Culture

Pourquoi les affiches des spectacles comiques sont-elles toujours ratées?

Qui ne s'est jamais arrêté dans la rue devant une affiche ringarde l'invitant à découvrir le show d'un humoriste? Typologie de quelques images au comique plus ou moins volontaire.

Montage
Montage

Temps de lecture: 9 minutes

Une affiche peut-elle être plus comique –à ses dépends– que le spectacle qu’elle croit promouvoir? Est-il vraiment possible d'être drôle avec une image, en particulier pour une pièce de boulevard, de café-théâtre ou un one-man-show? On va le voir, la promotion par affichage est, pour les comiques, un exercice hautement périlleux.

Hypothèse: il est très difficile, avec les contraintes inhérentes au genre, de présenter une affiche comique innovante qui fasse sourire autrement que par son ridicule. Les contraintes sont multiples. S'il montre la tête du showman à découvrir, le visuel n'est pas original. S'il ne le fait pas, il risque de passer à côté de son objectif premier: présenter un artiste en devenir à des gens qui ne le connaissent pas...

C'est pour ces derniers que la gageure est la plus grande. Car si la tête d'affiche est connue, elle se contente de montrer son visage et l'image surprend peu. Elie Semoun ou Stéphane Rousseau ne prennent pas de risques car leur réputation est installée. En revanche, si l'artiste est peu ou pas connu, il peut être tenté de se faire remarquer par l'excentricité ou la drôlerie de son affiche. Références parodiques, clins d’œil, jeux sur le cadre, calembours ou gags visuels servent alors à attirer l’œil du passant. Mais la tâche est si compliquée qu'on frise souvent le ridicule.

Corollaire: les images placardées rendent rarement compte de la qualité du spectacle et ce n’est pas parce qu'une affiche est nulle que le spectacle correspondant l'est aussi. Une mauvaise affiche cache parfois un excellent one-man-show, et inversement.

L'affront esthétique

Rayon ridicule, les affiches de boulevard ont leur mot à dire. Celles du théâtre de la Michodière, au bleu clair invariable, retiennent l'attention. Ainsi, le visuel d'A deux lits du délit montre Arthur Jugnot, gilet de groom et baggy délavé, qui désigne du pouce le titre du vaudeville dont il tient l'affiche (et quel titre !). Fond bleu clair discutable, codes esthétique et verbaux du boulevard: tout est du même tonneau, prématurément vieilli...

Le code couleur fonctionne avec plus de sobriété dans la pièce de la rentrée, qui n'a certes pas de tête d’affiche à mettre en exergue.

Quant au théâtre Daunou, il a opté pour un bleu plus vif, en jouant subtilement du noir et blanc des portraits et du jaune fluo du titre pour harmoniser les tons.

L'affiche ringarde

Aujourd'hui, on ne referait plus certaines affiches. Chris Orlandi en 2009 et Miloud Mi Raisin (oui, c'est bien son nom) en 2005, étaient placardés aux murs de la capitale avec des concepts aujourd'hui ringards... Mention spéciale au sous-titre de Chris Orlandi: «vous allez rire à sa folie» et au geste façon je t'embrouille en zig-zag de Miloud, la bouche sur le côté, qui suggère son bagout de pilier de comptoir. Une ancienne affiche de Bigard synthétise les deux précédentes: le divan de psy et la couleur jaune!

L'affiche cheap

Deux bons spectacles, deux affiches (anciennes) à côté de la plaque, comme si les artistes n'avaient pas réussi à illustrer le concept qu'ils avaient trouvé. D'un côté, Mamane jongle avec une mappe-monde en lisant le journal. Oui, on a compris, il s'agit d'une revue de presse internationale, mais cette esthétique ringarde était-elle nécessaire? De l'autre, Olivier Giraud, dont le corps reproduit le mouvement de torsion de la Tour Eiffel miniature qu'il présente, guilleret, aux spectateurs. Bon, entre temps, le graphiste d'Olivier Giraud a fait des progrès...

