Culture

Les trop belles images de «Sur le chemin de l’école»

Ce documentaire filme quatre enfants, en Inde, au Chili, au Maroc et au Kenya, parcourir des kilomètres, tous seuls, souvent quotidiennement, dans des conditions spectaculairement compliquées, pour rejoindre leurs écoles. Joli mais son manque d'épaisseur nuit au message.

«Sur le chemin de l'école», au Kenya. DR
«Sur le chemin de l'école», au Kenya. DR

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«Mange ta soupe, il y a des enfants qui n’ont rien à manger»; «Tu sais il y a des enfants qui n’ont pas la chance de pouvoir aller à l’école comme toi!» J’ignore si ces arguments ont jamais convaincu quiconque, mais qui ne les a entendus prononcés, voire prononcés lui-même pour encourager un rejeton récalcitrant?

Mesurons notre chance! C’est de cette idée simple, trop simple, que part le documentaire Sur le chemin de l’école, réalisé par Pascal Plisson. On y voit quatre enfants filmés en Inde, au Chili, au Maroc et au Kenya, parcourir des kilomètres, tous seuls, souvent quotidiennement, dans des conditions spectaculairement compliquées, pour rejoindre leurs écoles.

Pour être exacte, Plisson, un ancien reporter, le racontait un peu autrement à l’avant-première du film. Nous étions à l’Institut du monde arabe dans l’auditorium Rafik Hariri plein à craquer. Plusieurs équipes télévisées étaient présentes, ainsi que Jack Lang, le président de l’institut, ou encore George Pau-Langevin, ministre déléguée à la réussite éducative. De nombreux lycéens avaient été invités.

Et c’est donc en réalisant un reportage il y a plusieurs années au Kenya, dans la région des grands lacs, que Plisson a croisé de jeunes guerriers marchant dans la campagne et dont le but était d’aller à l’école pour ne plus avoir à subir leur destin. Le reporter a observé de nombreux enfants dans des situations similaires au fil de ses reportages. Jusqu’à décider d’en faire un documentaire avec le producteur Barthélémy Fougea. Aide et action, une association reconnue dans l'humanitaire éducatif, a collaboré au film.

Une envie sincère d'aller à l'école, forcément touchante

Le film, distribué par Disney France, bénéficie d’une très belle promotion, rare pour un documentaire, et vous avez dû croiser les affiches dans les rues près de chez vous. On y voit les visages des quatre héros du film. Les clients d’une enseigne de grande distribution urbaine ont même été sollicités pour participer à un concours associé à sa sortie, c’est d’ailleurs en faisant mes emplettes de rentrée que j’en ai entendu parler.

Le propos est d’une naïveté étonnante: l’éducation est un bien précieux et des enfants qui en mesurent la valeur sont prêts à affronter mille dangers pour s’y rendre. Prenez-en de la graine. Cela n’empêche pas l’émotion, du moins la mienne, et j’ai versé plusieurs fois ma petite larme pendant la projection. Des enfants portés par une envie sincère, une passion pour l’école et l’idée de s’instruire, c’est très touchant. Une scolarité qui prend autant de sens pour les élèves, ça peut aussi impressionner pas mal de parents et de profs dans nos contrées. L’idée semble tellement bonne qu’une série documentaire sur le principe est en projet pour France 5.

Le film ne lésine pas sur le spectaculaire pour enfoncer le clou. Les paysages sont magnifiques. Le docu a un petit coté National Geographic. Imaginez la savane du Kenya, des éléphants et des girafes; ou la Patagonie à cheval, avec de vastes paysages à perte de vue; ou encore les montagnes du Haut Atlas sous la lumière étincelante du matin. Hormis au Tamil Nadu en Inde, plus urbanisé et peuplé, et donc plus éloigné des paysages à la Yann Arthus Bertrand, on est surtout frappé par la beauté de ce que l’on voit, et un certain exotisme.

Filmé à hauteur d'enfant, et façon Ushuaïa

Et au milieu ces gamins. Flanqués de leur sœur (pour Jackson au Kenya et Carlos en Argentine), de leurs frères (pour Samuel en Inde) ou de leurs copines (pour Zahira au Maroc), ils sont à deux, trois, filmés seuls, isolés dans la nature, paraissant livrés à eux même. Un isolement d’ailleurs très inquiétant pour un parent français. Un coté aventure du quotidien qui fait affleurer des impressions archaïques et nous rappelle l’immensité du monde vu à hauteur d’enfant, sauf que là l’immensité et ses périls sont réels. D’ailleurs, comme avec Nicolas Hulot dans Ushuaïa,  je me suis très souvent demandé où se trouvaient la caméra et l’équipe du tournage.

