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C'est l'un des gros succès cinéma de l'été: sorti le 3 juillet dernier, World War Z de Marc Forster a attiré près de 2,5 millions de spectateurs dans les salles françaises en deux mois et a récolté plus de 500 millions de dollars de recettes dans le monde. Cette adaptation du célèbre livre de Max* Brooks était le premier film du genre à disposer d'un tel budget et aussi le premier à situer son action à un niveau mondial, avec des scènes dans plusieurs pays (Israël, Chine, États-Unis...).
Surtout, ce film se voulait un minimum réaliste, et a en tout cas pu être présenté de cette façon. Interviewée par Première, la productrice Dede Gardner expliquait ainsi son attrait pour l’œuvre littéraire originale:
«En tant que lectrice, ce qui m'a marqué dans le livre, c'est son réalisme. Mais aussi l'effroi qu'il provoquait. Et son côté mondial, global. Réalisme, peur et enjeu mondial: voilà les trois axes du film.»
Et c'est également ainsi que l'un des acteurs, James Badge Dale, vendait le film lors d'une interview sur MSN Entertainement:
«Un tas de films d'horreur ne sont pas réalistes; il y a une suspension consentie de l'incrédulité. La chose terrifiante avec ce film, c'est ce que vous le regardez et vous pensez: "Attends, ça pourrait arriver."»
N'importe quel titre, plus «zombies»
Ils ont beau ne pas exister (du moins, on le croit), les zombies ont été fréquemment étudiés par la science: comportements de foule, physique, neurologie, épidémiologie... Beaucoup d’articles humoristiques, évidemment, mais bien souvent les scientifiques voient aussi en eux un moyen différent d’exposer et d’éprouver des théories déjà existantes.
Le zombie est notamment le moyen idéal pour captiver une audience lors de conférences ou pour présenter des théories complexes. Daniel Drezner, blogueur pour Foreign Policy, chercheur en sciences politiques et auteur de Theories of International Politics and Zombies, a parfaitement résumé l'intérêt des scientifiques pour les morts-vivants lors d'une conférence TEDx:
«N'importe quel titre, quand vous ajoutez "...et zombies", devient génial.»
Tous ces travaux scientifiques se basent sur... la description des zombies dans les films eux-mêmes. Globalement, les recherches s'appuient sur la même conception de la bête, décrite ici par les mathématiciens Robert Smith? (oui, il y a bien un point d'interrogation dans son nom), Philip Munz, Ioan Hudea et Joe Imad:
«Les zombies modernes suivent un standard édicté par La Nuit des morts-vivants. Les "goules" sont présentées comme des monstres sans âme/aveugles, qui ne ressentent pas la douleur et font preuve d'un grand appétit pour la chair humaine. Leur but est de tuer, manger ou infecter les gens. Le "mort-vivant" se déplace en petits pas irréguliers et montre des signes de décomposition physique: chair pourrissante, yeux décolorés et plaies ouvertes.»
Modélisation d'une épidémie
Ces mêmes chercheurs ont tenté de modéliser le déroulement d'une épidémie zombie à partir de plusieurs hypothèses: un déclenchement d'épidémie d'assez courte durée, un temps d'infection assez long et des zombies qui se déplacent lentement. A la fin, une seule certitude: à moins de réponses armées rapides, violentes et répétées des humains, une invasion zombie éradiquera tout ou partie de la population. Les humains peuvent tenter de mettre les zombies en quarantaine, mais ce scénario est très peu probable et implique tout de même l'éradication d'une partie de la population.
A partir des années 2000, et notamment du film 28 jours plus tard de Danny Boyle (2003), on a commencé à voir apparaître des zombies qui pouvaient courir. Hérésie, scandale pour les puristes —mais quel impact cela aurait-il? Contacté par Slate.fr, Robert Smith? explique que la propagation de l'épidémie serait paradoxalement fortement réduite:
«Nous avons d'abord envisagé des zombies rapides, mais nous voulions utiliser des zombies lents pour refléter la nature discrète des virus tels que le VIH. L'idée des zombies rapides est attirante pour un film, mais ils sont en réalité moins réalistes: avec un temps de conversion/transformation de quelques minutes, il est peu probable qu'une telle épidémie zombie réussirait à toucher le monde entier.»
