Allégorie des relations entre les gouvernements français et américain dans l'affaire NSA
1. Pourquoi la France réagit-elle si tard?
«L'avenir dira peut-être, un jour, pourquoi Paris est resté si discret», écrit Le Monde en préambule de son papier intitulé «Comment la NSA espionne la France».
Certes, il y a bien eu quelques vagues réactions depuis les premières révélations, mais dans l'ensemble bien prudentes. Et surtout bien rares.
Du côté du Parlement, «seuls une dizaine de députés (sur 577) et un sénateur (sur 348) ont interrogé l’exécutif sur le sujet avant les vacances parlementaires du mois d’août», rappelle Rue89. Même topo dans les rangs ministériels, où l'on rechignait le plus souvent à exprimer une réaction officielle. Et où, dans le meilleur des cas, on prenait mille précautions pour évoquer la situation, la ministre de l'Economie numérique Fleur Pellerin avouant même ne pas avoir «tellement eu d’échanges interministériels sur ce sujet» et osant à peine avouer une certaine «inquiétude», ajoutant qu'il était «beaucoup trop tôt pour se forger une opinion».
Il y a bien eu une petite indignation en juillet, mais encore, pas forcément sur le thème qu'on aurait été en droit d'attendre (voir notre question 6.). Bref, le gouvernement n'a pas cessé de prendre de bonnes grosses pincettes sur le sujet, ce qui nous pousse forcément à nous interroger un peu davantage.
2. La France était-elle ou non au courant?
3. Si oui, collaborait-elle avec les Etats-Unis...
4. ... et pourquoi faire aujourd'hui l'outragée?
5. Si non, faut-il s'inquiéter de l'état de nos propres services de renseignement?
«La France était-elle au courant de la présence d’un tel couteau suisse dans la poche des Etats-Unis?», nous demandions nous dans la foulée des premières révélations. Et d'ajouter: «la situation est embarrassante: s’ils en avaient connaissance, ses services risquent de passer pour complices de tels agissements, s’ils les ignoraient, ils risquent vaguement de passer pour les dindons de la farce —pour rester polie.»
Les deux scénarios, que personne n'a pu pour le moment formellement nous confirmer ou infirmer, pourraient expliquer le silence de la France ces quatre derniers mois. Car chacun place le pays dans une situation plus qu'inconfortable.
Si la France savait, ce que présument la majorité des observateurs, elle aurait alors laissé libre cours à un monitoring de sa population aux contours autrement plus larges que le cadre légal valable sur son territoire. Se poserait alors l'ampleur de sa connaissance du méfait: à l'instar des Britanniques, a-t-elle contribué à cette surveillance des communications main dans la main avec les Etats-Unis? Dans le cas contraire, et même si elle était au courant, pouvait-elle vraiment faire quelque chose pour s'y opposer?
Il y a pire, pour certains: envisager que nos services de renseignements soient complètement passés à côté de ces agissements. Un petit côté OSS 117 qui, pour le coup, ne fait pas franchement rire. Ce qui paraît peu probable: comme beaucoup le soulignent, les espions de tous les pays sont là pour espionner. La différence est dans les moyens: difficile d'égaler et d'arrêter le panzer américain.
6. La France se soucie-t-elle de ses citoyens?
Dans le flot de réactions molles et contenues des dirigeants français (voir question 1.), il y a bien eu un petit frisson d'indignation qui leur a parcouru l'échine. C'était le 1er juillet dernier. Seulement, ça ne concernait pas la surveillance massive des citoyens français. Mais l'espionnage, via des procédés assez traditionnels, des institutions européennes.
«Manifestement, notre vie privée à tous, citoyens européens, n’a pas la même valeur que les chuchotements des coulisses européennes. Et ne mérite pas les mêmes cris d'orfraie», déplorions-nous déjà à l'époque. En nous interrogeant encore et toujours sur les raisons de ce traitement différencié.