Il faut dire que le film joue beaucoup sur la peur. Nous regardons les protagonistes surmonter les difficultés, et parfois les dangers, de trajets qui paraissent épuisants. Les deux jeunes Kenyans, un frère et sa sœur, doivent se cacher pour échapper aux éléphants, se frayer un chemin au milieu d’un troupeau de girafes la peur au ventre. Chaque personnage a son moment d’angoisse. Et de toutes ces aventures, celle qui m’a le plus effrayée, c’est de voir trois petites marocaines de onze ans faire du stop.

On n’entend pas beaucoup d’adultes, les parents souhaitent bonne route à leurs enfants puis s’éclipsent. On n'a pas non plus énormément d’éléments à se mettre sous la dent pour contextualiser la situation des uns et des autres. C’est dommage, on voudrait aussi un peu mieux savoir où l’on est, pourquoi ces gens vivent dans des régions si isolées, et si le choix de scolariser leurs enfants est si singulier autour d’eux. Est-ce que cela coûte cher aux familles et exige des sacrifices? Pourquoi le petit Indien est-il handicapé? Il se prénomme Samuel, il est donc sûrement chrétien, est-ce que ça change quelque chose? La caméra sort du champ tout ce qui pourrait nous fournir des informations. C’est bizarre d’apprendre si peu de choses dans en film qui parle d’éducation.

L'émotion plutôt que le savoir

En plus, à force de ne vouloir donner aucun détail, le film détache ses personnages du réel. Pourtant ça veut dire quelque chose de précis pour une fille qui vit dans une région isolée du Maroc ou d’avoir des ambitions pour son fils handicapé en Inde. On ne saura rien non plus du type d’école dans lequel ils sont scolarisés, quel type d’enseignement ils reçoivent, qui sont les autres élèves, s’ils ont de bons résultats, est-ce qu’ils s’amusent, etc. Finalement, ils sont contents d’aller à l’école mais on ne sait jamais précisément pourquoi et ces histoires incroyables finissent par manquer d’épaisseur.

C'est la faiblesse de ce trop joli film. Il tient sur une seule intention de réalisation: «spectaculariser» la motivation de ces enfants à apprendre. Il ne dit rien d’autre et rien de plus. Et cette motivation est formulée explicitement par chaque personnage à la fin du film avec clarté et conviction. Certains de nos jeunes héros sont de véritables militants de l’éducation.

Zahira la petite Marocaine essaie de convaincre des filles de sa région d’aller à l’école. Le Kenyan Jackson, qui était présent à Paris pour l’avant-première, le formule dans le film et l’a dit aussi devant le public de l’avant première: «l’éducation c’est très très très important pour moi, c’est la clé de ma réussite dans la vie. Je crois à l’éducation pour améliorer mon avenir, celui de ma famille, de ma communauté, de mon pays». Tonnerre d’applaudissements, évidemment.

Oui c’est beau et en même temps nous n’y croyons plus chez nous. Qu’on fasse 45 km pour aller au collège ou que le trajet prenne trois minutes. C’est la tristesse de la modernité: le rêve, qui était une ambition sociale, démocratique, politique (tout ce dont le film s’abstrait) s’est réalisé, l’école est accessible à tous. On peut penser que cette école doit être améliorée, pour qu’elle reproduise moins les inégalités sociales par exemple ou décider ce serait si simple, d’adhérer à l’argument unique du film, ne dit rien d’autre que «l’école c’est bien, regardez comme ils sont contents d’y aller».

Après la projection, le réalisateur suggérait d’aller montrer le film dans des «banlieues», j’imagine qu’il pensait à des lieux où les élèves sont peu motivés. On en trouve aussi dans les centres villes, dans le monde rural. Je ne déconseillerais pas le film à des enfants ou des adolescents, mais je ne crois pas que ses héros puissent servir d’exemple. Après-tout ne cherchent-ils pas, pour trois d'entre eux, à sortir de leur condition? 

En revanche Zahira, Carlos, Samuel et Jackson possèdent quelque chose de très précieux, à l’inverse des Français, y compris des plus jeunes: ils pensent que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

Louise Tourret

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