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Ecologie: le problème de Delphine Batho, c'était sa nomination, pas son limogeage

On peut faire de l'ex-ministre de l'Ecologie, limogée mardi, une victime de l'autocratie misogyne, mais son sort sanctionne surtout un mauvais bilan, une provocation difficilement tolérable et le faible poids politique de son domaine dans l'esprit de l'Elysée.

Philippe Martin et Delphine Batho lors de la passation des pouvoirs au ministère de l'Ecologie, le 3 juillet 2013. REUTERS/Philippe Wojazer.
Philippe Martin et Delphine Batho lors de la passation des pouvoirs au ministère de l'Ecologie, le 3 juillet 2013. REUTERS/Philippe Wojazer.

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Le limogeage de Delphine Batho, mardi 2 juillet, est tout sauf scandaleux. A moins de croire à la fable d’une «faible femme» maltraitée par l’autocrate misogyne qui siègerait à l’Elysée. En réalité, le sort de la piètre ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l'Énergie était déjà scellé dans les hautes sphères bien avant son insolente sortie radiophonique.

La première raison pour laquelle l’éviction de l’ancienne protégée de Ségolène Royal est peu susceptible de plonger dans une affliction sincère les défenseurs de l’écologie est qu'elle était incontestablement une mauvaise ministre. Chacun sait que le casting de l’équipe gouvernementale de Jean-Marc Ayrault souffre de plusieurs ratés. On déplore généralement que le président de la République et son Premier ministre n’aient pas le courage de faire le ménage. On ne va pas ici leur reprocher de se séparer d’une ministre peu convaincante.

L’ancienne députée socialiste des Deux-Sèvres n’était pas une spécialiste des questions environnementales. Ce n’est nullement rédhibitoire: un ministre n’est pas un expert. Encore lui faut-il savoir apprendre et déléguer. Or, si les qualités de «bosseuse» de Batho sont reconnues, sa méfiance et son autoritarisme ont empêché la parole écologiste d’être portée dans de bonnes conditions.

En un an seulement, la ministre a usé trois conseillers en communication et un directeur de cabinet. Centralisant excessivement l’expression de son ministère alors même que lui manquait la compétence indispensable dans ces domaines souvent techniques, Batho péchait fréquemment par approximations et par manque de clarté. Elle n’a guère pris à partie l’opinion pour faire avancer ses dossiers contre les résistances de tous ordres.

La provocation de Batho

Cette personnalité peu sûre d’elle et cassante a également peu brillé dans les négociations au sein de l’Etat. Le projet de budget de son ministère pour 2014, affecté d’une des plus fortes baisses de crédits (-7%), en témoigne, même si certaines subtilités d’affichage la relativise. Curieusement, à en croire plusieurs témoignages émanant des allées du pouvoir, Batho n’aurait pas protesté contre le sort réservé à son département dans les conciliabules avant de le trouver subitement insupportable face aux micros.

On comprend mieux ainsi la colère du chef du gouvernement. Comment tolérer qu’une ministre condamne publiquement des arbitrages budgétaires qu’elle aurait acceptés? La provocation de Batho ne pouvait qu’entraîner sa chute. Et il est difficile de taxer Hollande d’autoritarisme dés lors que le président de la République était prêt à passer l’éponge pour peu que la ministre retire ses propos —ce qu’elle s’est refusée à faire.

D’aucuns ont pris à la défense de la ministre remerciée en observant qu’elle avait «dit la vérité». Un responsable politique sain d’esprit est certes parfaitement fondé à déclarer que «tout va mal», qu’«il y a une déception à l'égard du gouvernement» ou encore «un doute sur notre volonté de changement». Il vaut quand même mieux qu’il n’appartienne pas à ce même gouvernement. Si un ministre avait pour mission de «dire la vérité», cela se saurait.

La nomination d’une personnalité faible

En fait, c’est plutôt la nomination de Batho à la tête du ministère de l’Ecologie, en juin 2012, qui était une mauvaise nouvelle pour l’environnement. D’abord, parce qu’elle faisait suite à l’éviction —celle-ci tout à fait scandaleuse— de Nicole Bricq de ce même ministère. La malheureuse avait commis l’imprudence d’irriter Shell dans le dossier des forages pétroliers en Guyane.

Ce fort caractère, au demeurant passionné par les questions environnementales, fut alors significativement remplacé par une personnalité de faible poids politique. Ancienne syndicaliste lycéenne et militante à SOS Racisme, Batho n’est députée que depuis 2007, date à laquelle elle a hérité de la circonscription de Ségolène Royal, avec laquelle elle s’est fâchée depuis. Spécialiste des questions de sécurité au sein du PS, elle est arrivée à la tête du ministère de l’Ecologie sans connaissance ni conviction particulière dans ce domaine.

Ce choix n’est sans doute pas innocent. Au cours de ce remaniement, l’Ecologie était passé de la huitième à la dixième place dans l’ordre protocolaire des ministères. Tout se passe comme si Hollande, par ailleurs désireux de caser une protégée de son ancienne compagne, avait cherché une personnalité qui ne lui poserait pas problème dans un secteur sensible dont il se méfie.

Les ministres de l’Ecologie n’ont jamais la partie facile. Privés d’une administration dédiée installée de longue date au cœur de l’Etat, aux prises avec des lobbies économiques et des réseaux technocratiques puissants, ils doivent impérativement compter sur leurs ressources personnelles.

Ne peuvent ainsi agir avec quelque efficacité que les ministres doté d’un réel poids politique, tels Dominique Voynet ou Jean-Louis Borloo. Ou, dans une moindre mesure, ceux qui sont passionnés par leur sujet et gagnent parfois des arbitrages à l’usure, comme Corinne Lepage ou encore Nathalie Kosciusco-Morizet.

Hollande le productiviste

Batho n’appartenait à aucune de ces deux catégories et Hollande le savait parfaitement. Or, si l’actuel chef de l’Etat a prononcé des discours sur la «transition énergétique» au cours de sa campagne, il n’est pas porté par des convictions écologiques aiguës. Sur cette question, de vraies différences l’opposaient à Martine Aubry dans le débat des primaires. L’ancien maire de Tulle n’avait pas manqué de prendre ses distances avec l’accord PS-EELV négocié sous la houlette de la première secrétaire.

Hollande sous-estime la profondeur de la mutation du modèle économique imposée par la crise et par les contraintes environnementales. Prisonnier d’un univers mental hérité de sa formation d’énarque dans les années soixante-dix, il continue à croire au retour de la «croissance» comme remède à tous les maux.

Si Ayrault, en tant que maire de Nantes, est sans doute plus sensible aux questions environnementales, c’est surtout en termes de qualité de vie. Sa défense acharnée de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est révélateur de son attachement à un type de développement de plus en plus contesté.

Voilà pourquoi on ne peut que souhaiter bon courage à Philippe Martin. Le nouveau ministre de l’Ecologie s’est certes fait connaître par plusieurs combats écologistes, notamment contre les OGM. Mais ces faits d’armes ne sauraient masquer que le président du conseil général du Gers n’est guère une pointure politique.

Si le productiviste Arnaud Montebourg peut impunément rouler des mécaniques, c’est en brandissant le souvenir du demi-million d’électeurs de gauche qui l’ont soutenu lors des «primaires citoyennes». L’écologie risque fort de rester un maillon faible dans le jeu gouvernemental.

Eric Dupin

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