Le jeu de mots éculé

Artiste écolo et immense showman proposant souvent des spectacles «au chapeau», le public donnant ce qu'il peut, Gustave Parking maîtrise aussi bien le calembour délirant que le lancer de petit-suisse. Mais pourquoi nous propose-t-il ses «meilleurs morceaux» en se représentant comme une pomme croquée? Même plantage pour Roland Magdane et Nana, qui soulignent leurs jeux de mots pyromanes par des allusions visuelles tirées par les cheveux... ou par la mèche, oh oh oh!

Le portrait classique

Le nom et la tête du showman: la recette est simple et sans doute gagnante pour les artistes connus du public, qu’ils soient médiatisés comme Mustapha El Atrassi, ou qu'ils aient déjà une carrière comme Stéphane Rousseau, Eli Semoun ou Gad Elmaleh... Pas de prise de risque, l'affiche, sobre, ne prête pas le flanc, comme les précédentes, au comique involontaire. Même le jeu de mots de Stéphane Rousseau est très peu souligné, son patronyme en capitales étant bien plus visible que les «confessions» qui le précèdent.

L'affiche sans l'artiste

A l'inverse de la catégorie précédente, un parti-pris consiste à disparaître de l'affiche. Mais encore faut-il être très connu ou vraiment ambitieux pour tenter ce coup. Comme sur scène où, statique et volontairement inexpressif du début à la fin du show, il donne dans l'anti-jeu, Gaspard Proust proposait il y a trois ans une affiche qui brisait les codes: menacé par un jet de tomates, il en est absent et c'est le texte qui parle. Dans un style sans doute plus classique, Jacques Weber est tellement connu que son visuel se contente de suggérer une doublure ou l'ombre de lui-même. S'agit-il de contrer l'effet médiatique de la pub Danacol?

L'affiche music hall

Les lettres clignotantes d'une enseigne lumineuse scintillent dans la nuit pour mener au Point Virgule transformé en Olympia ou à un petit cabaret niçois: voici des affiches qui savent se faire remarquer. Jean-Jacques Devaux* et Noëlle Perna jouent avec plus ou moins d'autodérision la carte du music hall, afin d'attirer le chaland jusqu’au seuil de leur théâtre.

L'incrustation BD

Deux catégories, deux styles: d'un côté l'imitateur Gérald Dahan qui la joue cabaret politique, de l'autre David Azencot et Alex Darmon au style stand-up. L'affiche de Dahan est illustrée par Cabu, caricaturiste du Canard enchaîné et de Charlie Hebdo, les deux autres dans un style BD plus actuel.

Et un classique du café-théâtre, J'aime beaucoup ce que vous faites, dont l'affiche façon dessin de presse n'a subi aucun changement depuis dix ans de succès... A croire que ça marche!

Le photomaton

L'image en série, répétée et légèrement modifiée, est un procédé qui date de l'invention du cinématographe et de la naissance du comic strip dans la presse américaine. Dany Boon et Denis Maréchal l'ont compris, qui réalisent deux affiches sur le principe du photomaton, en se présentant dans quatre positions révélant des aspects significatifs de leurs spectacles. La tentative d'enfilage de K-Way, qui donne son titre à ce show de Dany Boon, ou l'essayage de perruque qui identifie un personnage clé de Denis Maréchal, le rasta faya scotché à son canapé.

Hors-cadre

En cadrant mal l'image, Bonaf se fait passer pour un benêt, corroborant ainsi le titre, «Ceci est un bonaf», dont la syntaxe évoque un animal d'une espèce particulière. Le talentueux Yann Stotz la joue plus spirituel en suggérant qu'il a bien compris, lui, où se situait le cadre. Il s'y insère en toute connaissance de causes, comme, dans les BD de Franquin, les personnages qui se rebellent contre leur auteur.

La mise en abyme

Classique de l'affiche ou de la pochette d'album, la mise en abyme fait toujours son effet. Star montante du stand-up, Baptiste jette un œil distrait à sa propre affiche collée sur un mur de briques façon comedy club. Alexis Macquart se représente dans un cadre comme s’il tenait un livre ou une photo, avec un doigt dans le nez pour rigoler. Quand aux Zappeurs, duo d’humoristes polyvalents et vifs, ils ont raté leur coup en affichant leur tête sur ce livret tenu par un personnage énigmatique.

