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Pourquoi violence, sectarisme et incompétence continuent de régner au Moyen-Orient

Syrie, Irak, Liban, Egypte, Turquie, Bahreïn, processus israélo-palestinien au point mort... La plus grande partie de la région a vraiment piètre allure.

Un membre de l'Armée syrienne libre, à Alep, le 28 juin 2013. REUTERS/Nour Kelze
Un membre de l'Armée syrienne libre, à Alep, le 28 juin 2013. REUTERS/Nour Kelze

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Le Moyen-Orient n’avait vraiment pas besoin de ça. Et pourtant, c’est officiel. La région a désormais sa maladie bien à elle: un dangereux virus appelé MERS-CoV, pour coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient –peut-être lié au virus du Sras, mais apparemment plus mortel.

Cette triste nouvelle m’a fait (de nouveau) réfléchir à l’état déplorable dans lequel se trouve la région. Il y a quelques points positifs –ou en tout cas, certains points qui ne sont pas totalement négatifs. La Tunisie[1] semble vivre une transition relativement stable sans violence paralysante ou gouvernance incompétente. Et une jeune génération d’arabes et de musulmans, apparemment bien décidée à se libérer des usages d’autrefois, ne se contente pas de réclamer la liberté individuelle mais rêve également de dignité. Cela me rappelle la célèbre réplique d’Howard Beale dans le film Network, main basse sur la télévision: ils sont hors d’eux, et ils ne tiendront pas une minute de plus.

Quoi qu’il en soit, la plus grande partie de la région a vraiment piètre allure: violence en Irak, guerre civile en Syrie et débordements violents au Liban; désespoir populaire croissant en Egypte, répression à Bahreïn; absence d’autorité centrale en Libye et processus israélo-palestinien dans l’impasse. Même en Turquie, l’Etat-miracle, la situation dégénère.

Mais que se passe-t-il donc là-bas? Pourquoi, alors que le monde entier semble aller de l’avant, le Moyen-Orient reste-t-il à la traîne? Et pourquoi son grand moment de transition –le Printemps arabe– semble-t-il se perdre au milieu d’un fouillis de violence, de sectarisme et d’incompétence? Les raisons de cette pitoyable situation sont certainement nombreuses. Voici les cinq qui me semblent les plus évidentes.

Les mauvais traitements réservés aux femmes

Le statut des femmes –ce qu’elles sont autorisées à faire ou non– en théorie et en pratique est très variable dans la région. Mais les inégalités et les discriminations sont bien trop présentes. Les pays qui exercent une discrimination contre la moitié de leur population, intentionnellement ou non et quelle qu’en soit la raison (culture, religion, tradition, inertie), qui essaient d’entraver les femmes, de les maintenir dans une situation d’infériorité ou simplement les ignorent, ne seront jamais aussi éthiques, productifs, créatifs ou compétitifs que ceux qui laissent aux femmes le contrôle de leur destin –que ce soit au Moyen-Orient ou ailleurs. Et leur avenir ne sera pas aussi radieux. Point barre.

Pas de séparation entre la religion et l’Etat

Je sais qu’il n’est pas politiquement correct de le souligner, mais montrez-moi une seule société qui obéisse à des règles religieuses d’origine divine et qui parte du principe que son dieu est meilleur que tous les autres –ou bien où les groupes religieux extrémistes intimident et font la guerre à leurs concitoyens, en ayant parfois recours au terrorisme et à la violence– qui soit véritablement saine et qui fonctionne bien. J’ai cru que la Turquie pouvait être l’exception. Mais la récente intransigeance du Premier ministre Erdogan m’a poussé à remettre cette idée en doute.

Les sociétés qui se sont avérées à la longue les plus durables et couronnées de succès (toutes hors du monde arabe) sont celles où le royaume de dieu et celui de l’homme/la femme restent bien distincts, où les institutions concernent tout le monde et où prévaut la liberté de culte, et peut-être plus important encore, la liberté de conscience. En effet, la liberté d’expression est un élément crucial pour que se réalisent le potentiel humain, son inventivité et sa créativité. Et c’est le devoir de l’Etat de la respecter et de la protéger, et non de la restreindre. Vous pouvez aller sur Times Square et, à moins de troubler l’ordre public, dire tout ce que vous voulez sur le judaïsme, le christianisme ou l’islam sans craindre de vous faire arrêter ou pis encore. Ne vous y aventurez pas sur la place Tahrir.

Trop de complot

Trop de gens au Moyen-Orient refusent de se regarder dans le miroir. Ils préfèrent avancer des excuses et des justifications expliquant pourquoi ce sont les autres, et particulièrement des forces extérieures, qui sont responsables de leurs malheurs. J’ai tout entendu sur le colonialisme, le sionisme, l’impérialisme, le communisme, le sécularisme, l’islamisme et tous les autres ismes mis en avant pour montrer pourquoi ce qui se passe dans le monde arabe est de la faute des étrangers, pas des nationaux.

