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Syrie: quels sont les vrais motifs du revirement américain?

La montée de l’influence de Téhéran et des djihadistes dans un pays qui occupe une position stratégique au Moyen-Orient et la perte de crédibilité des Etats-Unis dans la région ont changé la donne.

Une photo d'archives de 2006 de l'USS Ramage, un des destroyers américains déployés en Méditerranée. REUTERS/Specialist 2nd Class Miguel Angel Contreras/U.S. Navy/Handout.
Une photo d'archives de 2006 de l'USS Ramage, un des destroyers américains déployés en Méditerranée. REUTERS/Specialist 2nd Class Miguel Angel Contreras/U.S. Navy/Handout.

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Alors qu’une intervention militaire en Syrie semble être imminente, le revirement brusque observé au cours des derniers jours dans le dossier, en particulier de la part de Washington, laisse de nombreux observateurs songeurs. Même si ce changement de position intervient au lendemain de l’usage présumé d’armes neurotoxiques qui auraient décimé plusieurs centaines de victimes il y a une semaine —un an jour pour jour après une mise en garde lancée par Barack Obama contre un éventuel recours par le régime syrien aux armes chimiques—, il contraste avec une longue période de silence et de désengagement américains.

Les motifs sont-ils réellement liés aux massacres d’innocents et à une volonté de «punir ceux qui ont gazé», comme l’a souligné hier François Hollande, ou relèvent-ils plutôt d’enjeux stratégiques? Cette question semble d’autant plus légitime que la tergiversation dans le camp occidental, notamment outre-Atlantique, se conjuguait à une volonté claire de la part de Barack Obama de sortir les Etats-Unis des guerres au Moyen-Orient —une promesse de campagne qu’il avait déjà partiellement honorée à travers un retrait progressif des troupes déployées il y a une dizaine d’années par son prédécesseur en Afghanistan et en Irak.

Mais dans le cas syrien, cette politique volontaire de distanciation s’est vraisemblablement heurtée à des considérations d’intérêt national. Pour le politologue libanais Ziad Majed, basé à Paris, si «l’usage d’armes chimiques n’est pas un prétexte», il n’est pas pour autant le seul motif de ce revirement, d’autant que le régime de Bachar el-assad aurait déjà eu recours à l’usage d’armes chimiques par le passé au moins à trois reprises, à Homs, à Khan el-Assal et près de Ghouta, même si ces attaques étaient d’ampleur moindre et ciblaient essentiellement des combattants.

«Les attaques perpétrées dans la nuit du 20 au 21 août ne pouvaient pas laisser les capitales occidentales silencieuses. Il s’agissait d’un crime devant lequel on ne peut rester les bras croisés», ajoute le chercheur. Mais cette cause directe du virage opéré cache d’autres considérations au moins aussi importantes.

Terrain libre pour les adversaires

Selon le politologue, les Etats-Unis et leurs pairs occidentaux espéraient au début du conflit que la Syrie «constitue un piège pour l’Iran et le Hezbollah. […]. Or, cette hypothèse ne tient plus […]. Aujourd’hui, Téhéran contrôle une partie du pays, tandis que les zones libérées risquent de basculer dans le chaos, avec une présence accrue des djihadistes. […] Cela commence à inquiéter de plus en plus les américains».

En effet, au côté de l’armée régulière de Bachar el-Assad, des «brigades internationales» formées de pasdarans, de combattants du Hezbollah et de chiites irakiens sont présentes aujourd’hui sur le sol syrien. En face, les rebelles syriens, soutenus par certains pays étrangers, tentent de se battre sur deux fronts, dont celui interne des groupes jihadistes comme «l’Etat islamique d’Irak et de grande Syrie» (Al-Dawla al-islamiyya fi al-irak wal-sham) ou encore le front al-Nosra.

Pour le politologue, les Etats-Unis auraient ainsi réalisé que leur politique de neutralité et de passivité en Syrie «a laissé le terrain libre à des adversaires de longue date qui pourraient mettre à profit leur avancée en Syrie dans les négociations sur d’autres dossiers cruciaux, tandis que l’influence de Washington sur ses alliés stratégiques dans la région avait commencé à reculer», face à une Russie jusqu’au-boutiste dans la protection de ses vieux amis. «C’est le cas notamment de l’Arabie Saoudite, qui a adopté une position contraire à celle de Washington dans le cas égyptien suite à la prise du pouvoir par l’armée.»

Si les motifs du revirement politique américain vont au-delà de la «ligne rouge» liée à l’usage d’armes chimiques, les considérations propres à la nature ainsi qu’à la durée d’une intervention militaire sont également stratégiques et dépassent la dimension humanitaire de protection des populations civiles. Les Etats-Unis seraient toujours en train d’examiner les différentes options et leur implication sur la sécurité dans la région, le dossier nucléaire iranien ainsi que le processus de paix israélo-palestinien, relancé récemment par l’administration Obama. 

Opération ciblée ou offensive d'envergure?

Washington pourrait ainsi se contenter d’une opération ciblée de quelques jours visant à limiter les dégâts d’une absence devenue de plus en plus coûteuse et à envoyer un message clair au régime syrien comme à ses alliés concernant les limites du jeu militaire et l’avenir d’éventuelles négociations Genève 2 si celles-ci étaient entravées. Cela se traduirait concrètement par des raids ponctuels contre des dépôts de munitions et de produits chimiques —objet du délit pour lequel l’option coercitive aurait été adoptée— sans affaiblir réellement l’armée syrienne ou renverser le régime.  

Dans le cas d’une offensive de plus grande envergure et de plus longue durée, par voie aérienne ou terrestre, l’objectif serait d’inverser le cours du conflit et de mettre fin au pouvoir du parti baas en Syrie. Les risques d'embrasement régional liés à cette option sont toutefois nombreux.

L'hypothèse est néanmoins tempérée par Ziad Majed, selon qui «les Iraniens seraient prêts à sacrifier Assad si l’intervention en Syrie n’est pas un prélude à une attaque contre eux. [...] Le but ultime de Téhéran est de pouvoir continuer à développer son projet nucléaire. Se lancer dans une aventure militaire dans le contexte actuel les éloignerait de cet objectif et constituerait ainsi un grand risque à prendre». Quant à la Russie qui s’est contentée de qualifier toute éventuelle offensive d’«agression grossière contre le droit» international, son opposition ne devrait pas dépasser le cadre du discours et du chantage politique.

Cela ne signifie pas pour autant que les Etats-Unis n’encourent aucun danger dans le cas d’une offensive de plusieurs mois; outre la capacité de feu non négligeable de l’armée syrienne, avec des forces d’élite d’environ 50.000 hommes et plus de 350 avions de combats, en sus d’un arsenal chimique des plus importants au Moyen-Orient, les Américains et leurs alliés devront faire face, en cas d’engagement de longue durée, à la présence de mercenaires sur le terrain et d’un appui militaire de la part du Hezbollah et de l’Iran, comme de la Russie et de la Chine. Certains agitent déjà le spectre d’un enlisement dans un conflit aussi complexe et mouvant que celui du Liban à partir de 1975.

Bachir El Khoury

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