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L'avant-dernier acte de la chute du prince rouge Bo Xilai

L’agence officielle chinoise Xinhua vient d’annoncer que l’acte d’accusation contre l'ancien maire tout-puissant de la grande métropole de Chongqing était prêt: il sera jugé pour corruption et d’abus de pouvoir.

Bo Xilai, en 2009. Ancien gouverneur de la province de Liaoning, ministre du commerce, et maire de la ville de Chongqing, il risque entre 15 ans et la prison à vie.  REUTERS/Stringer
Bo Xilai, en 2009. Ancien gouverneur de la province de Liaoning, ministre du commerce, et maire de la ville de Chongqing, il risque entre 15 ans et la prison à vie. REUTERS/Stringer

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C’était un «prince», un «prince rouge», comme on appelle en Chine les descendants des «huit immortels», les plus proches compagnons de Mao. Fils de Bo Xibo, Bo Xilai, 64 ans, était de ceux-là. Xi Jinping, le nouveau chef du Parti communiste et président chinois, aussi, est un «prince». Comme lui, Bo Xilai pouvait aspirer aux plus hautes destinées. Une de ses erreurs, parmi d’autres, aura sans doute été de ne jamais s’en être caché.

Exclu du PC, à l’automne dernier, il n’a plus été vu en public depuis lors. Sa chute aura été plus rapide que son ascension vers les sommets du pouvoir. L’agence officielle chinoise Xinhua vient d’annoncer que l’acte d’accusation contre lui était prêt. Il est accusé de corruption et d’abus de pouvoir.

Ancien maire tout puissant de la grande métropole de Chongqing, 35 millions d'habitants, il aurait détourné 30 millions de yuans (3,7 millions d’euros). Il risque de 15 ans de prison à la perpétuité. Tout dépend du danger qu’il représente encore aux yeux de ses anciens camarades et de l’exemple qu’ils veulent faire. Sa femme, Gu Kailai, a elle été déjà condamnée à mort, il y a un an, pour le meurtre d’un homme d’affaires britannique de leur entourage. Sa peine a été commuée en prison à vie.

Bo Xilai n’était pas loin d’arriver à ses fins en ce début d’année 2012 où son sort a basculé. C’était l’année du renouvellement de la direction du Parti et de l’Etat. La vieille garde incarnée par Hu Jintao et Wen Jiabao allait passer la main après dix ans de pouvoir. Tel le veut désormais la règle dans la Chine communiste. Son nom était souvent cité parmi les sept futurs membres du comité permanent du bureau politique, la plus haute instance du PCC.

Dallas à la sauce chinoise

Tout s’est effondré le 6 février 2012. Wang Lijun, un de ses proches et chef de la police de la ville Chonqing, se réfugie ce jour-là au consulat américain d’une ville voisine. Il a avec lui quelques dossiers compromettants pour son patron. Notamment des révélations sur la mort de Neil Heywood, cet homme d’affaires britannique qui fréquente la famille Bo depuis des années.

Le corps d’Heywood avait été retrouvé, au mois de novembre précédent, dans la chambre d’un hôtel de luxe près de Chongqing.

Cause officielle du décès à l’époque: abus d’alcool. Il avait été rapidement incinéré sans que sa famille ait pu le revoir. Spécialiste de médecine légale, Wang avait toutefois subrepticement prélevé quelques tissus sur le cadavre et plus tard, enregistré les aveux de Gu Kailai.

Bo Xilai, Neil Heywood et Gu Kailai, la femme de Bo. REUTERS

Wang Lijun a donc une autre histoire à raconter à ses hôtes américains que la version officielle: Neil Heywood a été empoisonné par la femme même de Bo Xilai, aidée d’un de ses hommes de main. Le sexe, l’argent, la famille, auraient joué un rôle dans de ce feuilleton digne d’une série télévisée. Lors de son procès, Gu Kailai a déclaré «avoir voulu protéger» son fils Bo Guagua, genre de playboy que le Britannique aurait aidé à poursuivre des études en Angleterre puis à Harvard.

La légende veut que Bo Guagua se soit rendu un jour à une réception de l’ambassade américaine au volant d’une Ferrari. Neil Heywood, qui était en affaires avec la famille Bo depuis les années 1990 quand Bo Xilai était maire de la ville côtière de Dalian puis gouverneur de la province de Liaoning, voulait-il profiter de la fortune amassée par le hiérarque communiste, en le faisant chanter? Le mobile du meurtre reste obscur.

Lutter contre la mafia pour éliminer des rivaux

Les diplomates américains ne tiennent pas à s’embarrasser de Wang Lijun dans leur consulat. Après l’avoir sans doute sérieusement «débriefé», ils trouvent une solution avec les autorités chinoises. Wang sort du consulat encadré par des agents de la sécurité chinoise qui le conduisent à Pékin. En septembre 2012, il sera condamné à 15 ans de réclusion pour «défection, corruption et abus de pouvoir».

A Chongqing, il avait fait le sale boulot pour son patron. Il en savait long sur ses méthodes, la lutte officielle contre la corruption servant à l’élimination de chefs mafieux mais aussi de prétexte à la mise à l’écart de concurrents dangereux. Il en savait trop et se sentait lui-même menacé, ce qui expliquerait son escapade chez les Américains.

Commencée comme un vulgaire fait divers, l’affaire Bo Xilai est devenue une question politique, à laquelle les dirigeants chinois espèrent mettre un point final avec le procès qui s’annonce.

Car le maire de Chongqing jouissait d’une grande popularité, y compris dans les rangs du Parti. En poste depuis 2007, après avoir été pendant trois ans ministre du commerce extérieur, il avait modernisé la ville, lancé de gigantesques investissements, et surtout mené une politique sociale qui le classait «à gauche» dans le PCC.

Il avait réhabilité les chants révolutionnaires maoïstes que devaient résonner dans écoles, les usines, les parcs, et jusque dans les hôpitaux psychiatriques. Ce qui ne l’empêchait pas d’ouvrir sa ville aux investisseurs étrangers et de faire, de toute évidence, des affaires personnelles juteuses. Reste qu’il passait pour un modèle que Xi Jinping, alors vice-président, et le Quotidien du Peuple donnaient en exemple aux autres régions.

Bo, homme d'affaires et représentant de la gauche du parti

Jusqu’à ce que la direction du PCC s’aperçoive que Bo Xilai avait développé un vaste système d’écoutes qui concernait jusqu’au président de la République Hu Jintao!

Bo Xilai misait sur sa popularité pour poursuivre une brillante carrière. Il comptait aussi sur ses liens avec des milieux de l’armée, notamment avec un commissaire politique de l’Armée populaire de libération, Liu Yuan, un autre «prince», fils de l’ancien président Lui Shaoqi, un partisan du retour aux racines du maoïsme et au «nouveau démocratisme» de 1949, l’année de la prise du pouvoir par les communistes.

Ce n’est pas un hasard si après la destitution de Bo Xilai des rumeurs de putsch militaire ont couru sur la blogosphère chinoise. Même si ces bruits étaient infondés, il n’est pas exclu que les dirigeants du Parti aient craint une alliance entre une fraction de l’armée et une «nouvelle gauche» représentée par Bo Xilai.

L’affaire n’a sans doute pas été montée de toutes pièces pour éliminer tomber un rival dangereux dont les ambitions risquaient de faire dérailler une passation des pouvoirs entre deux générations préparée de longue date. Mais Bo Xilai et ses proches ont fourni, à leur insu, les arguments qui ont entraîné leur perte.

Daniel Vernet

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