Le texte pris en mains

Dans l'image, un mot est parfois mis en scène en toutes lettres. Le regard frontal, un brin narquois, Stéphanie Bataille se moque des hommes en faisant mine de tenir entre ses deux index un sexe symbolique qu'elle aurait découpé. Avec son style aseptisé des débuts, Anthony Kavanagh met en avant son nom quand Stéphanie Bataille parle de son sujet.

Les lettres qui parlent

Une affiche peut être réussie même lorsque l'humoriste n'est pas connu. Exemple avec Frédéric Koster qui joue de son physique enrobé pour afficher une image anti-glamour de comique ringard, bref, de «comique out». La typographie des lettres, en particulier les O bien évasés, accentue la rondeur du bonhomme et sa tête chauve. Même principe pour Charlotte des Georges qui souligne le titre de ce premier show par la couleur des lettres utilisées.

Noyé sous le titre

Sur certaines affiches, le texte prend le pas sur l'image, comme s'il s'agissait pour l'artiste de mettre en avant son propos. C'est le cas d'Alexandre Pesle, repéré aux débuts de Caméra Café. Sur l’affiche du one-man-show qu'il joue depuis sept ans, les recommandations apparaissent si nombreuses et si lourdes qu'elles finissent par en phagocyter l'espace. Quant au monumental Albert Meslay, maître de l'absurde et du syllogisme, son buste transparaît en filigrane des majuscules de son nom, comme s'il n'existait qu'à travers les mots..

Fondu dans l'image

Pixelisation, jeux de lignes: pour transmettre une idée, l'artiste peut jouer avec le support de l'affiche elle-même. Jean-Luc Lemoine, dont l'épaule part en pixels volants dans un visuel un peu ringard, nous révèle qu'il est ce personnage de télé qu'on va enfin découvrir sur scène en chair et en os. Quant à Océanerosemarie, les lignes rouges de l'arrière-plan où se fond son T-shirt également rayé traduisent son statut de «lesbienne invisible», qui passe inaperçue tant sa féminité surprend dans un monde où prévalent les clichés sur les camionneuses aux aisselles velues.

Enfin, sur la dernière affiche de Yacine Belhousse, la pixellisation tourne au casse-brique. Outre le clin d’œil à l'un des premiers jeux vidéo, s'agit-il de suggérer l’originalité d'un vrai «cassage de briques»?

Les lunettes de la Mouche

Toujours dans la pixellisation, Julie Ferrier réalise une belle affiche en intégrant un élément gagnant: les lunettes 70's à grosses montures que porte son personnage de prof d'art plastique libidineuse et allumée, un œil entrouvert. Même ustensile pour Jérôme Commandeur qui assume le ridicule de ses verres fumés contrastant avec son titre en forme d’antiphrase: «Jérôme Commandeur se fait discret»

La moue d'ado ambiguë

Charlotte Odinot début 2006, Vanessa Fery en janvier 2007, affichent le même air de fillette prise la main dans le pot de confiture. Deux bons spectacles où les comédiennes, à la suite de Florence Foresti, excellent à jouer la petite fille chiante ou l'ado faussement ingénue. Moue boudeuse, bouche arrondie et regard expressif, le corps à demi tourné, elle affectent toutes les deux l'air surpris de la fille pris en flagrant délit. Mais de quoi?

Double-identité

«Reubeu (lotte)» tiraillé entre deux cultures, à cheval entre le Maghreb et la France, ou gosse de cité lancé à corps perdu dans la danse malgré la réprobation des potes et des parents, Smaïn et Cartouche naviguent entre deux eaux, le cul entre deux chaises. Oui, l'idée est à peu près la même, deux chaussures dépareillées, Converses et  mocassins d'un côté, ballerine et chaussure à talon de l'autre, exprimant respectivement la double identité street/respectable et le cliché qui assimile un danseur à une femme.

