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Il n’y a qu’un homme au monde qui devrait diriger Microsoft à l’heure actuelle. Son nom est connu de tous (ça rime avec Gill Bates) et tout le monde sait pourquoi il serait parfait.
Le problème de Microsoft, ce n’est pas l’absence de profits —l’entreprise en fait, et beaucoup, à chaque trimestre: une mécanique bien rôdée. (Le dernier rapport trimestriel de Microsoft, dévoilé en juillet, a été qualifié partout de «désastreux» parce que les bénéfices de la compagnie ne s’élevaient qu’à 5 milliards de dollars.)
Le problème de Microsoft ne vient pas non plus d’un manque de produits largement utilisés par le monde entier. Windows 8, son dernier système d’exploitation, s’est vendu à un rythme de 10 millions de licences par mois. C’est moins bien que certaines des précédentes versions de Windows, mais c’est mieux que quasiment n’importe quel autre produit technologique dans le monde.
En d’autres termes, le problème de Microsoft ne réside pas dans le présent. C’est dans l’avenir, et dans la direction à prendre pour y arriver. Et personne n’est plus désigné que Bill Gates pour diriger le navire dans cette direction.
Manque de vision
Il y a trente ans, Gates avait un objectif extrêmement audacieux pour sa petite entreprise de logiciels:
«Un ordinateur sur chaque bureau et dans chaque foyer.»
On peut pester sur la façon dont cet objectif a été atteint —par le monopole, et sans créativité— mais les résultats sont là. Il y a quelques années, Windows passait la barre du milliard d’utilisateurs et compte à ce jour près de 1,25 milliards d’usagers actifs, plus que n’importe quelle autre plate-forme informatique dans le monde.
Gates a accompli cette prouesse grâce à sa force de volonté. Parce qu’il était le fondateur de l’entreprise et —de toute évidence— un dur à cuire attentif au moindre détail, il est parvenu à étouffer les querelles internes et la bureaucratie qui rongent souvent les grandes entreprises (des problèmes qui ont fini par s’introduire chez Microsoft au cours des dix dernières années). Sous Gates, tout le monde savait quel était son rôle en allant travailler le matin —et, miraculeusement, la mission était accomplie.
Et maintenant? Microsoft a tout raflé et puis, comme souvent dans ce domaine, la donne a changé. Au cours de la dernière décennie sous Steve Ballmer, le groupe est allé d’un projet à un autre —de la création de baladeurs aux tablettes, en passant par les systèmes d’exploitation pour smartphones et les moteurs de recherche jusqu’aux jeux vidéo. Quelques-unes de ces initiatives ont eu du succès et d’autres ont été des échecs cuisants (je suis un grand fan du Windows Phone, mais sa part de marché est loin derrière celle de l’iOS d’Apple et l’Android de Google).
À tous les niveaux, l’entreprise est partie dans tous les sens. Microsoft n’a pas envisagé de vision globale pour l’avenir, ou d’objectif semblable au projet «un-PC-pour-tous» de Bill Gates. C’est un manque que ressentent les employés, mais aussi les clients potentiels que la firme veut séduire, ce qui est plus problématique. Aux yeux du monde, Microsoft est devenue une entreprise quelconque de technologies —une enseigne froide et banale qui vend des widgets peu intéressants basés sur des innovations développées par d’autres des années plus tôt.
Pas touche à Windows
Bill Gates ne reviendra pas chez Microsoft. Il l’a affirmé un million de fois et, étant donné qu’il s’occupe à présent de choses plus bénéfiques pour le monde, un retour ne rendrait pas grand service à l’humanité. Alors, je ne gâcherai qu’un seul paragraphe pour expliquer à quel point il serait parfait.
Il y a beaucoup d’intellectuels ambitieux dans le monde des technologies qui pourraient désigner une nouvelle direction audacieuse pour Microsoft —par exemple, abandonner Windows au profit d’un nouveau système d’exploitation basé sur le clouding, qui stockerait vos données en ligne. Mais l’immobilisme légendaire de l’entreprise en découragera plus d’un.