En effet, le foyer d'infection serait très vite repéré. Non seulement les zombies seraient plus visibles, mais les infectés se transformeraient aussi très vite, ne leur laissant pas le temps de voyager discrètement:
«Du point de vue d'un virus, plus il se déplace de manière lente et discrète, mieux c'est. C'est pourquoi nous avons une pandémie mondiale de VIH et pas d'Ebola.»
Quand les sprinteurs se répandent
Si l'on se fie aux modèles développés par Robert Smith?, World War Z n'est donc pas réaliste. L’œuvre originale de Max Brooks met en scène des zombies lents, avec un temps d'infection lui aussi beaucoup plus lent, qui peut prendre des jours, voire des semaines. L'adaptation cinématographique, elle, en fait des machines à tuer ultrarapides qui feraient pâlir les infectés de 28 jours plus tard. Des sprinteurs qui ne devraient donc pas, selon la logique scientifique, se répandre de manière mondiale.
Un journaliste de Bloomberg a habilement relevé comment World War Z-le film faisait d'ailleurs à un moment le lien entre transformation rapide et difficultés de propagation [SPOILER]: à la moitié du film, alors que les zombies ont déjà envahi le globe, un mort-vivant parvient à entrer dans un avion et est enfermé dans les toilettes. Quand il en sort, il en résulte un véritable carnage et l'avion s'écrase, tuant zombies comme humains (sauf Brad Pitt) [/SPOILER]:
«Le virus zombie peut monter dans un avion pour l'Europe, mais à cause de sa propagation si rapide et létale, il va avoir du mal à en descendre.»
Sur ce point, Daniel Drezner souligne lui que «le film échoue à offrir une logique consistante pour expliquer comment l'infection zombie s'est répandue à ce point».
Robert Smith? partage ces critiques et déplore par ailleurs que World War Z laisse penser qu'il est possible de développer un vaccin pour chaque virus. Daniel Drezner épingle également les réactions des humains, seule une courte scène de pillage dans un magasin venant rappeler la diversité des comportements en cas d’effondrement des autorités et de panique généralisée:
«Après ça, pratiquement chaque personnage agit de manière noble, franche, et sincère. Dans World War Z, les hommes sont très peu présentés comme cupides, malveillants ou stupides, ce qui rend pourtant le genre zombie si misanthrope.»
Classiques du genre
Quand j'ai demandé à Drezner quel était le film de zombies le plus réaliste, sa réponse fut pour le moins inattendue: Contagion, un film réalisé en 2011 par Steven Soderbergh.
La plupart des chercheurs interrogés sur le film de zombie qu'ils jugeaient le plus réaliste ont eux souvent cité un classique du genre. Oubliez World War Z, il y a donc mieux pour commencer, comme les films de George Romero, La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead, 1968) et Zombie - Le Crépuscule des morts-vivants (Dawn of the Dead, 1978).
Dans le premier, les causes de l'épidémie sont globalement connues (des radiations, même si le réalisateur a par la suite nié cette cause), dans le second, c'est le flou total. Les deux films diffèrent aussi sur leur degré de réalisme scientifique.
En appliquant le modèle mathématique de Robert Smith? et de ses confrères à Zombie, l'invasion du monde entier est plausible, tant les zombies y sont lents. La propagation mondiale est suggérée au travers des journaux télévisés et la fin du film suggère une cohabitation entre les zombies et un petit nombre de survivants humains (les autorités sont débordées, comme le suggèrent les images télévisées), ce qui rend l'ensemble crédible d'un point de vue épidémiologique. Par ailleurs, le film offre un panel de comportements humains suffisamment large pour paraître réaliste.
