Économie

Baisser les dépenses publiques? Oui, mais comment ?

Le gouvernement paraît décidé à s’engager sur la voie d’une réduction significative des dépenses publiques. Quelles peuvent être ses pistes d’action? Des dirigeants socialistes peuvent-ils infléchir ainsi leur politique sans perdre leur âme?

ciseaux / <a href="http://www.flickr.com/photos/29848680@N08/3708293822">James Bowe</a> via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by.</a>
ciseaux / James Bowe via Flickr CC License by.

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Pierre Gattaz, le nouveau président du Medef, peut être satisfait. Non seulement la hausse des cotisations patronales au régime d’assurance vieillesse sera intégralement compensée par une baisse des cotisations familiales, mais le ministre de l’Economie Pierre Moscovici s’est engagé à faire baisser les dépenses publiques:

«57 % de dépenses publiques dans le PIB, ça ne va pas. Il faut réduire le poids des dépenses publiques dans le PIB, le faire résolument, le faire vite et le faire fort.»

Pierre Moscovici avait déjà fait des déclarations montrant qu’il était sensible au «ras-le-bol fiscal» et, apparemment, il n’est plus seul à vouloir en tenir compte. Impôts, taxes et cotisations sociales devraient encore augmenter l’année prochaine, mais moins que cela n’était initialement prévu. Il ne sera pas fait appel à la CSG ni pour financer les retraites ni pour prendre le relais du financement des allocations familiales. Dans ces conditions, si l’on veut continuer à réduire le déficit public, il ne reste plus qu’une solution: accélérer le rythme de la réduction des dépenses publiques.

Le gouvernement Ayrault s’engage ainsi sur une voie qui n’est pas des plus faciles. Réduire les dépenses publiques est encore plus difficile et moins populaire qu’augmenter les impôts, surtout si l’on se place dans la logique de beaucoup d’électeurs de gauche: un gouvernement socialiste doit prendre l’argent des riches et des entreprises pour le redistribuer.

Se montrer réceptif au discours des patrons et réfléchir à des coupes dans les dépenses publiques, c’est une trahison. Déjà, Jean-Luc Mélenchon accuse le «gouvernement Hollande» de «picorer avec entrain dans la main du Medef». C’était inévitable!

Et pourtant, cela fait une bonne trentaine d’années que des gens de gauche remettent en cause le dogme de l’impôt et des dépenses publiques dans un monde qui a beaucoup évolué depuis l’époque des programmes conçus par les pères fondateurs du socialisme. Déjà, dans les années 70, le soutien de l’activité par la dépense publique avait montré ses limites. La relance malheureuse de 1981 en France a définitivement montré que la dépense publique n’était pas la panacée.

Des politiques libérales avec un zeste de social

Mais que faire alors, sinon mener des politiques inspirées par les économistes libéraux avec un zeste de politique sociale en plus? En Angleterre, à force de remettre en cause les dogmes anciens et de se vouloir new, le New Labour a fini par ne plus être labour du tout. Quant aux politiques menées par le chancelier allemand Gerhard Schröder, on ne voit plus très bien ce qui pourrait leur mériter le qualificatif de sociales-démocrates. Bref, la réduction des dépenses publiques pose un vrai problème politique.

Pourtant, on ne voit pas très bien quel pourrait être l’autre terme de l’alternative, sinon des déficits insoutenables ou de nouvelles hausses des prélèvements obligatoires qui plomberaient l’économie et provoqueraient de profonds remous dans l’opinion. Il faut y aller.

Normalement, il est prévu de réduire les dépenses publiques de 14 milliards d’euros l’an prochain par rapport à ce que donnerait leur évolution naturelle. Rapporté à un total de dépenses de plus de 1.100 milliards, cela fait une coupe de l’ordre de 1,3%.

Cela paraît faisable, même si ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire: salaires des fonctionnaires, retraites, paiement des intérêts de la dette, etc., un certain nombre de dépenses s’imposent et ne peuvent être réduites instantanément. Mais à y regarder de plus près, on constate que des réductions significatives peuvent être envisagées sans que cela n’apporte de changement radical à l’organisation de la société française.

Ne pas exagérer l'exception française

D’ailleurs, il ne pas exagérer l’ampleur de l’exception française. A lire ou à entendre certains commentaires, on a l’impression que la France se distingue complètement de tout ce qui se fait ailleurs. La réalité est un peu plus nuancée.

