France

La petite histoire des secrétariats d'Etat gadgets

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Un remaniement ministériel, c'est bien sûr des noms, mais aussi des intitulés. Au milieu du grand jeu de chaises musicales entre pontes de la majorité du 23 juin, Nicolas Sarkozy a glissé quelques subtilités sémantiques qui ne manquent pas de sens politique.

Huit portefeuilles ont changé de nom. Quatre autres portefeuilles ont été créés ex nihilo. Michel Mercier devient ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire, Valérie Létard est promue secrétaire d'Etat aux Technologies vertes et aux Négociations sur le climat. Nora Berra entre au gouvernement en tant secrétaire d'Etat aux Aînés. Et enfin Jean-Marie Bockel devient secrétaire d'Etat aux Prisons (même si cet intitulé n'est pas publié au Journal officiel).

Ces quatre créations de poste rentrent dans la longue lignée des portefeuilles d'opportunisme, directement liés à l'actualité et censés incarner les nouvelles priorités du gouvernement. Une pratique que Nicolas Sarkozy désapprouvait dans un discours sur les institutions le 5 avril 2006: «Les modifications incessantes du périmètre des ministères, en fonction des modes ou des équilibres politiques, perturbent le bon fonctionnement des administrations et aggravent leur tentation séparatiste, car leur mémoire et leur identité ne dépendent plus de leur ministère de rattachement, mais de leur existence propre». Mais tous les gouvernements ont succombé à cette tentation. Revue de l'innovation ministérielle sous la Ve République.

Années 50: Le ministère du Sahara se perd dans les sables

Le premier gouvernement de la Ve République fait la part belle au problème colonial alors extrêmement sensible. L'Algérie est en pleine guerre civile et le gouvernement Debré reconduit un portefeuille créé en 1957: le ministère du Sahara et des DOM-TOM. Le Sahara était devenu subitement un enjeu stratégique depuis que deux importants gisements de pétrole y avaient été découverts et qu'une structure administrative (l'OCRS) y avait été créée pour développer le commerce. L'indépendance algérienne en 1962 rendit l'initiative caduque et le ministère du Sahara disparut dans les sables.

Années 60: Pompidou et ses «problèmes»

Georges Pompidou traverse les années 60 avec une grande sobriété dans l'intitulé de ses ministères. Mais vers la fin de la décennie, le Premier ministre de Charles de Gaulle se rend compte que la France a des problèmes. 1968 — et la déferlante des baby-boomers qu'il faut éduquer et loger — va passer par là. Pour les exorciser, il créera en 1967 et 1968 deux secrétariats d'Etat à la lettre de mission transparente: le secrétariat d'Etat aux problèmes de l'Emploi et le secrétariat d'Etat aux problèmes du Logement. Miracle en 1969 avec le gouvernement Chaban-Delmas: les «problèmes» semblent réglés et la question de l'«Emploi» n'apparaît même plus au casting. Mais le gouvernement a un nouveau souci: «la protection de la nature et de l'environnement», qui obtient pour la première fois un portefeuille.

Années 70: l'écologie ne trouve pas sa place

La tendance du moment: l'environnement et les hippies, le retour à la terre... Pour la première fois, un candidat écologiste se présente à une présidentielle. Mais la question de la protection de l'environnement, encore mal appréhendée, va être balancée de ministères en ministères au cours de la décennie. En 1973, lors de son troisième gouvernement, Pierre Messmer invente un curieux portefeuille associant les Affaires culturelles et l'Environnement. Quelques mois plus tard, Jacques Chirac ne fera pas beaucoup mieux en noyant l'écologie dans un ministère fourre-tout de la «Qualité de vie» qui englobe aussi la Jeunesse, les Sports et le Tourisme. En 1977, Raymond Barre ressuscite l'association Culture et Ecologie, avant de reculer et d'inventer en 1978 un nouveau ministère, celui de l'Environnement et du Cadre de vie.

La principale innovation des années 70 tient dans le portefeuille confié par Jacques Chirac à Françoise Giroux, la Condition féminine. La journaliste justifiait son secrétariat d'Etat en expliquant que «les femmes sont une catégorie à part et ce qu'il faut arriver à faire justement, c'est qu'elles cessent de l'être». Mais c'est Simone Veil qui portera à bout de bras la loi sur l'IVG. Giroud n'ira pas au bout de sa tâche et sous diverses appellations (notamment «Droits de la femme»), ce secrétariat d'Etat tiendra jusqu'au gouvernement Bérégovoy en 1993 avant de disparaître, et de faire une dernière pige entre 1998 et 2002. La notion de «droit de la femme» sera noyée dès 2002 dans le concept vague de «parité».