Mais soyons réalistes. Comme chacun sait, vient un moment dans la vie où la possibilité de reprocher à ses parents ce que l’on est devenu atteint la date de péremption. Et dans le cas du monde arabe, la garantie permettant d’imputer au Mossad, à la CIA, à l’Amérique, aux juifs ou à Bozo le clown l’absence de démocratie, le manque de respect des droits humains et l’inégalité entre les sexes a expiré depuis longtemps.

Certes, le Moyen-Orient subit encore des influences très négatives de l’étranger. Mais cela n’est pas une excuse suffisante pour dispenser son peuple de prendre son propre destin en main. Après tout, cela devait être justement cela, le Printemps arabe. Et, incroyable mais vrai, ce Printemps arabe a été détourné non pas par des croquemitaines occidentaux, mais par des forces de l’intérieur de la société arabe elle-même: des fondamentalistes musulmans, des éléments laïques et progressistes incapables de s’organiser de manière efficace et des vestiges de l’ancien régime agrippés au pouvoir même après la chute des dictateurs.

Narcissisme

Je sais que cette révélation va vous faire un choc, mais le Moyen-Orient n’est plus le centre du monde. Aujourd’hui l’Asie, l’Europe, l’Amérique et même l’Afrique sont les lieux où les économies de libre-échange, le pluralisme et l’entreprise humaine innovent, inventent, produisent et créent des choses –et regardent le Moyen-Orient s’éloigner dans le rétroviseur. Vous pouvez le lire dans n’importe quel rapport sur le développement humain des Nations unies, qui fait la chronique de cette triste histoire. Mais trop d’habitants du Moyen-Orient pensent encore qu’ils sont au centre de tout –ou que d’une façon ou d’une autre, ils méritent de l’être.

De nombreux arabes et de trop nombreux Israéliens croient encore que le monde est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 tout entier suspendu à la prochaine péripétie qui frappera leur région et prépare de nouveaux moyens de venir à la rescousse. J’en ai par-dessus la tête de ces pacifistes israéliens qui descendent les Etats-Unis en flammes parce qu’ils ne sauvent pas le processus de paix, et aussi des arabes qui attendent que ce soit nous qui punissions Israël, que beaucoup trop considèrent de façon grotesque soit comme le maître de l’Amérique, soit comme son enfant indiscipliné. En outre, parlez à n’importe quel Libanais, et vous aurez l’impression que ce qui se passe à Beyrouth est au centre des préoccupations des décisionnaires américains. Et, malgré la perte de crédibilité de l’Amérique, l’espoir erroné que les Etats-Unis vont sauver la Syrie existe toujours.

Eh bien, j’ai du nouveau: la cavalerie ne viendra pas. S’ils finissent par le comprendre, les habitants du Moyen-Orient vont peut-être se mettre à agir davantage dans leur propre intérêt. Mais j’en doute.

Leadership

Il n’y en a pas vraiment. Quelle ironie –particulièrement dans le contexte des pulsions démocratiques du Printemps arabe– que les dirigeants les plus durables se soient révélés être les monarques autoritaires. Les rois Abdullah (de Jordanie et d’Arabie saoudite) ont des airs de véritables diplomates comparés à l’Irakien Nouri al-Maliki (ou Mohamed Morsi, quand il était encore au pouvoir en Egypte).

Mais là encore il y a un problème. Si les leaders du Moyen-Orient sont passés maîtres dans l’art de la conquête du pouvoir, ils n’ont pas franchement envie de le partager. Ajoutez à cela l’absence d’institutions légitimes et inclusives –et des hommes politiques plus concernés par les intérêts de leur tribu, de leur famille et de leur secte religieuse que par ceux de la nation dans son ensemble– et l’avenir de la gouvernance fiable et responsable dans le monde arabe semble fortement compromis.

Le MERS-CoV est encore un mystère, mais je suis convaincu que les épidémiologistes vont finir par le percer. Et je sais que nous devons donner à cette région une ou deux générations pour se sortir de là. Cependant, je ne suis pas aussi convaincu qu’elle va y parvenir, même si son mal n’est en réalité qu’une vérité aussi flagrante que gênante.

Aaron David Miller

Traduit par Bérangère Viennot

[1] NDLE: la Tunisie ne fait pas partie du Moyen-Orient stricto sensu. De la même manière, utiliser l'expression «monde arabe» ne fonctionne pas parfaitement, les Turcs n'étant pas arabes. Retourner à l'article

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