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Combien pèse Maria Sharapova?

Et le public a-t-il le droit de le savoir?

Maria Sharapova en février 2013 à Doha. REUTERS/Fadi Al-Assaad
Maria Sharapova en février 2013 à Doha. REUTERS/Fadi Al-Assaad

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A tous les niveaux, la finale du simple dames de Roland Garros 2012 semblait déséquilibrée. Maria Sharapova, victorieuse de plusieurs tournois du Grand Chelem, a dépassé Sara Errani, qui participait à sa première finale de Grand Chelem, tant en taille qu’en présence sur le court. Quand les deux jeunes femmes de 25 ans se sont retrouvées au filet pour les photos d’avant-match, Errani arrivait à peine à l’épaule de Sharapova.

Roland-Garros, le 9 juin 2012. REUTERS/Benoit Tessier

Mais il y a quand même une catégorie dans laquelle Errani, 1m64, dépassait Sharapova, 1m88: le poids. Selon les fiches de la Women’s Tennis Association, Errani pèse 60 kg, alors que Sharapova en pèse 59.

L’indice de masse corporelle de Sharapova serait de 16,68, si l’on se réfère aux poids et taille (59 kg pour 1m88) inscrits sur sa fiche WTA. Ce résultat la rapproche de l’indice d’un être humain aux proportions d’une poupée Barbie, dont l’IMA a été estimé à 16,24. Selon le New York Times Health Guide, les gens ayant un IMA inférieur à 17,5 sont «considérés comme étant des personnes risquant des problèmes de santé dus à l’anorexie».

Mais, en personne comme à la télé, Sharapova –forfait à l’US Open pour cause de blessure à l’épaule– ne semble pas si maigrichonne que ça. Même si elle est effectivement filiforme, elle a de larges épaules, des bras toniques, et des jambes musclées. En d’autres termes, pas besoin d’être un champion pour deviner les poids dans les foires pour voir que Sharapova pèse plus que les 59 kg de sa fiche.

Même si les mensurations de Sharapova sont celles qui surprennent le plus –c’est la seule joueuse parmi les 110 du WTA Media Guide 2013 qui ait un IMA inférieur à 17,5– elle est loin d’être la seule joueuse dont le poids annoncé ne saute pas aux yeux. Comparées l’une à l’autre, ou simplement confrontées à la logique, de nombreuses joueuses ont un poids qui semble bien loin de la réalité, et même en dessous pour chacune d’elle. Kristina Mladenovic, 1m80, seule joueuse du media guide à l’IMA inférieur à 18, pèserait 60 kg, ce qui est à peine croyable. Caroline Wozniacki, qui mesure 1m77, pèserait 58 kg.

Pourquoi devrait-on connaître leur poids?

Quand j’ai interrogé Max Eisenbud, agent de longue date de Sharapova, concernant les mensurations surprenantes de sa cliente, il n’a pas insisté sur le fait que la star russe, sportive féminine la mieux payée au monde, pèse effectivement 59 kg. A  la place, il a répondu:

«Je ne connais pas beaucoup de femmes qui aiment parler de leur taille et de leur de poids. Mais si on prend tous les sports, la taille et le poids ne sont jamais les bons. Et pas qu’au tennis.»

Il a même ajouté:

«Je pense que c’est loin d’être le sujet que la WTA devrait traiter en priorité.»

Le but n’est pas de condamner ces femmes parce qu’elles pèsent plus que ce qu’elles disent. Ce qui pose vraiment problème, c’est la raison pour laquelle le poids des joueuses de tennis est une statistique officielle. Parce qu’il n’y a aucune raison valable pour que l’on connaisse le poids exact de Maria Sharapova ou de Caroline Wozniacki.

Pourquoi les poids annoncés des joueuses de tennis sont-ils aussi inexacts?

Si la vanité fait sans doute partie des raisons, une autre hypothèse est tout simplement qu’ils ne sont plus à jour. Les joueuses remplissent leurs formulaires WTA quand elles arrivent pour la première fois sur le circuit professionnel, souvent quand elles sont adolescentes. Même si les joueuses sont enclines à donner leur nouvelle taille quand elles ont grandi, elles oublient souvent de faire de même pour leur poids.