Années 80: Temps Libre et «French doctors»

Le ministère gadget des années 80, emblématique des années Mitterrand, est celui du «Temps Libre», un portefeuille réunissant la Jeunesse, les Sports et le Tourisme. Inspiré par l'idéologie du Front Populaire des années 30, ce ministère entend «conduire par l'éducation populaire, une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps». La notion de Temps Libre est raillée par les médias et le portefeuille disparaît dans l'hilarité générale en 1983.

Au rang des innovations éphémères, Laurent Fabius inventera en 1984 le secrétariat d'Etat à la Prévention des risques naturels et technologiques majeurs. Un intitulé à rallonge qui permettait d'intégrer au gouvernement le populaire vulcanologue Haroun Tazieff. Autre idée vite abandonnée: le secrétariat d'Etat à l'Economie sociale qui entendait développer les coopérations et autres mutuelles.

Et quand on n'a plus d'inspiration, on crée des secrétariats d'Etat à rien. En 1988, Tony Dreyfus est nommé tout simplement «secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre». Dans un de ses discours, il illustre lui-même l'incongruité du poste: «Etant un ministre sans portefeuille, il m'arrive d'accomplir des tâches que je n'avais pas prévues. Aujourd'hui il s'agit de remettre la Coupe du français des affaires...». Mais rendons-lui justice: les secrétaires d'Etat sans attribution étaient légion dans les années 60-70.

Bernard Kouchner fait son entrée au gouvernement en 1988 au poste taillé sur mesure de secrétaire d'Etat à l'Action humanitaire. La conscience humanitaire en France, qui date du conflit au Biafra en 1967, trouve enfin une prolongation institutionnelle. En 1995, symboliquement, c'est un autre French doctor, Xavier Emmanuelli qui occupera le poste avant qu'il disparaisse définitivement.

Années 90: Les «Jupettes» et Fillon au Minitel

En terme d'innovation ministérielle, les années 90 sont évidemment marquées par la création d'Alain Juppé, les «Jupettes», ces ministres jetables — peut-être censées remplacer le secrétaire d'Etat aux Droits de la femme alors porté disparu. Elles étaient 12 femmes lors du premier gouvernement en mai 1995, elles ne sont plus que 4 lors du remaniement en novembre 1995. Dans ce grand ménage, deux portefeuilles gadget disparaissent: le ministère de la Solidarité entre les générations et le secrétariat d'Etat aux Quartiers en difficulté (une problématique qui devient très sensible à cette période: la France a découvert les quartiers dits sensibles en créant pour Bernard Tapie un ministère de la Ville).

A signaler au crédit d'Alain Juppé ce portefeuille rétrospectivement très drôle attribué à François Fillon: le ministère des Technologies de l'Information et de la Poste. On comprend mieux pourquoi Fillon se présente aujourd'hui comme un «geek», il a été le ministre du Minitel et de l'Internet très bas-débit.

Lionel Jospin ne plaisantait pas trop avec les attributions de ses ministres. Sa seule tentative d'innovation se résume dans la création d'un secrétariat d'Etat à l'Économie solidaire. Ce portefeuille, taillé pour ses alliés Verts, entendait fournir la «boîte à outils» nécessaire aux associations et aux entreprises voulant «innover». Un concept très bobo qui ne passera pas l'alternance.

Années 2000: La diversité, c'est gadget

Au tournant du siècle, la diversité devient un sujet sensible et les gouvernements successifs intègrent la contrainte dans leur casting. Mais, en dehors de Rachida Dati, les ministres issus de la diversité sont souvent relégués à des postes subalternes. Trois portefeuilles baroques créés dans les années 2000 ont été occupés par des personnalités étendards de la diversité: Tokia Saïfi, secrétaire d'État au Développement durable, Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l'Égalité des chances et bien sûr Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme.

La disparition de ce poste lors du dernier remaniement a eu un grand retentissement médiatique. Mais on a un peu vite oublié que le secrétariat d'Etat aux Droits de l'homme a été inventé par... Jacques Chirac en 1986. Un poste alors beaucoup moins encombrant car rattaché au Premier ministre et non aux Affaires étrangères comme l'était Rama Yade.

Vincent Glad

(Photo: Le nouveau gouvernement devant le Palais de l'Elysée le 24 juin 2009, REUTERS/BenoitTessier)

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