Monde / Économie

G8: l'Europe en ruines, Par Eric Le Boucher

Il y a bien un pilote dans l'avion du G8, mais il n'est pas européen.

Temps de lecture: 3 minutes

Comme la plupart des sommets, le G8 d'Aquila en Italie accouchera d'un souriceau. Grand tralala: G8 puis G13 (G8+ Chine, Inde, Afrique du sud, Brésil, Mexique), puis avec d'autres comme Kadhafi, 27 chefs d'Etat et de gouvernements au total. Grand tralala et gros agenda: crise économique, avancement des décision du G20 d'avril, réchauffement climatique, crise alimentaire qui revient, réforme de la gouvernance mondiale, aide au développement du tiers monde, situation en Iran, terrorisme...

Il ne faut pas trop en vouloir à nos grands chefs. Mettre au point une gestion «globale» de la planète est une affaire assez neuve et compliquée, il faut le reconnaître. Les sujets eux-mêmes ne sont pas coton, il faut bien l'admettre aussi. Personne n'a d'idée séminale sur aucun des thèmes. Tout se contesté, tout est disputé. Il faut être un type comme Dieu, pour régler ça en sept jours... Et si le pape s'est invité pour réclamer un capitalisme «éthique», son patron ne semble pas vouloir descendre donner un coup de main invisible.

Et alors Mesdames-Messieurs du G8? Peut-on quand même avoir un état d'avancement de vos travaux? Les ruines d'Aquila que Berlusconi n'arrive pas à remettre debout sont-elles une si mauvaise comparaison? Avancez-vous un peu? beaucoup? On sait: vous serez sûrement contents de vous sur la photo finale. Mais est-ce mérité?

Schématisons.

1- L'Asie va son chemin, sort de la crise, commence à s'orienter vers une croissance plus régionale et plus auto-centrée (en gros avec une consommation interne et un système de protection sociale qui permettent aux ménages de moins avoir besoin d'épargner). Il lui reste beaucoup de chemin à faire, notamment à construire un marché financier profond, intégré, ouvert et... transparent. Ce n'est pas gagné mais la direction est claire et admise.

2 - L'Amérique d'Obama avance à double tempo: conjoncturel avec le plan bancaire et le plan de relance, structurel avec la régulation bancaire, la loi énergie et le projet «santé pour tous». En conséquence, les Etats-Unis devraient sortir de la récession avant la fin de cette année et se préparer à un nouveau modèle de croissance appuyé sur une hausse de l'épargne et un désendettement des ménages. La vitesse sera moindre mais si le Président américain réussit son pari de redonner un espoir à la classe moyenne par ses réformes, le pays sortira plus fort de la crise.

3 - Et l'Europe? La quoi? L'Europe! Ah! Ce qu'on appelait «L'Europe»... Et bien, l'Europe réussit cette performance de s'effacer, de se perdre en querelles intestines au moment où l'Asie et l'Amérique copient son modèle et établissent chez eux un Etat providence «à l'européenne». Il y a de quoi être furieux de nos dirigeants. L'environnement? L'Europe dit «montrer le chemin». En vérité, aucun de ses pays membres ne respecte les engagements de Kyoto. La gouvernance mondiale? C'est Sarkozy qui réunit un G20 de crise, c'est l'Europe qui patauge ensuite, les Britanniques refusant une régulation de la City, les Français et les Allemands refusant une mutualisation de leurs parts au capital du FMI. Sarkozy et Merkel s'en prennent aux Hedge Funds? La Suède, présidente de l'Union, prend leur défense.

Comprenne qui pourra dans cette alliance de nains.

Les banques européennes sont-elles irresponsables de la crise des subprimes ? Oui, mais elles ont acheté par paquets les produits toxiques et leurs pertes sont au moins aussi grandes que celles des banques américaines. Quand la Maison Blanche et la Fed organisent un nettoyage de Wall Street (en accord avec les champions de la place), les capitales européennes agissent en ordre dispersé, sans transparence, sans pouvoir surmonter la division entre Londres et les autres capitales. Conséquence: la reprise en Europe sera retardée à 2010 et aucune réflexion n'est engagée sur la croissance post-crise, sur le modèle «post libéral», sur l'organisation nécessaire dans un monde multipolaire.

Cette crise donne raison à l'Europe mais sa voix se perd. Regardez le commerce et les négociations de Doha. Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) se félicite de ce que le protectionnisme ait été évité, jusqu'à maintenant. Mais les tensions croissent partout en parallèle avec la montée des taux de chômage. Qui sera décisionnaire? Les Etats-Unis et l'Inde, qui reviennent à la table après leurs élections respectives. Resteront-ils favorable à la mondialisation? On ne sait pas encore, les deux gouvernements ne se sont pas prononcés sur le fond. On sait seulement que l'allure du commerce mondial dépendra d'Obama et de Singh, pas de l'Europe.

Alors, tout n'est pas au point mort. Les chapitres du G20 de Londres se remplissent peu à peu, vaille que vaille, sur les paradis fiscaux, sur la supervision financière, sur le recapitalisation du FMI. D'autres sont au point mort, les agences de notation et les normes comptables, par exemple. Mais globalement, l'Europe est dépassée ou contournée. La raison est que les autres ont une direction, l'Union n'en a plus.

Eric Le Boucher

Image de une: Nicolas Sarkozy entouré de Gordon Brown et Angela Merkel, le 8 juillet à l'Aquila. REUTERS/Jason Reed

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