Une «indignation coupable», révélatrice soit de l'impossibilité pour la France de s'opposer au géant cousin, soit de son absence totale d'intérêt pour la protection de notre vie privée sur Internet. Et pour les questions touchant à Internet tout court. Difficile de savoir ce qui est pire.
7. François Hollande en a-t-il quelque chose à faire?
Il a éte le dernier à se cabrer, en faisant part à Barack Obama —qui a pris l'initiative de l'appel— de «sa profonde désapprobation». Une réaction à retardement qui forcément interroge, quand on sait que le Président français a par exemple été prompt à intervenir en personne, un vendredi soir, afin d'arracher pour une partie de la presse quelques subsides à l'ogre Google.
Pourquoi ne pas se dresser de la même manière pour défendre les intérêts de tous les Français?
Espérons que l'éventualité aura été sérieusement abordée ce mardi 22 octobrre: François Hollande a en effet rencontré à l'Elysée «des dirigeants d'entreprises du numérique». Entrevue suivi d'un déjeuner, notamment en présence de la ministre de l'économie numérique Fleur Pellerin et du président du Conseil national du numérique Benoit Thieulin, qui précise le menu: «big data, formation au code et aux usages, neutralité des plateformes, etc.»
On mise tout sur le «etc.»
8. Allons-nous agir?
Au-delà des petites phrases, des convocations d'ambassadeurs et des prétendues ires téléphoniques, la France va-t-elle tenter d'agir?
D'accord, il n'est pas certain qu'il existe une marge de manoeuvre significative (voir questions 2.3.4.5.). Mais une prise de parole publique bien sentie ne fait jamais de mal et a au moins le mérite de s'ajouter à la balance diplomatique. Ça tombe bien, on a trouvé une occasion parfaite pour le faire: le prochain Conseil européen des 24 et 25 octobre.
En plus, cette réunion de tous les chefs d'Etat et de gouvernements de l'Union se consacrera (un peu, mais passons) au numérique. Toutes les conditions sont réunies.
9. La France réalise-t-elle des interceptions de données de grande ampleur en France et à l'étranger? Prévient-elle les pays concernés si c'est le cas?
Corollaire de la rafale de questions 2.3.4.5., celle de l'état et de l'ampleur de la surveillance de la France s'impose avec insistance. Si tous les espions espionnent, comment opèrent nos agents?
En France, ce genre d'actions sont censées être strictement encadrées. Mais Le Monde affirmait au contraire en juin dernier que la DGSE, le service de renseignement extérieur français, «examine, chaque jour, le flux du trafic Internet entre la France et l'étranger en dehors de tout cadre légal».
Une affirmation que certains récusent depuis. Selon le journaliste Jean-Marc Manach, «s'il est certes techniquement possible d'espionner tout type de réseau de communication, le maillage décentralisé du réseau Internet, en France, fait qu'il est par contre improbable que la DGSE ait pu concrètement, financièrement et structurellement, placer l'intégralité de nos télécommunications sous surveillance afin de collecter et stocker nos méta-données (qui communique avec qui, quand, pendant combien de temps, d'où)».
A la différence de certains pays tels que la la Libye, il y a en France bien des acteurs impliqués dans la gestion du réseau. Du coup, difficile de scruter tout ce qui s'y passe. Sans compter que la moindre tentative de fourrer son nez dans une des briques du réseau (tels que les routeurs, dont on parle aussi beaucoup) peut se voir.
Pour rester dans la même thématique, la question du rôle de la France dans l'exportation et la vente de technologies de surveillance du Net, art dans lequel, précisément, elle est passée experte, revient également.
Cela fait beaucoup de zones floues: on aimerait bien avoir la version de l'exécutif sur ces sujets.
10. Bonus! La présidente brésilienne a été espionnée. L'ancien président mexicain a été espionné. Pas vous, monsieur le Président. C'est:
2. vous êtes mieux protégé!
3. vous avez été espionné aussi, non mais!
Andréa Fradin