Économie

Faut-il supprimer des vacances pour relancer l'économie française?

L'idée a été avancée dans plusieurs pays européens pour faire face à la crise. Mais son efficacité est loin d'être prouvée sur le long terme.

Sur la plage de la Promenade des Anglais à Nice le 5 août 2012, REUTERS/Eric Gaillard
Sur la plage de la Promenade des Anglais à Nice le 5 août 2012, REUTERS/Eric Gaillard

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En plein été, le gouvernement français décide de supprimer les vacances du mois d’août et d’avancer la rentrée d’un mois pour remplir les caisses de l’Etat. Rassurez-vous, aoûtiens de France, il s’agit d’un scénario de fiction, celui du récent film d’Antonin Peretjatko, La Fille du 14 juillet.

Il y a peu de chances pour que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ou n’importe quel autre gouvernement, prenne une décision aussi soudaine et drastique. Mais l’idée de réduire les vacances pour favoriser l’économie n’est pas l’apanage des scénaristes de cinéma.

En 2010, deux fédérations représentant les PME allemandes ont proposé de réduire d’une voire deux semaines le nombre légal de congés payés «pour préserver la reprise» économique. Plus récemment, le secrétaire d’Etat italien à l’Economie a proposé de réduire les congés d’une semaine pour sortir son pays de la récession, affirmant qu’une telle mesure entraînerait «un impact immédiat d’environ un point sur le PIB».

En France, sans aller jusqu’à proposer de supprimer une semaine de vacances, Luc Chatel avait reproché aux socialistes lors de la dernière campagne présidentielle d’avoir participé à la «fuite en avant budgétaire» de la France en ayant fait «payer à crédit les 5e semaines de congés payés». Et l’idée ne vient pas toujours d’en haut: en mars 2012, les électeurs suisses ont rejeté à 66,5% un référendum fédéral issu d’une initiative populaire qui proposait d’instaurer deux semaines de congés payés supplémentaires, craignant les conséquences néfastes sur l’économie.

Baisse du coût du travail

Avec la crise économique que connaît l’Europe, les pays européens cherchent à gagner en compétitivité en réduisant leurs coûts de production, et notamment le coût du travail. Pour atteindre cet objectif, ils peuvent par exemple réduire les salaires, comme l’a fait l’Espagne en 2010. Une politique pour le moins impopulaire et qui comporte des risques importants.

Réduire les congés payés est théoriquement une autre solution. «En faisant travailler les salariés plus longtemps pour le même salaire, on fait baisser le cout du travail», explique Vincent Touzé, économiste à l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE) de Sciences-Po. On peut même calculer les effets théoriques d’une telle mesure.

Un peu de mathématiques

Prenons l’exemple d’un salarié français en 2013. Sur les 365 jours de l’année, il y a eu 251 jours ouvrés. En soustrayant à ces jours ouvrés les 30 jours de congés payés minimum prévus par la loi, on obtient 221 jours de travail pour un salarié qui a pris ses 5 semaines de vacances et qui a travaillé 35h par semaine de travail (et n’a donc pas eu de jour de RTT en plus).

Si l’Etat français décide de supprimer un jour de congé payé, il fait en théorie augmenter la production du pays de 1/221, soit 0,45% de production en plus. Une variation assez importante pour entraîner une croissance légèrement plus rapide du PIB (dont la production n’est qu’une des composantes) sur l’année de mise en application de la réforme. Si l’on supprime une semaine de vacances (soit cinq jours de congés payés), on obtient une augmentation de la production de 5/221, soit de 2,26%. 

Dans les années suivant la suppression des jours de congés payés, le niveau de production resterait plus élevé, mais la croissance (la variation de production de biens et de services d’une période à l’autre) ne serait en revanche plus affectée.

Les statisticiens comme ceux de l’Insee arrivent d’ailleurs aux mêmes conclusions. Chaque année, pour calculer la croissance, l’Insee mesure ce qu’elle appelle les «effets calendaires», à savoir les variations de croissance qui sont uniquement dues à la différence dans le nombre de jours ouvrés. Ainsi, il y a seulement 251 jours ouvrés en 2013, contre 253 en 2012, qui comporte en revanche un samedi supplémentaire. D’après les calculs de l’institut national des statistiques, cet écart a entraîné une perte de 0,1 point de croissance entre 2012 et 2013, ce qui montre qu’un jour non-travaillé nuit à la croissance.

