Politique / France

Il est trop tard pour empêcher les alliances entre le FN et l’UMP

Entre une droite «frontiériste», focalisée sur l’insécurité et l’immigration, et une extrême droite «républicaine», qui se garde désormais de provocations gratuites, la coupure n’est plus si nette.

Marine Le Pen lors d'un meeting à Lyon, le 7 avril 2012. REUTERS/Robert Pratta.
Marine Le Pen lors d'un meeting à Lyon, le 7 avril 2012. REUTERS/Robert Pratta.

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Le changement de pied de François Fillon à l’égard du Front national n’est pas réductible à un coup tactique visant Jean-François Copé et/ou Nicolas Sarkozy. L’ancien Premier ministre, dont le conservatisme est fréquemment sous-estimé, prend plutôt acte d’une évolution de la droite française qui la rapproche objectivement de la formation lepéniste.

A six mois des prochaines élections municipales, la perspective d’alliances locales entre l’UMP et le FN apparaît inéluctable.

Vive pression des électorats

L’interdit pesant officiellement sur une telle stratégie —que le président de ce parti vient encore de rappeler— n’empêche pas les électeurs de l’UMP de l’envisager de plus en plus favorablement. D’après une enquête de l’Ifop, 49% d’entre eux (contre 51% d'opinion inverse) souhaitent «qu’aux élections locales (municipales, cantonales, régionales), l’UMP et le Front national passent des accords électoraux».

On remarquera que la question est posée en termes généraux et ne se limite pas à évoquer des exceptions locales. Cette réponse est cohérente avec le fait que 47% des sympathisants UMP ont désormais une «bonne opinion» de Marine Le Pen. Une moitié environ de l’électorat du parti de droite penche ainsi pour une sorte de partenariat stratégique avec le FN.

Un tel rapprochement est plus souhaité encore du côté des sympathisants du parti d’extrême droite: pas moins de 72% de ceux-ci sont favorables à des alliances locales avec l’UMP. Les électeurs lepénistes ont visiblement soif de reconnaissance, très désireux qu’ils sont de sortir du statut de pestiférés qui leur colle à la peau.

Sourde poussée des élus

Bon nombre d’élus locaux de l’UMP relaient, plus ou moins ouvertement, des appels à s’entendre avec le FN souvent exprimés par une base militante radicalisée. Le phénomène est particulièrement marqué dans le sud de la France, où le frontisme est à la fois bien implanté et très ancré à droite. Dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, sous la houlette de Roland Chassain, maire UMP des Saintes-Maries-de-la-Mer, les contacts se nouent pour faciliter les accords au moment opportun.

Des alliances en pointillé se dessinent aussi dans d’autres zones de force du FN, comme le Nord-Pas-de-Calais ou la Picardie. «Il n’y a plus de complexe chez certains élus UMP à discuter avec nous», se félicite Steeve Briois, le secrétaire général du FN.

Soucieux à la fois de sortir de son isolement et d’aviver les contradictions internes à l’UMP, ce parti est prêt à de gros efforts pour faire figure de partenaire acceptable. La «charte d’action municipale» qu’il propose «dans un état d’esprit de rassemblement» ne comporte, dans ses principes affichés, aucune formule susceptible de heurter un élu de la droite républicaine.

Une barrière idéologique démantelée

Dans un tel contexte, la logique d’alliances électorales UMP-FN devient irrésistible. Elle devrait d’autant plus se manifester au printemps prochain que la barrière idéologique dressée entre les deux formations n’est plus très solide. Entre une droite «frontiériste», focalisée sur l’insécurité et l’immigration, et une extrême droite «républicaine», qui se garde désormais de provocations gratuites, la coupure n’est plus bien nette.

Lors de son fameux discours de Grenoble, Nicolas Sarkozy a plus malmené les «valeurs républicaines» que Marine Le Pen dans nombre de ses interventions. De même la thématique des «pains au chocolat» de Jean-François Copé fait-elle si facilement écho aux campagnes du FN contre les «prières de rue» que tout ceci semble appartenir désormais au même espace idéologique.

Voilà pourquoi l’invocation de la «digue» qu’il conviendrait de maintenir, contre vents et marées, entre l’espace républicain civilisé et les dangereux courants de l’extrémisme semble de plus en plus artificielle. Le FN est, sans le moindre doute, un parti issu de l’extrême droite et qui garde, aujourd’hui encore, de très nombreuses connexions avec cette sulfureuse famille politique.

Mais la thèse du «cordon sanitaire» a besoin de se raccrocher à ce raisonnement par les origines pour convaincre. Dans sa contestation de la position de François Fillon, Alain Juppé justifie ainsi «l’incompatibilité de valeurs entre nous et le FN» par ses «références idéologiques et historiques». Il n’est pas sûr que cela suffise longtemps à masquer les intérêts électoraux convergents de candidats qui ne se sentiront pas appartenir à des univers politiques si différents.

Soit l’alliance, soit le combat

Pour la droite républicaine, seules deux attitudes face au FN sont, en réalité, cohérentes et rationnelles: soit elle passe des alliances avec le Front, soit elle le combat idéologiquement.

Dans la première hypothèse, l’UMP peut espérer en retirer des bénéfices électoraux et même casser la dynamique de son rival en l’incluant dans le jeu institutionnel. «La stratégie d'alliance va plutôt dans le sens d'un affaiblissement de l'extrême droite à moyen terme», souligne la politologue Florence Haegel en faisant référence aux exemples européens.

Les partisans d’une alliance pourraient faire valoir qu’une telle stratégie ne serait pas plus scandaleuse que ne l’avait été celle des socialistes et des communistes dans les années soixante-dix. Le PS n’avait pas hésité à signer, en 1972, un «programme commun de gouvernement» avec un PCF encore lié à l’URSS et qui n’avait alors toujours pas renoncé à la «dictature du prolétariat». C'est d'ailleurs l'argument qui avait été avancé pour justifier les premières alliances locale RPR-FN lors des deux municipales de Dreux en 1983 —liste commune dès le premier tour lors de la première élection, fusion au second six mois plus tard.

On rétorquera, à raison, que l’économie des bénéfices probables de l’alliance pour ses partenaires est fort différente d’un cas à l’autre. Porté par une dynamique de rénovation, le PS pouvait escompter profiter d’un déclin du PCF alors prévisible. Aujourd’hui, c’est au contraire le FN qui a le vent en poupe tandis que l’UMP est devenue une formation fragile, privée à la fois d’un chef incontesté et d’une orientation claire.

C’est dire si l’alliance avec le parti mariniste présenterait des risques. Mais l’autre réponse est tout aussi problématique. Comment l’UMP de 2013, marquée par le sarkozysme et travaillée par la droitisation des esprits, pourrait-elle entamer brutalement un combat idéologique contre la vision du monde du FN? On comprend, dés lors, que ses dirigeants s’en tiennent aux réponses essentiellement tactiques, qu’il s’agisse du «ni ni» (Copé) et du «ou ou» (Fillon). En attendant que les pesanteurs électorales finissent par arbitrer ce débat...

Eric Dupin

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