Économie

Paris, ta finance file à l'anglaise

Au moment où la place financière de Paris vante ses atouts face à la City, elle risque de voir s'accélérer l'exode de ses banques.

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Nicolas Sarkozy aime l'industrie, l'usine et les cols bleus. Le Président de la République est dans son élément lorsqu'il harangue les ouvriers d'Alstom, promet d'intervenir à ceux d'Arcelor ou justifie le retour de l'Etat dans le capital des Chantiers de l'Atlantique. Il semble en revanche beaucoup moins à l'aise dans l'univers feutré des salles de marché. Et moins sensible aux préoccupations des cols blancs de la finance qu'il a vite fait d'accuser des dérives qui ont rendu la crise si violente.

Pourtant, avec la perspective d'un automne social chaud, le président de la République risque d'avoir à mouiller sa chemise pour une cause dont tout, dans ses propos comme dans ses réflexes,  laisse penser qu'elle n'est pas spontanément la sienne: éviter une accélération de l' exode de l'industrie financière française de Paris vers Londres.

D'Aubervilliers à Londres

La place financière parisienne tient ces jours-ci sa grand-messe pour clamer ses atouts et démontrer qu'elle a mieux résisté à la crise que la City. Pour autant, elle est sous la menace d'un nouveau déclic qui pourrait encore accélérer l'hémorragie de ses traders outre-Manche. La raison? Les dirigeants du NYSE (New York Stock Exchange), la société qui gère la Bourse de New York, sont décidés à passer à la vitesse supérieure dans l'intégration d'Euronext, la société qui fédère les Bourses de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne. Pour ce faire, ils sont en train de construire dans la capitale londonienne un centre informatique flambant neuf où ils comptent loger non seulement toute le logistique du Liffe, le marché à terme britannique contrôlé par Euronext, mais aussi une bonne partie de l'informatique d'Euronext installée jusqu'à présent en banlieue parisienne, à Aubervilliers.

L'opération n'a rien de neutre. A partir du moment où Euronext conservait dans la capitale française, à la fois son siège et sa logistique, il était difficile pour BNP Paribas, Société Générale, Calyon et leurs consoeurs de justifier le déménagement à Londres de leurs courtiers sur les actions et les dérivés d'actions. Que Nyse-Euronext décide, pour être plus proche de ses clients et gagner en rapidité d'exécution, de regrouper le coeur de ses systèmes d'information outre-Manche, ne peut que donner une bonne raison de plus aux grands établissements financiers français pour transférer leurs équipes  dans la capitale londonienne. Une tentation à laquelle ils résistent depuis longtemps.

Quand la bourse va...

Calyon, la banque d'investissement du Crédit agricole, est d'ailleurs déja en train d'y faire partir sa filiale de courtage, Chevreux. Idem de Natixis. On ne voit pas pourquoi le mouvement ne s'étendrait pas à BNP Paribas voire à la Société Générale qui est pourtant en train de construire une impressionnante salle des marchés à la Défense. D'autant que les banques françaises, relayées par leur ministre de tutelle Christine Lagarde, se plaignent de subir la concurrence déloyale de leurs adversaires de Londres qui font fi des règles d'encadrement des rémunérations des traders et de bonus garantis. La chasse aux talents est repartie de plus belle à la City.

Les projets du NYSE ne tombent donc pas au bon moment. D'autant que Nicolas Sarkozy s'est rendu il y a quelques jours sur ses anciennes terres de la Défense pour réaffirmer sa volonté de faire du quartier de l'ouest parisien une cité financière incontournable et compétitive face à Londres. Déja touchée de plein fouet par la crise et les restructurations à la hâche, l'industrie financière reste l'un des principaux employeurs à Paris et dans sa région, et partant, l'un des grands rassemblements de matière grise et l'un des principaux contribuables. Sans compter tous les emplois induits par cette activité, des restaurants aux services informatiques, et lorsque la Bourse va bien, des vendeurs de voitures de luxe aux agents immobiliers.

Paris Europlace, la structure chargée de vanter à l'étranger,  les vertus de la bourse française pour y attirer les entreprises cherchant à se faire coter, risque elle aussi de voir, avec cet exode de la finance vers Londres, plusieurs années d'efforts anéantis.

Pression de l'Etat contre le tropisme londonien

Enfin, l'affaire risque de rendre un peu plus inconfortable la position des dirigeants d'Euronext qui est en train par ailleurs, sous l'impulsion de New York, de supprimer un quart de ses effectifs à Paris. Jean-François Théodore s'était battu il y a trois ans pour imposer le rapprochement entre Euronext et la Bourse new-yorkaise contre le projet concurrent de mariage avec Francfort. Il risque de donner raison à posteriori à ses détracteurs qui l'accusaient d'introduire le loup américain dans la bergerie française.

Le président d'Euronext peut toujours faire valoir que si les banques françaises avaient vraiment voulu se donner la peine de garder à Paris une grande place financière, elles auraient déjà dû se maintenir à un hauteur suffisante dans le capital de la société chargée de gérer sa Bourse.

En volant à la rescousse des banques auxquelles il a injecté de l'argent public pour les aider à passer le plus fort de la crise, l'Etat devrait disposer des moyens de pression pour les inviter à modérer leur tropisme londonien. Mais ces moyens risquent de n'être que de courte durée avec l'empressement des banques à rembourser leurs crédits.

Reste l'arme fiscale. L'ouverture par Bercy de négociations sur les taxes sur les salaires dont les banques réclament depuis des années l'abolition pourrait être un moyen efficace de les retenir. Moyen tentant mais inaccessible à un Etat qui en est pour l'instant à chercher désespérément des recettes pour boucler son budget.

Philippe Reclus

Crédit photo: Le Palais Brongniart à Paris   Reuters

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