«On estime qu’un jour ouvré en plus apporte entre 0,07 et  0,08 point de croissance supplémentaire, précise Ronan Mahieu, chef du département des comptes nationaux à l’Insee. L’effet sur la croissance annuelle reste assez faible.» Faible mais réel.

Le cas des Etats-Unis

Malgré ces bénéfices théoriques de jours de travail supplémentaires, tous les pays de l’Union européenne offrent au moins 20 jours de congés payés à leurs travailleurs. En fait, la très grande majorité des pays développés faite de même, à l’exception notable des Etats-Unis, qui est le seul à ne garantir aucun jour de congé payé à ses travailleurs. Cette absence d’obligation légale signifie qu’un salarié sur quatre (soit 28 millions d’Américains) n’y reçoit aucun congé payé, une situation qui touche particulièrement les bas salaires et les travailleurs à temps partiel.

Outre Atlantique, beaucoup estiment que les 20 à 30 jours de congés payés octroyés par les pays européens sont une aberration économique au même titre que d’autres avantages sociaux trop généreux. Lors de la dernière campagne présidentielle, le candidat républicain malheureux Mitt Romney a accusé son rival Obama de vouloir faire des Etats-Unis un «Etat providence à l’européenne», ce qui «empoisonnerait l’esprit même de l’Amérique». En d’autres termes, si les Etats-Unis ont la meilleur économie du monde, c’est parce qu’ils travaillent plus que les autres.

Moins de travail, plus d’efficacité?

Pourtant, l’impact négatif des congés payés sur l’économie n’a jamais été prouvé, et certains soutiennent même le contraire. Prenons l’exemple de la France. Entre les 35 heures, les cinq semaines de congés payés légales et les conventions collectives et autres accords d’entreprise qui font que certains employés ont plus de 13 semaines de vacances, nous sommes un des pays développés où l’on passe le moins de temps au travail, 1.479 heures en 2012 en moyenne pour être précis.

En comparaison, les travailleurs grecs ont en moyenne travaillé 2.034 heures en 2012. Pourtant, la Grèce est en récession depuis plusieurs années et connait actuellement un taux de chômage de 27% tandis que la France, qui n’est certes pas dans une santé économique éclatante, a un taux de chômage légèrement supérieur à 10% et une croissance beaucoup moins catastrophique.

La réponse à cette énigme tient en partie dans la fameuse productivité du travail des Français, qui est une des plus élevées d’Europe. En d’autres termes, un Français produit plus de richesse en une heure de travail qu’un Allemand, qu’un Anglais ou qu’un Suédois.

«D’un point de vue théorique, plus un travailleur a de vacances, plus il est heureux et plus sa productivité au travail augmentera, explique Francesco Vona, économiste à l’OFCE. Il y a aussi une explication cognitive: notre capacité de concentration est limitée et notre créativité est liée à notre capacité à voir les choses de l’extérieur, ce qui est difficile à faire quand on travaille trop.»

Son collègue Vincent Touzé souligne que, si les salariés ont des revenus suffisants, une augmentation des congés payés peut aussi «entraîner une demande de loisirs plus élevée et porter des secteurs comme celui du tourisme».

Les Américains vers plus de vacances?

La vision positive du repos et des vacances, bien ancrée dans la culture européenne, gagne petit à petit les Etats-Unis, pays où le travail est au-dessus de tout le reste et où beaucoup d’employés ne prennent pas toutes leurs vacances par peur de perdre leur emploi.

Une récente étude publiée dans la Harvard Business Review a ainsi montré qu’obliger les employés d’une grande compagnie de conseil qui ne comptaient pas leurs heures à prendre de vraies pauses toutes les semaines augmentait leur productivité. KPMG utilise depuis peu des «cartes de bien-être» pour s’assurer que les employés ne font pas trop d’heures supplémentaires ou ne font pas sauter leurs vacances.