Côté fun de L'Armée des morts
Du côté de la Nuit des morts-vivants, en revanche, c'est plus compliqué. En effet, le film est un huis clos, ce qui empêche de savoir précisément jusqu'où l'épidémie s'est propagée. [SPOILER] A la fin, l'héroïne est sauvée par les forces policières alors qu'elle se trouve en rase campagne. Comme le dit un journaliste lors de l'une des dernières scènes: «Tout semble être sous contrôle» —l'infection s'est donc probablement arrêtée à la région des États-Unis ou se déroule le film. Pourtant, à supposer que nous prenions le scénario d'attaques violentes et répétées, il semble peu probable que l'infection ne soit pas sortie des frontières du petit Etat où prend place l'action. [/SPOILER]
A noter que le remake réalisé en 1990 par Tom Savini laisse moins de place aux autorités et plus à un groupe de survivants partant chasser les zombies. Le remake de Zombie, en revanche, renommé L'Armée des morts et classique du genre, est atteint du syndrome World War Z. A savoir: prendre une œuvre originale et ajouter des zombies qui courent vite, ce qui rend le scénario très peu probable.
C'est cependant le film préféré du chercheur David Madore qui, avec son frère, a étudié le phénomène zombie. Contacté par Slate.fr, il a mis en avant son côté fun, soulignant néanmoins le réalisme des comportements humains.
28 jours plus tard, le plus réaliste
Il y a pourtant plus réaliste que la série des films de Romero et leurs remakes: 28 jours plus tard. Le film de Danny Boyle, qui plafonna à moins de 200.000 entrées en France, donne le plus d’éléments possibles de la manière la plus cohérente possible, ce qui en fait le film de zombies le plus réaliste.
[SPOILER] Jim, coursier, se réveille dans un hôpital dévasté. Un groupe militant pour la cause animale a infiltré un labo 28 jours plus tôt et se retrouve infecté par une sorte de virus proche de la rage. Quatre semaines plus tard, Londres est une ville morte, et tout le pays avec. Jim rencontre d'autres survivants. A la fin, on comprend que le virus a très vite été mis en quarantaine, et l'île britannique avec. [/SPOILER]
Tout est plausible. Il y a une origine au virus et celle-ci est connue du spectateur. Les zombies et le virus sont de type rapide: la transformation ne tarde jamais et les infectés sont extrêmement dangereux. Le virus est donc immédiatement repérable... et repéré. Quand bien même quelques infectés traversent la Manche ou l'Atlantique, ils sont repérés suffisamment vite pour que l'avion ou le bateau n'arrive jamais à bon port ou soit rudement accueilli.
Pour ne rien gâcher, le film arrive à «montrer le spectre complet des comportements humains», pour reprendre les mots de Daniel Drezner sur Contagion. Contrairement à World War Z, pas de syndrome tout-le-monde-il-est-gentil-aucun-chaton-n'est-mort-pendant-le-tournage: de nombreux protagonistes s'en prennent sans aucune hésitation aux autres survivants.
«Zombie Academy»
Ce qui est frappe ces dernières années, c'est donc une tendance du film de zombies à viser une forme de réalisme. C'est le cas de World War Z, même si cet aspect est un échec, mais également du comic puis de la série The Walking Dead.
Il arrive même que certains scientifiques soient sollicités par les producteurs. David Madore et son frère ont ainsi été contactés comme consultants pour Heart Land, un film de zombie en tournage dans lequel les enfants sont les seuls survivants d'un virus ayant transformé tous les adultes en zombies:
«Nous avons travaillé sur le script, nous allons faire une "Zombie Academy" intensive pour entraîner les acteurs et nous avons des zombies très, très talentueux au casting qui ont été dans des dizaines de films et séries zombies […] Nous avons travaillé sur une épidémie complètement réaliste et les zombies seront, à nos yeux, impeccables ET rationnels scientifiquement.»
De même, Daniel Drezner a expliqué dans le passé qu'il avait été contacté par plusieurs producteurs et réalisateurs qui souhaitaient faire des films de zombies plus plausibles.
Et si vraiment ces histoires d'épidémiologie et de réalisme vous fatiguent, je vous conseille Dead Snow. Des zombies et des nazis: ne cherchez pas plus loin.
Florian Reynaud
* Il s'agit bien de Max Brooks et non Mark, comme indiqué par erreur dans un premier temps. Retourner à l'article