Les hommes aussi

Les circuits masculin et féminin font confiance aux joueurs pour qu’ils donnent et mettent à jour leurs taille et poids, ce qui a récemment amené John Isner à se rapprocher du titre de «plus grand joueur de tennis» à l’âge de 28 ans. Les joueurs, selon des représentants de l’ATP, modifient régulièrement leur poids officiel après avoir pris du muscle ou commencé un régime.

Mais il n’y a pas que chez les femmes que les poids ne sont pas exacts. Après sa qualification pour le tournoi ATP de Cincinnati en août, Mackenzie McDonald, 18 ans, déclarait à la presse qu’il espérait s’améliorer sur le plan physique, en disant qu’il ne pesait que 63 kg, ou 64 kg «dans un bon jour». Après sa conférence de presse, un représentant de l’ATP lui a donné un formulaire à remplir, et le joueur y a inscrit le poids de 66 kg.

Ce type d’erreur n’est pas grave, cependant, comparé à ce qui se fait chez les femmes, si l’on en croit les joueuses et les connaisseurs du circuit. Un représentant de la WTA explique que le circuit essaie de s’assurer que les tailles et poids inscrits soient «raisonnables», mais ne se souvient pas qu’un poids ou une taille aient jamais été refusés. Contrairement aux hommes, les joueuses qui prennent du muscle se manifestent rarement pour mettre leur poids à jour, et les chiffres restent les mêmes, offrant des idéaux très loin de la réalité pour celles qui cherchent à leur ressembler.

Aussi bidons que certains poids puissent paraître, les contestations sont étonnamment très rares. Dans un article de 2007 pour le New York Sun, Tom Perrotta avait mis en doute les 61 kg annoncés de Serena Williams, alors que la joueuse entamait l’Open d’Australie 2007 dans une forme bien moins impressionnante que d’habitude. «Elle pèse au moins 10 kg de plus, et peut-être davantage», avait écrit Perrotta. Il avait aussi mis en doute le temps qu’elle avait dit avoir passé à s’entraîner avant la reprise de la saison, écrivant qu’il «semblerait que beaucoup de cet entraînement ait été composé d’une télécommande et d’un écran plat 130cm».

Serena Williams, le 27 janvier 2007, en finale de l'Open d'Australie contre Sharapova. REUTERS/Stuart Milligan

Comme pour faire mentir Perrotta, Williams remportera le tournoi, en dominant Sharapova 6-1, 6-2 en finale. Mais elle lui donnera aussi raison d’une certaine manière, Williams étant l’une des rares joueuses dont le poids a augmenté. Fin 2007, le chiffre sur la fiche de Williams est passé à 68 kg. Fin 2011, il était réajusté pour monter à 70 kg, et n’a pas changé depuis.

Est-ce qu’une des joueuses autour d’elle avait remarqué le changement? J’ai demandé à plusieurs des meilleures joueuses si elles avaient déjà vérifié le poids de leur adversaire avant un match.

«J’ai pour habitude de vérifier la taille, m’a répondu Williams. Je ne vérifie jamais le poids, seulement la taille.»

Marion Bartoli, victorieuse à Wimbledon en 2013, a déclaré qu’elle ne s’était jamais penchée sur les poids non plus, en ajoutant qu’elle doutait de leur véracité de toute façon. «Les femmes trichent toujours sur leur poids», a-t-elle répondu avec un grand sourire.

«C’est de notre faute, en fait. Mais ce n’est pas très important.»

Andrea Petkovic, joueuse allemande, m’a répondu qu’elle pesait maintenant 70 kg mais que sa fiche donne 69 kg (son poids «dans un bon jour», comme dit McDonald). Petkovic raconte que les poids les plus absurdes du circuit envoient le mauvais message. «C’est comme ces trucs avec les célébrités qui ont un bébé, et qui font un million de séances photos et sont superbes un mois après l’accouchement», déclare Petkovic.

«Et elles ont quatre enfants, et personne ne sait qu’elles ont aussi cinq nounous, vous savez? Je trouve que ça met beaucoup de pression sur les gens normaux.»

Avant de jouer, il faudra qu'elle perde du poids

La pression n’est pas seulement sur les gens normaux, mais aussi sur les futures joueuses. Taylor Townsend, victorieuse de l’Open d’Australie féminin junior, a vu son poids devenir un problème quand l’USTA (United States Tennis Association) lui a interdit de jouer des tournois afin qu’elle perde quelques kilos. Taylor Townsend, 17 ans, qui a parfois joué au niveau professionnel, n’a pas encore rempli son formulaire WTA, et la section «poids» est donc encore vide, mais devra être remplie dès que la WTA décidera qu’elle est devenue une joueuse de premier plan.

