites pirates qui font de l'argent avec de la pub partout». Pas vraiment le profil de Climent, «pisté» à une époque où les Deezer, Spotify et autre YouTube n'existaient pas encore, pas plus que la riposte graduée et la Hadopi.

Pour El-Sayegh, James Climent a été «jusqu'au-boutiste en faisant de son affaire un dossier politique». Tout en rappelant que c'est l'Etat qui a poursuivi l'internaute –la Sacem n'étant ici que partie civile–, il estime que la décision de la CEDH montre «que pirater n'est pas un droit de l'homme, contrairement au droit d'auteur».

A l'heure où le petit monde du cinéma se retrouve auprès de Pierre Lescure et Aurélie Fillipeti à Dijon pour discuter «réforme du système cinématographique», El-Sayegh n'hésite pas à lâcher un jugement définitif sur le téléchargement illégal de musique:

«Le monde a évolué, l'offre légale a rendu le piratage ringard. Combattre pour le droit à pirater, c'est d'arrière garde.»

De son côté, James Climent suit de près les travaux en la matière de la Quadrature du Net, et souhaite que «créateurs et public se retrouvent, sans intermédiaires». Aux dernières nouvelles, Godard continue de s'intéresser à son sort.

Alexandre Hervaud

cover
-
/
cover

Liste de lecture