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Le chef de l’Etat est en telle position de faiblesse, sur sa politique et sur sa stature, que tous les déchaînements sont désormais autorisés. L’affaire Leonarda donne lieu à un hallali où tout se brouille, la raison, les arguments, les faits et le bon sens.
Mais on aurait tort de ne pas voir l’importance du moment. Le combat sur l’immigration est crucial pour la droite, puisqu’il risque de la priver d’une critique facile contre l’angélisme de la gauche. Mais aussi pour la gauche, parce qu’il fait très mal en appuyant sur la fracture entre la culture de compromis et le romantisme utopique, entre l’exercice du pouvoir gouvernemental et les postures drapées dans les «valeurs».
Il est précisément temps de défendre, ici et maintenant, François Hollande. Cette affaire Leonarda est le deuxième grand tournant du quinquennat, après celui opéré à l’automne 2012 avec le rapport Gallois.
Cette fois, il ne s’agit pas de changer de ligne de politique économique pour abandonner la traditionnelle tendance de la gauche à opposer travail et capital et à défendre la demande pour opter en faveur d’une «politique de l’offre» visant à favoriser la compétitivité et les entreprises. Maos de basculer, de la même manière, sur les thèmes de la sécurité et l’immigration. Même réalisme politique, même inspiration sociale-démocrate.
Les critiques portent d’abord sur le fond. Le chef de l’Etat n’a pas tranché, lit-on, il propose à la collégienne de revenir mais pas à sa famille: une politique qui serait typiquement hollandienne de la synthèse chèvre et chou.
C’est plaquer une critique générale contre François Hollande sur un cas où au contraire, il a tranché: la famille est expulsée, comme la justice l’a décidé et confirmé. Leonarda peut revenir, par humanité, par exception, par ruse aussi, il est vrai. Mais l’essentiel est que Manuel Valls reste au gouvernement: sa ligne est adoptée.
C'est Aubry qu'il veut critiquer
Elles portent aussi sur la forme: le chef de l’Etat se serait abaissé au niveau de l’adolescente, qui lui répond illico sur les chaînes d'information continue. François Hollande solennel de l’Elysée, et Léonarda en direct-live depuis Mitrovica.
Mais c’est l’époque médiatique qui veut ça. S’il ne l’avait pas fait, les critiques l’auraient harcelé jusqu’à ce qu’il se prononce. L’important est que c’était à lui de fixer la ligne, sur une question aussi importante et clivante qui fracture la gauche, l’immigration.
L’important est que le chef de l’Etat, sur deux sujets majeurs, choisisse une ligne sociale-démocrate réaliste à rebours des réflexes irréalistes de sa base. S’il faut critiquer François Hollande, c’est de n’avoir pas préparé le parti socialiste, lorsqu’il était premier secrétaire, à l’exercice du gouvernement concret.
S’il faut critiquer plus encore un responsable, c’est Martine Aubry, qui a, au contraire, renforcé les réflexes d’angélisme lorsqu’elle a pris les rênes du parti et l’a laissé dans un vide programmatique abyssal. C’est aujourd’hui Harlem Désir, qui non seulement tire dans les pattes du président issu de ses rangs mais cultive le socialisme de la bonne conscience et de l’impossible, l’ouverture grande des frontières à tous les malheureux.
Un angélisme qui s'écroule
Sur l’économie, les socialistes français avaient fait leur l’analyse d'extrême gauche: les riches et les grandes entreprises se gobergent et les hommes politiques se sont rangés, comme Nicolas Sarkozy, à leur service. Il suffit de taxer les riches ménages et entreprises pour redonner aux autres et l’économie va repartir.
Cette vision simpliste s’est écroulée en quelques semaines: la très grande majorité des entreprises françaises ne gagnent pas trop d’argent, mais pas assez. Elles ont des marges trop faibles. Si l’on veut rétablir l’économie, il faut aller dans le sens exactement contraire à ces réflexes: rendre aux entreprises de la compétitivité, ce qui passe forcément par un arbitrage défavorable aux ménages.
Sur l’immigration, même simplisme. L’angélisme s’est écroulé cette fois sur le cas de Resat Dibrani, le père de Leonarda.
Dans quel autre pays que la France la justice aurait-elle pris autant de temps et de gants pour expulser une personne qui n’a manifestement rien fait, et c’est peu dire à lire le rapport de l’IGA, pour qu’on lui offre l’asile? Sa fille n’aurait pas du être sortie du car scolaire? Tout le monde en convient. Mais ça ne change rien sur le cas Dibrani. François Hollande a choisi la seule issue possible.
Vieux combat bicentenaire
Les socialistes bien-pensants auraient sans doute dû mieux choisir leur cas. Mais qu’importe, avec une enfant, l’émotion peut jouer à plein. Voilà la réalité derrière l’affaire: la gauche traditionnelle voit François Hollande la désavouer deux fois et elle comprend qu’elle est en train de perdre le combat de la ligne politique.
Le moment est grave. Programmatiquement vide, elle mène la lutte non par les idées mais par les larmes des bons sentiments, elle se range derrière les ouvriers licenciés, les enfants pris par la police et brandit les fameuses «valeurs».
L’économie? Le PS n’a rien à proposer de valide. L’immigration? Il n’a rien en magasin de présentable. Mais la ligne Hollande doit perdre! Manifs et manips! Feu sur lui! Le vieux combat bicentenaire au sein de la gauche est en train de basculer. Les sociaux-démocrates l’emportent! Feu! Feu! Feu!
Eric Le Boucher