«Personnellement, je n’ai jamais eu de problèmes [de poids], alors ce n’était pas grave de toute façon», déclare Chanda Rubin, joueuse devenue animatrice.

«Malgré tout, je peux comprendre que pour une joueuse qui a vraiment eu des problèmes de ce côté-là, ce soit traumatisant ou que ça la mette mal à l’aise, et que ça devienne problématique pour elle.»

Mais pourquoi Townsend, ou toute autre joueuse, devrait-elle révéler son poids au public, et même être angoissée au point de mentir à ce sujet? Tracy Austin, qui a remporté son premier US Open à 16 ans, explique que les joueuses qui débutent sur le circuit sont tout particulièrement vulnérables.

«On parle de filles qui sont sur les routes, souvent très jeunes, et qui connaissent des hauts et des bas extrêmes au niveau émotionnel, raconte Austin, qui est maintenant animatrice. Alors cela peut être des moments très difficiles et épuisants, et je ne crois pas qu’il faille en rajouter avec la question du poids.»

Dans un monde parfait, il pourrait être rafraîchissant que chaque femme sur le circuit donne son vrai poids, supprimant toute honte liée à la taille, et montrant que les sportives peuvent toutes être différentes. Mary Carillo, autre joueuse devenue commentatrice, émet l’hypothèse que les joueuses musclées d’aujourd’hui pèsent plus que ce que les fans croient, et que «ce serait mieux si elles pesaient plus qu’elles en ont l’air». En réalité, cependant, Carillo explique que le poids est «une statistique ridicule. Et je ne suis pas certaine que cela soit très bénéfique. Parce que les gens le remettent tout le temps en question, et ça ne correspond jamais à la réalité au bout du compte».

Andrea Petkovic est du même avis. «Je ne pense pas qu’il y ait besoin de savoir ça», déclare-t-elle à propos du poids des joueuses.

«Après tout, les gens voient les corps, ils voient les filles, et ils peuvent juger par eux-mêmes si ça les chante –même si ce n’est pas très bien de juger. Mais s’ils veulent vraiment juger, ils peuvent juger ce qu’ils voient. Il n’y a pas besoin de savoir.»

Cela fait des années que les sections sportives universitaires vont dans ce sens, et refusent de publier les poids de leurs athlètes féminines. Cela se remarque tout de suite dans des sports comme le basketball, où le tableau masculin donne presque toujours le poids des joueurs, alors que celui des femmes n’en donne aucun.

Le poids est-il un bon indicateur?

Contrairement à la NFL (la National Football League), où la taille et le poids des joueurs potentiels ont leur importance pour les sélections en ligue professionnelle, il n’y a aucun avantage en tennis à connaître le poids d’une joueuse.

Le représentant de la WTA avec qui je me suis entretenu a reconnu que le poids n’était pas une donnée essentielle, mais m’a aussi dit que retirer ces statistiques «poserait davantage de problèmes que si on les gardait», ajoutant que la catégorie était déjà intégrée dans les graphiques à la télévision. De leur côté, les diffuseurs expliquent que les graphiques peuvent facilement être modifiés, et que le poids d’une joueuse donne peu d’informations sur son style de jeu, et n’est donc pas indispensable pour un match.

«D’autres personnes iront dire que les joueuses appartiennent au domaine public, et que c’est donc une statistique qu’on a le droit de connaître», reconnaît Austin.

«Mais si on a le droit de la connaître, autant avoir la vraie. Parce que si ce n’est pas la bonne, à quoi bon la donner? Et clairement, ce n’est jamais le vrai poids qui est donné. Et si les femmes sont sensibles sur ce point, et que ce n’est pas le bon poids, alors ça ne marche pas.»

De son côté, Petkovic pense que le seul poids d’une joueuse a très peu d’influence sur sa capacité à remporter un match.

«Ça ne fait aucune différence, explique-t-elle. Quand j’avais 15 ans, j’étais nulle en tennis. Et j’avais dix kilos de moins.»

Ben Rothenberg

Traduit par Anthyme Brancquart

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