Le repos, c’est aussi la santé

Robert Reich, l’ancien secrétaire au Travail de Bill Clinton, a proposé pendant la dernière campagne présidentielle d’instaurer un minimum légal de trois semaines de congés payés aux Etats-Unis. Une mesure qui selon lui aurait aussi des effets bénéfiques indirects sur l’économie:

«Plus de vacances et pendant plus longtemps améliorerait aussi notre santé. Une étude de la clinique Marshfield dans le Wisconsin montre que les femmes qui prennent régulièrement des vacances sont moins tendues et moins touchées par la dépression tout au long de l’année. Les études montrent aussi que les hommes qui prennent des vacances régulièrement ont moins de risques cardio-vasculaires et subissent moins de crises cardiaques.

Une meilleure santé n’est pas seulement bonne pour les individus. Cela signifie aussi des travailleurs plus productifs, moins d’arrêts maladie et moins d’absentéisme. Et des coputs de santé moins élevés.»

Le repos pour la santé n’a d’ailleurs rien de nouveau. «Beaucoup de jours fériés ont été instaurés pour des raisons religieuses, mais ils avaient aussi une fonction de santé publique, et permettaient aux travailleurs de se reposer», rappelle Voncent Touzé.

Mais attention, en accordant trop de congés payés, on risque aussi de faire augmenter la cadence de travail dans des secteurs comme l’industrie pour compenser la perte de temps de travail effectif des salariés. Or une cadence trop intense peut avoir les mêmes effets néfastes sur la santé (stress, fatigue, maladies) qu’un manque de vacances.

Rien n’est prouvé

De manière générale, plus un pays est riche, plus son nombre d’heures travaillées par an est faible, mais cela ne veut pas forcément dire que la manière pour un pays de s’enrichir rapidement est de réduire le nombre d’heures travaillées, en réduisant le temps de travail par exemple. La Corée du Sud et le Mexique, qui travaillent encore plus d’heures annuelles que la Grèce, ont une croissance bien plus élevée que la France.

Il y a de bonnes raisons de penser que plus de vacances entraîne une hausse de productivité des travailleurs, mais ce qui intéresse un pays est avant tout la croissance économique, à savoir la production de richesse supplémentaire par rapport à la période précédente. Or, l’idée que des vacances supplémentaires puissent améliorer la production totale sur une année et donc créer de la croissance est beaucoup moins évidente: si c’était le cas, la meilleure manière de maximiser la production serait de n’avoir que des congés payés tout au long de l’année.

«Calculer le nombre l’impact réel d’un jour de congé en plus ou en moins sur l’économie est très difficile» résume Ronan Mahieu de l’Insee, qui rappelle que tous les travailleurs ne prennent pas tous les congés auxquels ils ont le droit.

Comme très souvent en économie, l’approche que l’on a des congés payés et de leurs supposés avantages ou inconvénients pour l’économie dépend de la sensibilité de celui qui analyse. «La gauche aura tendance à être pour un partage du temps de travail, tandis que la droite va encourager la recherche de la compétitivité» analyse Vincent Touzé.

Existe-t-il un nombre idéal de congés payés pour l’économie? Sans doute pas, d’autant plus qu’un nombre légal minimum de jours de congés ne correspond pas aux jours de congés effectivement pris par les travailleurs, entre ceux qui ne prennent pas toutes leurs vacances et ceux qui travaillent dans des secteurs ou des entreprises qui proposent le double du minimum.

La solution réside peut-être dans une approche beaucoup plus flexible des congés et plus généralement du temps de travail. «On peut imaginer un contrat de travail de 30 heures hebdomadaires minimum avec des ajustements en fonction de l’activité économique et des cahiers de commandes», essaie Vincent Touzé.

Ou encore imaginer un avenir avec un nombre de vacances illimité, comme les entreprises IBM ou Netflix. Le principe? Laisser ses employés prendre autant de vacances qu’ils veulent tant que le travail est fait en temps voulu. Une méthode qui semble porter ses fruits.

Grégoire Fleurot

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