Il est vrai que nous nous plaçons dans les premiers rangs par l’importance des dépenses publiques dans le PIB: en 2011, selon les dernières statistiques publiées par Eurostat, le total des dépenses publiques atteignait 49,1% dans l’Union européenne à 27, et quatre pays dépassaient 53% —le Danemark (57,6%), la France (56%), la Finlande (55%) et la Belgique (53,3%). Dix des douze pays entrés dans l’Union en 2004 et 2007 étaient à des niveaux inférieurs à 46%, pour une raison essentielle: le niveau de protection sociale n’y est pas au même niveau que dans les anciens pays membres de l’Union.

Si l’on regarde ce qui se passe dans d’autres grands pays hors d’Europe, on voit, toujours pour cette année 2011, selon l’OCDE, des chiffres de 42% pour le Japon, 41,9% pour le Canada, 41,6% pour les Etats-Unis et même 30,2% pour la Corée du sud (chiffre d’ailleurs si bas que les experts de l’OCDE incitent fortement les dirigeants coréens à augmenter les prestations sociales, notamment le régime de retraite de base, pour maintenir la cohésion sociale). En fait, dans ce domaine, il n’y a pas d’exception française, mais plutôt une exception européenne.

Ne rien faire serait dangereux

La crise financière de 2008 a fortement contribué à faire monter les chiffres. A la hausse des dépenses sociales entraînée par la montée du chômage (à l’exception notable de l’Allemagne, qui a réussi à garder un taux de chômage bas) s’est ajoutée une baisse du PIB. Résultat: en proportion du PIB, les dépenses publiques ont bondi de plusieurs points. En France, par exemple, elles n’atteignaient «que» 53,3% du PIB en 2008 et ont brutalement monté à 56,8 % l’année suivante.

En théorie, il suffirait d’attendre que la croissance revienne, que le PIB remonte et que le surcroît de dépenses sociales provoqué par la crise se dégonfle pour qu’on retrouve le niveau de dépenses publiques de 2008, qui était jugé élevé mais soutenable. C’est du moins la thèse que défendent certains économistes, qui estiment que couper dans les dépenses publiques va avoir un effet négatif sur l’activité et ne réglera aucun problème. Mais cette politique qui consisterait à ne rien faire serait pour le moins dangereuse et plomberait nos finances publiques pour de longues années, sans aucun bénéfice, en supposant même que nos partenaires européens tolèrent ce laxisme.

On peut en effet tolérer des déficits s’ils résultent de dépenses d’investissement destinées à relancer l’activité et à relever le niveau des capacités de production. On peut plus difficilement tolérer des politiques qui consistent à redistribuer de l’argent qu’on n’a pas.

Degré zéro de la pensée

Que faire? On va encore entendre ce discours stupide, ce degré zéro de la pensée: il faut réduire le train de vie de l’Etat! Comme si le problème venait de quelques bouteilles de champagne consommées indûment et de quelques voitures officielles de trop. Ce n’est pas le train de vie de l’Etat, d’une entité abstraite, qui est en cause, c’est le niveau de vie de la nation, c’est-à-dire de chacun de nous.

Quels sont en effet les grands postes de la dépense publique? Le premier, en France comme dans tous les pays, c’est l’ensemble protection sociale (retraites, chômage, etc.) et santé, qui représente généralement plus de la moitié du total (57,3% dans l'Hexagone). Viennent ensuite les services publics généraux (les services administratifs, le service de la dette publique, avec 11,5% du total), l’éducation (10,8%), les affaires économiques (avec toutes les aides aux entreprises, 6,2%), le logement et les équipements collectifs (3,4%), la défense (3,2 %), l’ordre et la sécurité publique (3,1%), les loisirs, la culture et les cultes (2,5%) et enfin la protection de l’environnement (1,9%). Cette nomenclature utilisée dans toute l’Europe permet les comparaisons entre pays et présente le grand mérite de montrer où se situent les grandes masses.

Dans tous les domaines, des économies sont certainement possibles. La suppression régulière, année après année, de postes au ministère des Finances, par exemple, montre que l’informatique permet des gains de productivité.

Mais, à d’autres moments, il ne s’agit plus de faire la même chose d’une façon simplement plus efficace, il faut carrément revoir ses objectifs et les moyens à déployer en conséquence: c’est le cas par exemple de la défense. La dernière réforme des retraites, pourtant considérée par beaucoup comme une réforme a minima, prévoit aussi que les retraités feront un effort (revalorisation retardée, fiscalisation de la majoration réservée aux parents de trois enfants ou plus).

Demander la réduction de la dépense publique, ce n’est pas demander des efforts aux seuls fonctionnaires, c’est s’engager à en fournir soi-même, chacun à son niveau. C’est bien pour cela qu’il est plus difficile de baisser la dépense que d’augmenter les impôts… Mais ce n’est pas forcément antisocial: tout est dans la façon de faire. Même un gouvernement de gauche peut se lancer dans cette aventure sans se renier.

Gérard Horny

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