Chez Microsoft, pas question de toucher à Windows. Voilà une firme qui appose les marques Office et Windows sur tout ce qu’elle crée (même les interfaces utilisateurs dépourvues de fenêtres, comme celle pour smartphones, s’appellent quand même Windows) et où tout ce qui pourrait aller dans une direction autre que celle de ces poules aux œufs d’or est tué dans l’œuf.
Au vu de tout l’argent engrangé, s’accrocher à Windows et Office a longtemps semblé être une stratégie valable, prônée par Gates lui-même tout au long de l’histoire de l’entreprise. (Un professeur de marketing pourrait dire que Microsoft est pris au piège classique du dilemme de l’innovateur.) Mais cette tension illustre bien pourquoi Gates serait tellement efficace. Il est le seul à posséder l’autorité incontestable pour libérer Microsoft du piège doré que sont Windows et Office. Lui seul pourrait poser les bases d’un renouveau pour l’entreprise et remettre de l’ordre dans ses rangs.
Si Gates n’a pas l’intention de le faire, c’est à lui que revient la tâche —puisqu’il est le membre plus influent du conseil d’administration de Microsoft— de trouver la deuxième meilleure personne capable de diriger la firme après l’annonce du départ de Steve Ballmer. Il pourrait choisir quelqu’un de la maison, comme Terry Myerson, à la tête de la division système d’exploitation, ou Julie Larson-Green, en charge des branches jeux vidéo et hardware. Du côté des outsiders, il y a les choix inspirés mais peu probables —Sheryl Sandberg, de Facebook— et les choix dingues: Scott Forstall, évincé de la direction du département logiciels mobiles d’Apple.
Se concentrer sur le long terme
Ma propre idée, celle que je préfère —déjà évoquée par Jonathan Glick, PDG de Sulia—, c’est Jeff Weiner, PDG de LinkedIn. Weiner est un dirigeant remarquable, qui a poussé le réseau social professionnel au point de régulièrement dépasser les attentes des analystes financiers et, par conséquent, a contribué à faire grimper l’action LinkedIn. Mais surtout, il a habilement permis à LinkedIn de se défaire de plusieurs freins stratégiques évidents —pourquoi utiliser ce réseau social alors qu’il y a Facebook et Twitter?
Il a réussi en se concentrant sur le long terme, au point d’aller jusqu’à programmer 90 minutes par jour «à ne rien faire» dans son agenda, afin de s’obliger à réfléchir. C’est exactement le genre de vision dont Microsoft a besoin —et, si Gates décide d’appuyer le choix d’un PDG de cette trempe, il pourrait même mener un grand projet à bien.
Il existe des tas de problèmes dans le monde des technologies que personne ne résout. On nous colle des dizaines de nouveaux appareils bardés de capteurs —des coachs électroniques, des pèse-personnes numériques, des thermostats domestiques, des lunettes intelligentes— et il n’y a aucune bonne plateforme informatique pour les connecter tous en un service unique. Les données personnelles de chacun (photos, vidéos, musique) sont disséminées dans des tas d’appareils et de services, et il est encore trop difficile de tout avoir à un seul endroit.
Que ce soit à la maison ou au travail, protéger ses données contre les voleurs ou d’autres calamités reste un gigantesque bazar —et le monde attend l’entreprise qui rendra la sécurité simple et sans douleur. C’est également vrai pour la vie privée.
Le prochain dirigeant de Microsoft pourrait choisir de faire travailler toute l’entreprise sur une solution à l’un de ces problèmes, ou il ou elle pourrait décider de faire quelque chose de totalement différent. Mais par pitié, voyez grand. Microsoft est un immense réservoir d’argent et de potentiel inexploité. La firme pourrait accomplir de grandes choses, à condition d’avoir un leader qui lui laisse sa chance.
Farhad Manjoo
Traduit par Anthyme Brancquart