Économie

Démolir le projet de budget 2014? Trop facile!

En période de crise, le jeu des arbitrages entre des demandes opposées ne fait pratiquement que des mécontents. Gardons donc la tête froide pour examiner le plan du gouvernement, qui ne pourra être évalué qu'à l'aune du bilan du quinquennat.

<a href="http://www.flickr.com/photos/59937401@N07/5857613706/">Hammer and Piggy Bank</a> / Images_of_Money via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by.</a>
Hammer and Piggy Bank / Images_of_Money via Flickr CC License by.

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Un projet de budget, c’est une suite d’arbitrages entre des demandes opposées. A ce petit jeu, on ne fait pratiquement que des mécontents.

C’est encore plus vrai quand la conjoncture économique est médiocre, que le déficit est élevé et que la seule chose que le gouvernement ait à proposer est la répartition la plus équitable possible des mauvaises nouvelles. A chacun son petit paquet!

Quelles sont les lignes directrices de celui pour l'année 2014, que le gouvernement a présenté mercredi 25 septembre?

On nage entre deux eaux

D’abord, ne pas casser la croissance. Cela commence mal: cela veut dire qu’on ne la soutient pas vraiment et qu’on ne fait pas vraiment non plus ce qu’il faudrait pour réduire significativement le déficit public (qui passera simplement de 4,1% du PIB cette année à 3,6% l’an prochain).

On nage entre deux eaux. On mécontente ceux qui trouveraient normal de laisser filer les déficits sous prétexte que la priorité doit être donnée au retour de la croissance, qui permettra d’assainir les finances publiques; dans cette optique, toute hausse des impôts, toute réduction des dépenses est négative.

Mais on mécontente aussi ceux qui trouvent que l’Etat n’en fait pas assez pour réduire les déficits: les dépenses publiques devraient être plus sévèrement comprimées, quitte à affaiblir un peu la croissance à court terme. Bref, les critiques fusent des deux côtés.

Plus ou moins clairement, le public perçoit bien cette poursuite simultanée de plusieurs objectifs et cette tentative de ménager la chèvre et le chou. La communication ne peut suffire à dissiper les doutes. Le projet est présenté à la presse sous le titre «Cap sur la croissance et l’emploi». Dans le texte soumis au Parlement, l’exposé des motifs est plus explicite: «La réduction des déficits dans un contexte de redémarrage économique à accompagner». C’est moins affriolant, mais plus conforme à la réalité.

Les impôts, c’est comme la température

Deuxième ligne directrice: faire porter l’effort surtout sur les dépenses, mais continuer tout de même d’augmenter certains prélèvements. Là encore, on est sûr de mécontenter tout le monde.

On le sait: les impôts sont déjà lourds en France et c’est toujours la petite goutte supplémentaire qui fait déborder le vase. Sur un effort estimé à 18 milliards d’euros, 15 milliards viennent des réductions de dépenses et 3 milliards des hausses d’impôts. Mais, pour être complet, il faut ajouter les quelques milliards de recettes supplémentaires qui viendront des hausses déjà décidées, qui ne sont pas des mesures nouvelles présentées dans ce projet de budget mais viendront tout de même peser sur celui des contribuables l’an prochain, comme la hausse de la TVA par exemple.

Dans ce contexte, parler de pause fiscale était un peu osé. Les Français ont eu le sentiment qu’on se moquait d’eux et les adversaires de gauche et de droite du gouvernement ont eu beau jeu de faire front commun.

Le thème du fardeau des impôts trop lourds et injustes est toujours porteur. L’argument porte cette fois d’autant mieux que le gouvernement a pris le risque de n’épargner personne: même s’il est revenu à la charge avec la mesure spectaculaire de taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations versées par les entreprise, la réalité est bien celle d’une hausse des prélèvements obligatoires qui concerne plus ou moins fortement tous les ménages.

On peut seulement dire que les prélèvements obligatoires seront presque stabilisés, avec juste une hausse d’un dixième de point à 46,1% du PIB l’an prochain, contre 46% cette année. Mais les impôts, c’est comme la température: il y a le chiffre enregistré et le ressenti.

Ne pas se fâcher avec les patrons

Troisième ligne directrice: ne pas se fâcher avec les chefs d’entreprise, surtout pas avec les patrons de PME. A l’annonce des projets du gouvernement, on a cru voir ressurgir le thème d’un «socialisme de l’offre», comme François Hollande lui-même l’avait évoqué en novembre 2012 au moment de l’adoption du pacte de compétitivité.

En fait, les contours théoriques de ce socialisme de l’offre ne sont pas très précis. Il vaudrait mieux parler d’un solide réalisme social-démocrate: puisque ce sont les entreprises qui investissent et embauchent, si on veut qu’elles avancent, il est préférable de ne pas trop les alourdir. On note d’ailleurs que, en présentant le projet de loi de finances à la presse au côté de Pierre Moscovici, Bernard Cazeneuve a parlé d’une «croissance tirée par la demande», ce qui justifie plusieurs mesures budgétaires destinées à soutenir le pouvoir d’achat des ménages (indexation du barème de l’impôt sur le revenu, majoration de la décote, etc.).

Bref, il n’y a pas de brutal passage d’un socialisme traditionnel de la demande à un pseudo socialisme de l’offre. Simplement, la hausse des prélèvements obligatoires de 2014 ne s’appliquera qu’aux ménages, les hausses d’impôts ou de cotisations des entreprises étant compensées par d’autres mesures.

Assez tristement raisonnable

Tout cela, examiné froidement, parait au total assez tristement raisonnable. Le gouvernement ne relance pas la croissance, mais il profite du délai supplémentaire de deux ans accordé par Bruxelles pour ralentir le rythme de la réduction des déficits et s’engager de façon progressive sur la voie de la réduction des dépenses.

Cette politique des petits pas a pour objectif de ne pas peser trop sur l’activité et de ne pas trop brusquer la population. C’est une option qui peut être défendue: les politiques de «rupture» annoncées précédemment n’ont pas donné de résultats très probants.

Mais, pendant ce temps, la dette publique continue de se creuser: elle sera de 95,1% du PIB fin 2014 et le paiement des intérêts est d’ores et déjà le premier poste du budget, devant l’enseignement scolaire (à respectivement 46,9 milliards l’an prochain contre 46,4). A défaut d’être énergique, l’action devra être prolongée dans le temps. Le choix fait par François Hollande d’agir par petites touches implique une action continue.

Le projet de budget 2014 ne pourra vraiment être jugé qu’à l’aune de ce qui aura été accompli sur l’ensemble du quinquennat. Considéré isolément, il n’est pas très excitant et ne va être facile à défendre devant une opinion qui ne comprend pas forcément toutes les subtilités de la politique présidentielle.

Gérard Horny

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