Culture

Films d'anti-vacances [2/3]: le camping, cette prison

Pour vous faire passer l'envie de préparer vos valises, démonstration en trois épisodes de ce qui rapproche vos activités estivales favorites d'expériences bien plus glauques.

Camping
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Temps de lecture: 5 minutes

Cet été, un Français sur deux ne part pas en vacances. Pas de plage avec les enfants, pas de barbecue au camping ni de randonnée en montagne, crise oblige. Mais rate-t-on vraiment la saison estivale si l’on reste gentiment chez soi? Pas si sûr, car la villégiature estivale peut rapidement se transformer en enfer, la liberté devenir claustration.

Après vous avoir fait voyager en 2011 avec un Tour de France des films de vacances puis en 2012 avec un tour du monde des films de vacances, nous avons choisi cet été de vous faire passer l’envie de préparer vos valises en vous montrant à quel point vos activités estivales favorites se rapprochent d'expériences en apparence éloignées et bien plus glauques.

Au menu du second épisode de ces films d'anti-vacances, le camping-prison. A lire aussi: la fête-hôpital psy.

Certains aiment le calme de l’hôtel où les autres clients se résument à des ombres croisées à la réception ou dans l’ascenseur. D’autres préfèrent la collégialité et la proximité qu’induisent des vacances au camping. A la bonne franquette, on s’arsouille entre caravanistes ou on s’apostrophe d’une tente à l’autre. Mais la vie de campeur se compose surtout de trois moments inévitables: la dinette sur la table en formica, les joies de la douche commune et parfois la prise de bec. Etrangement, cette trinité rappelle d’autres moments privilégiés: ceux des prisonniers.

Miam, slurp, beurk

En vacances ou en prison, les repas rythment la journée, sonnant le rappel des troupes. Mais pas de bons petits plats derrière les barreaux. Comme au camping, les moyens du bord (petit réchaud) invitent souvent au simple réchauffage d’une boîte de conserve. Pour la gastronomie, on repassera. Et quand ce n’est pas le détenu qui prépare sa pitance, ou se gave de junk food comme Tahar Rahim dans Un Prophète, l’administration pénitentiaire devient chef cuistot.

Pire qu’un resto U, la boustifaille proposée en cabane se résume le plus souvent à une pâtée informe, servie à la louche. Dans les années 1960, un bol de métal faisait office d’assiette, comme on le voit dans Le Trou de Jacques Becker.

Cet usage plus que restreint de la vaisselle permet d'éviter une plonge monumentale et la casse qui pourrait advenir quotidiennement. Pas sûr que cela ouvre l’appétit, mais ce n’est pas pire que l’assiette en carton du campeur qui ploie sous la salade de riz et empêche toute dégustation de soupe. Les taulards ont donc le privilège de siroter une bonne soupette si le cœur leur en dit (et si il est suffisamment bien accroché!)

Le Trou, de Jacques Becker (1960)

Mais l’hygiène des cuisines en prison n’ayant rien à envier à celle d’un camping, il n’est pas rare qu’un insecte se fraie un passage dans les gamelles. Une guêpe attirée par du pinard et qui finit dérivant entre deux glaçons ne vaut pas mieux qu’un cafard découvert au détour d’un coup de fourchette.

Dans Les Evadés, Tim Robbins tombe ainsi nez à nez avec un ver, astucieusement camouflé dans la purée. Il se le fait rapidement harponner par son voisin de tablée. Certains diraient que le pauvre homme cherche là son apport protéinique de la journée. Que nenni! Il a recueilli un piaf et le ver correspond idéalement aux goûts de l’oisillon. Au camping comme en prison, quand une bestiole s’invite à table, on ne la mange pas!


Les Evadés (Shawshank) 2/8 par weshbynight

Dans le registre «on ne rigole pas avec la bouffe», je demande les Italiens. Au camping ou de passage en prison, les Ritals ne lâchent pas les bonnes habitudes. Le rituel de la pasta est un art qui s’exerce en toutes circonstances comme on peut le voir dans Les Affranchis.

