France

Catastrophe de Brétigny: comment démêler les responsabilités entre RFF et la SNCF?

RFF est propriétaire du réseau ferroviaire, la SNCF l’exploite. Mais si RFF gère les lignes, c’est la SNCF qui les entretient. En l’absence de tout autre élément renvoyant à un acte de malveillance, le dossier juridique est complexe.

Une photo de l'éclisse éclatée qui pourrait être à l'origine de l'accident de Brétigny © SNCF
Une photo de l'éclisse éclatée qui pourrait être à l'origine de l'accident de Brétigny © SNCF

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Face à la catastrophe de Brétigny, la question des responsabilités va se poser. Jusqu’à présent, Guillaume Pépy, président de la SNCF, et Jacques Rapoport, son homologue à Réseau Ferré de France (RFF) ont assuré qu’ils assumeraient la totalité de leurs responsabilités quel qu’en soit le coût. C’est bien de le dire, mais on ne voit pas ce qui aurait pu les en exonérer. «Nous sommes pleinement associés à la SNCF pour ce qui concerne notre devoir à l'égard des victimes», a renchérit le président de RFF, ce qui pourrait laisser entendre que le premier responsable serait la SNCF.

Or, c’est loin d’être évident. Il faudra de toute façon attendre le résultat des trois enquêtes diligentées après la catastrophe de Brétigny-sur-Orge pour espérer démêler l’écheveau des responsabilités. Mais en l’état des éléments tangibles sur l’origine de ce déraillement, et la mise en cause d’une éclisse (barre métallique censée solidariser deux rails à l’aide de boulons), c’est bien un élément du réseau qui pourrait être à l’origine de l’accident du 12 juillet. Ce qui semblerait placer RFF sous les projecteurs.

Toutefois, à cause de la complexité du système ferroviaire français et de l’imbrication des relations des acteurs de ce système, la répartition des responsabilités n’est pas si évidente. En outre, si les enquêtes devaient aboutir à la conclusion qu’un acte de malveillance a été commis, d’autres arguments juridiques devraient alors intervenir. Mais rien, à ce stade, ne confirme une telle hypothèse.

Une répartition complexe des missions

Certes, ce sont bien des wagons de la SNCF qui sont impliqués dans cette catastrophe. Mais l’opérateur ferroviaire n’a que le statut d’exploitant: la SNCF fait rouler des trains, elle n’est pas responsable du réseau.

Depuis 1997, le réseau de chemin de fer en France appartient à Réseau Ferré de France. A l’époque, lorsque l’établissement fut créé, RFF avait aussi hérité de la dette du chemin de fer français qui plombait –déjà– la dette publique. C’était même la justification principale de la création de RFF puisque, afin de préparer le passage à l’euro et satisfaire aux critères d’éligibilité (notamment une dette publique inférieure à 60% du PIB), l’Etat devait absolument faire le ménage.

L’opération avait été rendue possible puisque, en même temps que la dette (elle a dérapé et atteint aujourd’hui 31,5 milliards d’euros), RFF héritait d’un patrimoine (le réseau français) et de recettes commerciales (les recettes de péages des trains pour l’utilisation du réseau).

Mais pour ne pas braquer les cheminots qui supportaient mal que la SNCF perde la haute main sur les lignes de chemin de fer, le législateur n’est pas allé au bout de sa logique en 1997. Notamment, il n’a pas affecté à RFF les effectifs de la SNCF en charge de l’entretien du réseau. Ce faisant, il évitait toute crispation sociale d’une partie des cheminots qui auraient pu craindre, en changeant d’entreprise, de perdre leur statut.

Ainsi, en tant que propriétaire du réseau, RFF en est gestionnaire et à ce titre assure son entretien (13 milliards d’euros entre 2008 et 2015 pour rénover 6.400 km de voies). L’établissement organise aussi le trafic des trains. Mais RFF délègue toujours la maintenance des lignes de chemin de fer à la SNCF. Et plus précisément, à une de ses directions: SNCF Infra, l’une des plus profitables du groupe.

Toutefois, pour les lignes à vocation locale en régions, la maintenance peut être confiée par RFF à d’autres opérateurs. Mais dans le cas de Brétigny-sur-Orge, c’est bien la SNCF qui a la charge de l’entretien.

Frictions entre le propriétaire et son prestataire

Dans ces conditions, qui est le plus directement impliqué: le gestionnaire du réseau, ou son prestataire qui assure la maintenance? Mais là encore, rien n’est simple. S’il s’avérait que la vétusté de la partie du réseau concernée soit à l’origine de l’accident, et si RFF avait failli à sa mission de maintenance du réseau en ne réclamant pas d’opération d’entretien, sa responsabilité pourrait être engagée.

On comprend mieux la promptitude de Jacques Rapoport à déclarer que la vétusté des lignes n’est pas en cause dans cet accident. A l’inverse, si les équipes de SNCF Infra sont intervenues et que le problème ne se situe pas au niveau du programme de maintenance mais de sa réalisation, la responsabilité de la SNCF peut être impliquée.

La jurisprudence, de ce point de vue, est particulièrement floue, démontre le Bulletin des Transports et de la logistique. Globalement, les dossiers des catastrophes ferroviaires mettent longtemps à aboutir. Dans le cas du drame d’Allinges de 2008 dans lequel 7 collégiens ont péri, la justice a mis cinq ans pour juger l’affaire.

L’usine à gaz qui caractérise la structure du système ferroviaire français pourrait être en voie de simplification avec la réforme attendue pour la fin de l’année, a réaffirmé Frédéric Cuvillier, ministre des Transports. Un établissement public avec une fonction de holding doit être créé, avec deux filiales —l’une en tant que gestionnaire du réseau, l’autre en tant qu’exploitant. Certes, on retrouve les mêmes spécialisations, mais sous l’autorité d’une même maison mère pour répartir les tâches et harmoniser les missions de l’une et de l’autre.

Or, les relations entre la SNCF et RFF ont été émaillées depuis quinze ans par de nombreuses frictions, chaque établissement revendiquant son indépendance et supportant mal les décisions de l’autre –RFF contestant la politique du tout TGV de la SNCF. Finalement, les thèses de RFF ont fait mouche, mais la réforme rend le pouvoir à la SNCF. Paradoxe... L’important, au regard de la sécurité, est que cette réforme évacue les tensions dans la gouvernance du système. Mais rien n’indique que, si elle avait été bouclée plus tôt, l’accident de Brétigny-sur-Orge aurait été évité.

Gilles Bridier

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