Politique / France

Universités d'été: et si on séchait?

Ces rassemblements qui marquent la rentrée politique offrent des espaces de réflexion, mais servent aussi d'exutoire médiatiquement très calibré aux rivalités internes et peinent à intéresser le grand public.

Un stand de cartes postales à l'université d'été du PS à la Rochelle, en 2012. REUTERS/Stéphane Mahé.
Un stand de cartes postales à l'université d'été du PS à la Rochelle, en 2012. REUTERS/Stéphane Mahé.

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A l’image de ses finances, la rentrée politique de l’UMP est à la diète. Alors que le PS se retrouve ce week-end, comme chaque année, à La Rochelle, les Verts à Marseille ou le Front de gauche à Grenoble, le parti a lui renoncé à organiser son traditionnel Campus. Quant à ses journées parlementaires, prévues pendant deux jours à Saint-Raphaël fin septembre, elles vont se transformer en une unique —et austère— journée de travail à Paris. Et ce, alors que même le tout petit parti de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la République, avait tenu une université d’été en 2012 à Dourdan ou que le convalescent MoDem de François Bayrou vous convie comme l’an dernier dans le village de vacances Belambra de Guidel, dans le Morbihan.

En remplacement, la fédération UMP des Hauts-de-Seine, dirigée par Roger Karoutchi, a choisi d'organiser le dernier week-end d'août Seine & Sun, une mini-université d'été pour l'ensemble des Jeunes UMP de France, financée par ses participants et qui ne coûtera «que» 10.000 euros, contre 3 à 4 millions d’euros dépensés pour le Campus de Marseille en 2011. L’opération vise en priorité à former les jeunes têtes de listes aux prochaines élections municipales, via, explique le responsable des Jeunes Pop du 92 Clément Forestier, «des exercices de prise de parole, de rédaction d’argumentaires et d’analyses de territoire» proposés par des professionnels, et non des élus.

«C’est revenir à l’essence des universités d’été», se réjouit Roger Karoutchi. L'opération permettra aussi à Jean-François Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire, qui seront présents, de bénéficier d'une rampe de lancement médiatique pour leur rentrée politique, sans laisser d'espace pour un débat sur la stratégie de l’UMP. Ou comment avoir les avantages de l’université d’été sans les inconvénients.

Moins de quarante ans d'existence

En délaissant pour des raisons financières cet incontournable de la rentrée politique, l’UMP nous avouerait-elle que ce rituel est inutile?

La vie politique française s’est longtemps passée d’universités d’été. Il faut remonter à 1976 pour retrouver le premier exemple du genre au Centre des démocrates sociaux (CDS) de Jean Lecanuet. Les jeunes du RPR ont suivi le mouvement à partir de 1983, imités par les socialistes en 1989.

Mais les universités d’été d’alors n’avaient rien à voir avec les grands cirques médiatiques auxquels les partis nous ont habitués depuis, au contraire. Roger Karoutchi aime à rappeler que les 200 jeunes participants à la première université d’été du RPR étaient logés dans un couvent d’Avignon. L’ancien député et numéro 2 du PS, Gérard Lindeperg, très longtemps chargé des questions de formation dans son parti, se souvient lui aussi de premières éditions studieuses et rustiques dans des centres de vacances de l’association Léo-Lagrange à Risoul et Ramatuelle:

«J’ai démarré à Risoul avec une centaine de participants, puis 200 à Ramatuelle, jusqu’à ce que l’on atteigne les 350 personnes. Le village était plein. Il a fallu trouver une solution pour continuer à loger tout le monde au même endroit. On a eu une transition en Avignon en 1992, avant La Rochelle en 1993.»

Face au succès médiatique de La Rochelle, tous les partis, jusqu’aux plus petits, s’y sont mis. «Il y a un effet de rituel et d’imitation», analyse Bruno Cautrès, politologue au Cevipof. «Les hommes politiques aiment bien montrer qu’ils font quelque chose de cérébral pendant leurs vacances d’été.»

Intello, mais pas trop

Comme leur nom l’indique, ces universités d’été avaient auparavant surtout un enjeu de formation, allant de travaux théoriques à des exercices pratiques (prise de parole en public, management d’une équipe) destinés à aguerrir les militants. Pas de quoi intéresser la presse.

«Le journaliste du Monde m’avait dit: “J’ai assisté à des débats, c’est absolument passionnant, mais là dessus je ne peux pas écrire une ligne!», se souvient Gérard Lindeperg. «Il y a eu une pression des journalistes pour que l’on y mette autre chose que de la formation. On est insensiblement passés à autre chose, pour tenir compte du fait que c’était également la rentrée politique.» Et c’est ainsi que naquirent les universités d’été telles qu’on les connaît aujourd’hui, avec les courants qui se regardent en chiens de faïence, les leaders concurrents qui s’évitent pour mieux se saluer quelques instants plus tard devant les caméras… et les phrases «off» distillées à la presse pour donner le ton des débats.

Mais désormais façonnées pour attirer les médias et lancer en grande pompe la rentrée des leaders politiques, les universités d’été méritent-elles vraiment leur nom d’«université»? Elles ont indubitablement gardé leur dimension intellectuelle... à condition toutefois que l’on prenne la peine de s’y intéresser.

