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Italie: rondes noires et chemises grises (MàJ)

Le discours sécuritaire et les coupes budgétaires favorisent l'émergence de milices qui rappellent le passé de l'Italie.

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Le calme est revenu à Rosarno, petite ville de Calabre, au lendemain de violentes attaques contre des immigrés par la population locale. Le bilan de ces violences vendredi 8 janvier s'établit à 38 blessés, dont 20 étrangers et 18 policiers, selon l'agence de presse Ansa. Certains étrangers ont été frappé avec des barres de fer, d'autres ont été renversés volontairement par des voitures, d'autres essuyant des tirs de fusil. Deux blessés graves ont été comptabilisés, selon les services hospitaliers.

Les incidents ont débuté après des manifestations d'immigrés qui avaient dégénéré en affrontements avec la police. Jeudi soir, plusieurs centaines d'ouvriers agricoles, pour la plupart employés illégalement dans la région et provenant d'Afrique noire, avaient incendié des voitures et brisé des vitrines à coups de bâtons pour protester contre l'agression de plusieurs d'entre eux. A la suite de ces incidents nous republions un article de Cesare Martinetti, directeur adjoint de la Stampa, sur la multiplication en Italie de milices d'extrême droite qui rappellent les heures sombres de la Péninsule.

 

 

Les gardes du Pô ont été les premières. Ils portaient chemise verte, répondaient aux mots d'ordre du leader Umberto Bossi, et donnaient au peuple padane de la Ligue du Nord ce sentiment de sécurité que les agents de la police d'Etat n'étaient plus en mesure de lui procurer.

Puis sont venus les «city angels» déployés un peu partout dans les grandes villes du nord. Organisations dont on ne connaît bien ni l'origine exacte, ni la véritable finalité. Mais dans les métropoles du Nord (Turin, Milan, Gênes) elles arrangeaient bien les autorités locales: en patrouillant dans les villes la nuit, elles donnaient la sensation de pallier les manques de la sécurité et rassuraient les citoyens.

Et lorsque la droite de Berlusconi a repris les rênes du pouvoir en 2008, les paroles ont laissé place aux faits: les «rondes» sont arrivées. Petites cellules de police privée, idéologiques (comme dans le cas de la ligue du Nord), couvertes par une loi d'Etat qui instituait l'existence même des «rondes». Pas pour substituer la police, mais pour la seconder. Une aide, en somme, sur fond de privatisation des services, mais pas uniquement.

Les «rondes» sont devenues désormais une idée-force du gouvernement, semblant donner de la sécurité tout en suscitant de nombreuses interrogations dans la frange de l'opinion publique la plus sensible à l'essence de la démocratie. La sécurité est un bien précieux, mais le fait qu'elle soit garantie dans le respect des lois l'est tout autant. L'Italie est un pays qui a vécu le fascisme lequel a vu le jour avec les «chemises noires» de Benito Mussolini, des «rondes» aussi. Pas étonnant qu'une part non négligeable de l'opinion publique s'alarme de la présence de petites milices privées et affiliées à des partis politiques qui, la nuit, se promènent à travers les villes.

Il y a quelques jours, par exemple, on a découvert l'existence de la «Garde nationale italienne», aussitôt rebaptisée «rondes noires». Il s'agit d'une Onlus (organisation non gouvernementale) créée en marge du Mouvement social italien (MSI, le parti historique héritier du fascisme), forte d'environ 2.000 volontaires actuellement présents dans presque toute l'Italie, mais concentrés principalement au Piémont, en Lombardie, dans le Lazio, en Campanie et en Sicile. La «Garde» est un des bras du Parti Nationaliste italien naissant, dirigé par Gaetano Saya. Un homme politique qui a déjà été renvoyé devant la justice pour diffusion d'idées fondées sur la supériorité et la haine raciales.

La «Garde» dispose naturellement d'un uniforme: chemise grise ornée du symbole de l'aigle impérial romain, ceinture noire, cravate noire, pantalon gris à bande latérale noire, béret ou képi gris rehaussés eux aussi de l'emblème de l'aigle. Il y a aussi le casque, les 4X4 noirs, les gants de peau noire et une grosse torche, noire elle aussi. La plupart des volontaires déjà enrôlés sont des fonctionnaires des forces de l'ordre à la retraite. Surtout des carabiniers. Saya, le fondateur, a déclaré: «nous, nous ne sommes pas une milice idéologique, nous sommes même apolitiques». Saya considère que le fascisme est une idéologie du passé, anachronique, mais il tient à l'uniforme car il permet la reconnaissance des rondes et évite toute confusion avec la police.

«Un déconcertant délire» pour les opposants de centre gauche, surtout pour Marco Minniti, le bras droit de Massimo D’Alema, qui précise: « Et voilà que les chemises grises organisées par le MSI (Mouvement social italien) se joignent aux chemises vertes. L’idée que le contrôle du territoire puisse être confié à des associations, des milices qui s’identifient avec une couleur politique, est un coup au cœur des principes de toute démocratie libérale ».

Mais Silvio Berlusconi se moque de tous ces commentaires et persévère.«Les gens sont avec moi», continue-t-il à dire; et pour l'instant il a encore raison. L'idéologie sécuritaire qui émane de ces rondes est ainsi à son tour mise en valeur. Les délits n'ont cependant pas cessé, la criminalité a même augmenté cette dernière année sous Berlusconi. Pourtant, le sentiment de sécurité des citoyens s'est accru. Le Cavaliere, en campagne électorale, avait martelé, au delà de l'idéologie, le côté «social» de l'argument: les forces de police sont sur le point d'être décimées par les coupes dues aux économies. Un syndicat de police a fait les comptes: au cours des trois prochaines années, les effectifs de fonctionnaires de police diminueront de 4.000 unités, de même que les budgets consacrés à l'habillement et à l'entretien des moyens. Dans une telle situation, il est clair que les rondes sont utiles: elles suppléent aux coupes budgétaires et donnent un sens idéologique à l'action du gouvernement Berlusconi. Et enfin, pour quelques-uns, elles sont aussi un business.

Cesare Martinetti

Traduit de l'italien par Florence Boulin

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