L'équivoque visuelle

Cravate-corde ou cymbale-chapeau: Jérôme Daran et Alex Vizorek montrent sur leur affiche un élément emblématique de leur show. Le coauteur de Florence Foresti se noue au cou une corde en guise de cravate, avec un air de looser ahuri qui est sa marque de fabrique, tandis que dans un esprit surréaliste à la Magritte, le Belge Alex Vizorek joue sur l'équivoque visuelle de la cymbale à laquelle il consacre un très bon sketch. Si Smaïn renouvelle ses affiches, son bon goût et son imparable sourire demeurent.

Le nonsense

Loin des gags Club Med, quelques humoristes trouvent leur inspiration dans l'art ou la littérature. Jackie Berroyer et Bernard Azimuth sont de ceux-là, qui jouent sur des références partagées avec un public plutôt cultivé, la Joconde pour l'un, Don Quichotte et sa frêle jument pour l'autre. Grimé en Mona Lisa à sa fenêtre ou portant des chaussettes jaunes au mauvais goût assumé, Jackie Berroyer et Bernard Azimuth sont à l’image de leurs spectacles: décalés, inventifs, barrés, dans une tradition du nonsense inspirée des Monty Python. Loin des formules toutes faites, leurs titres étonnent : une interjection absurde pour Azimuth, un intitulé surréaliste pour Berroyer, «Ma vie de jolie fille».

L'affiche pastiche

Presse people ou affiche de film de série Z, Didier Super et Bûn-Hay détournent des références connues avec un certain bonheur. «Fans à la con s’abstenir», précise le chanteur dans une pastille parodique, en reproduisant l'esthétique criarde et aguicheuse des magazines people pour pré-ados. Sur fond de slogan FN remixé, «La France aux Chinois», Bûn Hay déguste un sandwiche jambon-camembert plutôt qu'un Panini au chien, retournant un préjugé en vogue sur la gastronomie chinoise. On devine la filiation des Envahisseurs, série télé déjà parodiée par les Inconnus.

Super-héros comique

Reprenant un concept super-héros à la mode au milieu des années 2000, l'affiche du premier show Fabrice Eboué en Hulk était plutôt bien trouvée. Presque dix ans après, celle de Yacine est sans doute moins originale, mais elle donne le ton de son spectacle dont l'atmosphère rappelle la cour de l'école primaire et du collège. 2004-2011, même combat!

L'affiche M. Propre

Début 2004, quand Fabrice Eboué s'affichait en Hulk aux Blancs Manteaux, David Salles se montrait en Monsieur Propre au Point Virgule voisin, dans un show à l'humour noir et incisif. Le concept de l'affiche a été remis au goût du jour, presque tel quel, par l'humoriste suisse Laurent Nicolet, qui modifie le titre et ajoute quelques étincelles de propreté en suspension.

Le kitsch ultime

Une esthétique assez kitsch, ambiance salon de coiffure africain, émane des affiches d'Anthony Kavanagh, toujours éclairées d'une lumière blanche immaculée. Son nouveau show semble entamer un tournant, façon star de foot brésilienne... Une nouvelle tendance?

Black star

Icônes d'une génération médiatisée par Jamel, Thomas N'Gijol et Patson sont deux excellents tchatcheurs qui ne cachent par leur inclination pour le style du stand-up afro-américain. Vêtus de blanc, ils font tous les deux référence à une superstar black: Michael Jackson, dont Thomas Ngijol parodie à la lettre le visuel de l'album Thriller et Barack Obama, dont Patson reprend le slogan à sa sauce.

Pour finir, seul un humoriste semble avoir souligné la difficulté de réaliser un bon visuel. Placardé aux murs, Jérémie Dethelot nous annonce donc que son affiche est pourrie, pour mieux nous inviter à venir le voir sur scène... Bien vu!

Julien Barret

NDLE: Il s'agit bien de Jean-Jacques Devaux, et pas Debout, comme indiqué par erreur dans un premier temps. Toutes nos excuses. Retourner à l'article

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