Faire pousser son propre basilic, détailler son ail avec une lame de rasoir, cuire la viande à l’ombre des barreaux, les détenus de Scorsese se préparent des gueuletons de compétition, prenant ainsi le contrepied de toute les mauvaises bouffes à base de boîtes de conserve que le cinéma nous a offertes, au gniouf ou en vacances.

Attention à la savonnette

Autre moment important d’une journée au camping ou en taule: la douche. Pas simple de se partager une salle de bains, de ne pas oublier son savon et de tenter de garder une miette d’intimité. Dans Un Prophète de Jacques Audiard, le héros comprend qu’il est observé lors de ses ablutions. Ressentant enfin le voyeurisme dont les pauvres vacancières sont l’objet dans les campings où il se trouve toujours un mâle en manque de sensations fortes, prêt à coller son œil à la serrure, Tahar s’emporte! Et l’intimité que diable! Difficile en effet de composer avec la promiscuité latente des douches communes.

Mais ces rapprochements non désirés peuvent parfois occasionner de belles rencontres, comme c’est le cas dans Midnight Express.

A force de se laver côte à côte, certains ont eu l’idée de se laver les uns les autres. Le héros devenu shampooineuse, malaxe le cuir chevelu de son partenaire de cellule. Ce renvoi d’ascenseur savonneux n’aurait sans doute jamais eu de raison d’être sans la proximité induite par la vie carcérale. Cet épouillage réciproque crée du lien social, amical. Une idée à développer au camping, pour draguer la voisine de tente ou entrer dans les faveurs du patriarche du lieu (à 58' environ).

Toutefois, attention. Trop de familiarité peut provoquer une situation scabreuse, comme c’est le cas dans American History X. Edward Norton découvre ainsi que les douches peuvent devenir des lupanars non consentis.

A la légendaire savonnette à porter autour du cou (pour éviter de se pencher et ainsi offrir une vue plongeante sur son fondement à son voisin de pommeau), on peut donc ajouter la vigilance indispensable à la conservation de son identité sexuelle. Ne jamais se faire cerner par ses collègues pendant le lavage, sous peine de passer un sale quart d’heure. En prison comme au camping, se retrouver dans le plus simple appareil face à un prédateur peut tourner au vinaigre. Comme le découvre Isabelle Huppert dans Dupont Lajoie.

American History X (2’):

Petites disputes entre voisins

A force de vivre les uns sur les autres, des tensions se créent, aboutissant parfois à des prises de becs monumentales. Au camping, on peut piétiner la tente du voisin ou cracher sur son camping-car. En prison, les jeux de mains tournent au jeu de massacre surtout quand des femmes sont impliquées.

Le crêpage de chignon, à base de coups de griffe et de coups bas, est au centre d’une séquence mythique de Girls in Prison (1956). Ce combat dans la boue, version catch féminin pour spectateur libidineux, permet d’exorciser les conflits, de régler les comptes, bref de repartir sur de bonnes bases. A tester pour solder une mésentente entre deux campeuses!

Plus masculin, le combat de L’Addition, entre Richard Berry et Farid Chopel n’est pas piqué des vers lui non plus. Exit la boue, c’est dans la sciure que les deux détenus se maravent. Coups de boule, de poings, de pieds, cette poussée de violence fonctionne comme un exutoire. Les points mis sur les i, la vie en communauté peut reprendre gentiment.


L'addition_clip par francomac

Les rapports de voisinages tendus ne sont pas l’apanage des Européens ou des Américains. En Asie aussi quand deux détenus se prennent la tête, ils terminent toujours par se la casser. Dans Batman Begins, Bruce Wayne, incarcéré dans une geôle du bout du monde, est confronté à l’un des ses collègues, passablement irrité contre lui.

Alors qu’il fait la queue au buffet du petit déjeuner, celui-ci lui tombe sur le râble. S’agit-il d’un conflit concernant qui a doublé qui dans la file d’attente? Peut-être... Mais a-t-on vraiment besoin d’une bonne raison pour refaire le portrait d’un voisin agaçant?

Si après un repas désastreux, une douche humiliante et une petite baston avec le campeur d’à côté vous avez encore envie de traîner votre caravane sous un pin parasol, vous avez mérité une petite récompense. Car on sait aussi faire la fête au camping, comme en prison!

Ursula Michel

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