Monde

Syndrome iranien et réminiscences vénézuéliennes

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La mémoire latino-américaine se cristallise pour une bonne part dans le spectre des coups d'État. Alors que les jeunes Républiques en plein essor d'intégration régionale s'apprêtent à célébrer leur bicentenaire, à bonne distance de Washington, on voulait croire ce temps révolu. Le coup d'État d'avril 2002 éloignant pour quarante-huit heures Hugo Chávez du pouvoir n'aurait été que l'avatar manqué d'un 11 septembre bien plus sombre. Et puis... L'armée hondurienne se soulève un dimanche matin contre le président élu Manuel Zelaya, avec la bénédiction du Congrès et de la Cour suprême, et sous les applaudissements d'une partie de la presse qui attendait le moment. C'est aussi sur ce point qu'en matière d'avatar, dirait-on réussi, le coup d'État au Honduras du 28 juin 2009 ressuscite celui du 11 avril 2002 au Venezuela. A moins que le silence contraint de l'autre partie de la presse — hostile au putsch, sinon favorable à «Mel» Zelaya — n'inspire un parallèle avec l'Iran du moment.

«Il n'y a pas eu de coup d'État», ose-t-on dans les colonnes du quotidien conservateur de Tegucigalpa El Heraldo, sans craindre d'exposer l'un de ses photographes au lynchage d'une foule en colère. «L'offensive diplomatique fera reconnaître le gouvernement de Roberto Micheletti [président de facto investi à la suite du putsch - ndlr]», jure-t-on en Une de La Prensa, autre quotidien non moins conservateur de San Pedro Sula, la deuxième ville du pays. Sur les ondes des stations Radio América, HRN et Radio Cadena Voces (RCV), il va de soi que «les Honduriens se rendent normalement au travail et leurs enfants, à l'école». Fermez le ban ! Il ne s'est rien passé. «Si je m'étais appelé Hugo Chávez, j'aurais fait fermer RCV», avait déclaré Manuel Zelaya en 2007, quand son homologue vénézuélien venait de laver l'affront de 2002 en excluant la chaîne Radio Caracas Televisión (RCTV) du réseau hertzien. Manuel Zelaya doit regretter de ne pas s'être écouté, a fortiori quand le même Hugo Chávez compatit dans l'épreuve.

Les médias, instruments du putsh

En ce 28 juin hondurien, les putschistes sont allés d'emblée à l'essentiel : aux médias. Avant même l'investiture sous bonne garde de Roberto Micheletti, ordre a été donné à la Commission nationale des télécommunications (Conatel) de suspendre les voix récalcitrantes ou susceptibles de le devenir. De Tegucigalpa, Radio Globo n'émet plus que par Internet. Dans le même élan, des fréquences câblées aussi contrastées que celles de Telesur — la chaîne latino-américaine fondée par Hugo Chávez en 2005 — et de CNN en espagnol ont disparu des écrans. La chaîne publique Canal 8 n'a plus répondu pendant vingt-quatre heures. Le Canal 36, de réputation pro-Zelaya, fait toujours partie des excommuniés et son directeur, Esdras Amado López, est entré en clandestinité. Enfin, il aura fallu moins de quatre heures à la troupe après l'expulsion du pays de «Mel» Zelaya, pour envahir et réduire au silence Radio Progreso, une station éducative de province dirigée par un jésuite. Entre deux détentions d'une équipe de tournage de Telesur et de photographes d'Associated Press, les militaires honduriens auront tenté l'impossible pour empêcher de nommer, sinon dissimuler, ce qu'ils venaient de provoquer : un «golpe». Un peu comme des bassidjis iraniens, en service commandé pour le Guide suprême, chassent le journaliste ou le blogueur, local ou étranger, pour garantir que l'ordre a toujours régné à Téhéran.

Originalité hondurienne, c'est au nom de la stricte légalité constitutionnelle que l'on destitue un président élu. Constitution bafouée, vraiment ? Manuel Zelaya n'a pas même eu le temps de la faire modifier pour espérer être réélu en novembre prochain qu'on l'accusait de l'avoir déjà enfreinte! Originalité hondurienne encore, la méthode iranienne employée contre certains médias se conjugue à la guerre médiatique pratiquée par d'autres. Comme au Venezuela sept ans auparavant. Un début de crise politique, sur fond de procès d'intention, a suffi à des médias hostiles pour encourager la chute de «Mel». C'est un coup d'accélérateur de même acabit qu'a produit la presse privée vénézuélienne, lorsque Hugo Chávez a été délogé du palais de Miraflores en 2002.

A l'époque aussi, les spectres resurgissent sur les ondes et à l'écran. A commencer par celui d'un coup d'État ourdi dix ans plus tôt, le 4 février 1992. Un coup d'État emmené par un certain «lieutenant-colonel Hugo Rafael Chávez Frías», comme continue de l'appeler RCTV après son élection. Un coup d'État que décide de stopper en direct, devant une forêt de micros, le jeune officier qui gagne alors ses galons d'homme de médias. Dix ans plus tard, son passé putschiste lui est resservi lors d'un putsch. Des affrontements éclatent devant Miraflores et les quatre principales chaînes privées divisent leurs écrans en deux — d'un côté, une allocution présidentielle, de l'autre, les scènes de violences en contrebas du Palais —, accréditant l'hypothèse que le Président a, «au mieux» perdu tout contrôle de la situation, au pire ordonné d'ouvrir le feu.

De fait, le feu couve dans l'emballement médiatique qui caractérise ces coups d'État d'un genre nouveau. Cet emballement fait annoncer plus tard que Hugo Chávez a démissionné, sur la foi des déclarations d'un gradé. De la même manière, il tiendra pour acquis que Manuel Zelaya a renoncé à sa charge, à l'appui d'une fausse lettre. Quand Hugo Chávez revient au pouvoir au bout de quarante-huit heures, Globovisión, entièrement dédiée à l'information, est la seule chaîne privée à couvrir l'événement. Les autres, en pleine dénégation, lui préfèrent des telenovelas. Le retour annoncé de Manuel Zelaya au Honduras pourrait susciter à son tour ce genre de bouderie médiatique.

Ce syndrome vénézuélien augure de sérieux règlements de compte si l'après 28 juin 2009 devait ressembler à l'après 11 avril 2002. Un autre opus de la guerre médiatique est à craindre. Au Venezuela, Hugo Chávez a presque réglé ses comptes. Venevisión et Televen ont sauvé leur fréquence hertzienne en changeant de ligne éditoriale. RCTV a perdu la sienne en s'y refusant. Quant à la petite quatrième, Globovisión, elle pourrait bientôt subir le même sort mais pour un autre motif, car le temps a passé. Le goût amer des coups d'État, lui, ne se dissipe jamais vraiment sur un continent longtemps pillé et toujours instable.

Benoît Hervieu, Bureau Amériques de Reporters sans frontières

Image de une: La police charge des manifestants pro Zelaya. Edgard Garrido / Reuters

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