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VIES «NORMALES» DANS LA BANDE DE GAZA [4/5] – Coincée entre l’Egypte et Israël, la bande de Gaza, dense de 1,7 million de personnes, est presque hermétiquement close depuis la chute de Mohamed Morsi. Ses habitants se débrouillent tant bien que mal pour vivre sous le blocus. Et, entre espoir et résignation, ils suivent sur Internet les succès des «idols» arabes et les informations sur la crise égyptienne. Pour Slate, Frédéric Martel a passé plusieurs jours, fin juin, dans cet autre Etat de Palestine. Enquête.
Crâne rasé, petites lunettes, Wael Fanona a sur le front une marque indélébile laissée par de nombreuses prières, quand la tête touche le sol –un signe de grande piété. Il est le directeur des médias du Jihad islamique dans la bande de Gaza. Je le rencontre au 7e étage d’un immeuble de bureaux au centre-ville de Gaza. De ses fenêtres, grandes ouvertes de tous les côtés, les courants d’air soufflent plus que de raison, offrant une climatisation bon marché et faisant tout virevolter.
Sur des étagères, de nombreux diplômes, un drapeau du Jihad, des souvenirs –dont une maquette du dôme du Rocher de Jérusalem– et un portrait, au fusain, du fondateur du Jihad islamique, Fathi Shaqaqi (assassiné à Malte par les services israéliens). «La plupart des gens qui travaillent ici ne sont pas membres du Jihad islamique. Les médias sont rattachés à notre parti politique, qui est très séparé de notre branche militaire», me précise Wael Fanona.
«BIENVENUE À GAZA»
ARAB IDOL
LES MÉDIAS À L'OMBRE DU HAMAS
LE JIHAD ISLAMIQUE JALOUX DU HAMAS
LA VIE UNDERGROUNG
Cet homme me frappe par son calme, sa patience et sa courtoisie. J’apprendrai par la suite qu’il a été arrêté à 24 ans par Israël, et qu’il a fait vingt-trois ans de prison: il fut parmi les prisonniers échangés contre la libération du soldat Gilad Shalit en 2011.
«C’est vrai, je ne suis pas membre du Jihad, pas même sympathisant. Mais il n’y a pas de travail à Gaza pour un journaliste, en dehors des partis. Alors je travaille ici», m’expliquera le lendemain, dans un café, un journaliste de la chaîne du Jihad islamique (lequel préfère rester anonyme compte tenu de ses propos et par peur des représailles).
Au 3e étage du bâtiment se trouve Al Quds TV, la télévision satellitaire du Jihad; au 7e, Al Quds Radio, la station du même parti. Ailleurs, à chaque étage, qu’il faut monter à pieds car l’ascenseur est en panne, je découvre des agences de presse et, tout en haut, sur le toit, les émetteurs. «L’armée israélienne a réussi à détruite, en novembre 2012 [durant l’opération Pilier de défense], par une frappe chirurgicale, tous nos émetteurs sur le toit, ici, juste au-dessus du 7e étage, sans même détruite le bâtiment», se désole Fanona, à la fois énervé et émerveillé par cette prouesse technologique. Abd Alnaser Abo Oun, un célèbre journaliste d’Al Quds, qui assiste à l’entretien, sort un smartphone et me montre la vidéo de la destruction des émetteurs, comme pour confirmer cette information. Il ajoute:
«Celui qui a filmé cette vidéo a perdu une jambe dans l’opération.»
La compétition avec le Hamas existe. «On a peut-être plus de libertés que les médias du Hamas», me dit Wael Fanona, qui reconnaît entretenir d’«assez bonnes» relations avec ce parti frère. Mais, en passant, comme jaloux, Fanona m’interroge pour savoir si les studios du Hamas sont plus beaux que les leurs.
Peu avant mon arrivée, le Jihad islamique, vraisemblablement pour afficher son hostilité aux consignes actuelles de cessez-le-feu du Hamas, a lancé une micro-offensive depuis Gaza contre Israël: une petite dizaine de roquettes Al Quds –l’équivalent pour le Jihad des roquettes Qassam du Hamas– ont été envoyées depuis Gaza, faisant peu de dégâts, mais suscitant une réplique de Tsahal dans la nuit. Quatre lieux stratégiques du Jihad ont été brièvement bombardés par Israël le 24 juin.
Pendant une heure, je visite les locaux des médias du Jihad islamique. Le nombre de studios me frappe: pour le direct, pour le montage, pour enregistrer des feuilletons du ramadan, pour faire des décrochages locaux. A chaque fois, je croise de jeunes journalistes, je vois des dizaines d’ordinateurs –et souvent un Coran traîne sur une table ou une étagère. A l’entrée des locaux, il y a une salle de prière.
Les studios, c’est un fait, sont moins beaux que ceux du Hamas, ils sont plus rudimentaires, mais l’atmosphère y est tout aussi bon enfant, travailleuse, sérieuse. Au mur, je ne peux manquer l’immense photo de Hassan Shakora, un journaliste du Jihad islamique: il porte un pull à col roulé et avait 24 ans lorsqu’il a été tué par l’armée israélienne.
Abdallah, un journaliste d’Al Quds, me montre maintenant un poster sur lequel figure 22 photos, celles des prisonniers du Jihad toujours détenus en Israël. Il se félicite:
«Les prisonniers écoutent beaucoup notre radio. On travaille aussi pour eux.»
Frédéric Martel
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