Le programme de la dernière université d’été de l’UMP, organisée à Marseille en 2011, proposait des débats sur les valeurs du parti ou les révolutions arabes. Cette année, le PS offre une soixantaine de tables rondes thématiques, dont six en plénière, auxquels participent des experts indépendants du parti. «Je ne connais pas de forum politique identique: un endroit où autant de gens et d’intellectuels parlent avec autant d’hommes politiques de sujets différents», s’enthousiasme Laurence Rossignol.

«Le off a pris le pas sur le in»

D’où un sentiment d’injustice ressenti par les organisateurs lorsque leurs efforts pour monter des débats de qualité passent complètement inaperçus à l’extérieur. «Le off a pris le pas sur le in, si l’on peut parler de festival», résume le député rochelais Olivier Falorni, qui a organisé pendant plusieurs années l’université de La Rochelle avant d’être exclu du PS pour être parti en dissidence contre Ségolène Royal en 2012. «Je me souviens avoir vu à travers les médias des universités d’été que je ne vivais pas en tant que responsable: on ne voit que les déclarations des grands leaders sur le parvis et des sujets tournés dans les bars et les restaurants attenants, et très peu de ce qui se passe à l’intérieur.»

Grand pourfendeur de ces rassemblements —il s’est distingué en 2007 avec un billet au vitriol sur le «carnaval» de La Rochelle—, le sénateur socialiste Gaëtan Gorce est beaucoup moins laudateur:

«On ne peut parler d’université qu’à condition d’avoir une vision assez pauvre de ce qu’est l’université. Il s’agit uniquement de mises en scène destinées à mettre en valeur les chefs de clans et de partis.»

Gaëtan Gorce en veut pour preuve que les dizaines de tables rondes ne débouchent jamais sur des textes ou des conclusions tangibles qui pourraient faire évoluer le programme du parti.

Selon le politologue Stéphane Rozès, de CAP Conseil, les partis sont responsables de leur incapacité à intéresser les Français au programme de leurs universités d’été:

«Il y a une sorte de routinisation, à la fois dans l’organisation et la mise en scène. Il n’y a rien qui ne ressemble plus à une université d’été qu’une autre université d’été.»

Un rituel excluant

A l’image du festival de Cannes au mois de mai, l’emballement médiatique autour des universités d’été trouve peu d’écho dans l’opinion publique. «Il est intéressant pour les analystes d’aller y faire un tour pour prendre la température du climat interne, mais ce qu’en voit le téléspectateur lambda n’est qu’un exercice de communication», explique Bruno Cautrès. De là à se sentir exclu de ce rassemblement décontracté de politiques et journalistes au teint hâlé, il n’y a qu’un pas. «Quand ils ne regardent pas ailleurs, les Français sont horripilés. 60% d’entre eux ne sont pas partis en vacances pendant l’été», rappelle Stéphane Rozès.

Du haut de sa modeste mini-université, Roger Karoutchi sermonne déjà les socialistes:

«Les dirigeants qui viennent, qui se marrent, qui font leur discours, qui s’en vont, c’est non! Il faut montrer une formation politique qui travaille.»

Gaëtan Gorce évoque lui-même une «erreur de communication»:

«Dans la période que nous traversons, on ne peut pas dire aux gens qu’ils faudra prendre des décisions lourdes sur l’emploi ou les retraites et en même temps donner l’impression que la rentrée politique est une fête.»

«Tous les citoyens engagés sont les bienvenus», rétorque la porte-parole du PS Laurence Rossignol.

«Fermée pour inventaire»

L’image de ces rassemblements politiques conviviaux est d’autant plus brouillée que les risques de bad buzz y sont aussi plus importants. Les danses annuelles de Nadine Morano (version 2008 ou 2011), la blague raciste de Brice Hortefeux ou encore l’inoubliable lipdub «Tous ceux qui veulent changer le monde» n’auraient jamais existé sans université d’été.

Celles-ci servent aussi parfois d'exutoire aux rivalités internes: la séance de jogging torse nu de Dominique de Villepin devant un Nicolas Sarkozy affaibli par un mauvais rhume résume à elle seule le Campus de La Baule en 2005. Et que dire du cru 2011 de La Rochelle, à quelques semaines des primaires, durant lequel Martine Aubry et François Hollande en ont été réduits à se faire la bise plusieurs fois par jour pour ne pas être accusés de refuser de se saluer?

De ce point de vue, ne pas organiser d’université d’été est donc encore le meilleur moyen d’éviter les ennuis. C'est d'ailleurs, selon Stéphane Rozès, ce qui explique la discrétion de l'UMP cette année, bien davantage que ses ennuis financiers:

«Le fait que l’UMP n’organise pas son université d’été n’est pas la marque d’un ressaisissement nécessaire, mais d’une esquive. On peut très bien organiser de manière très simple une université absolument pas coûteuse. Il y a une crise profonde, stratégique et politique de l’UMP, autour de la question du droit d’inventaire du quinquennat de Nicolas Sarkozy.»

«Rassembler ses militants et ses dirigeants, c’est prendre le risque que des choses se disent», conclut ironiquement Laurence Rossignol. «L’université de l’UMP est fermée pour inventaire!»

Jean-Baptiste Daoulas

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