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Réélection, gros mot latino

La situation au Honduras pose une question qui dépasse les frontières de ce pays d'Amérique centrale. La réélection est-elle compatible avec la démocratie?

Temps de lecture: 2 minutes

Coup d'Etat, putsh militaire, complot, enlèvement, pour les uns; respect de l'ordre constitutionnel, défense de l'Etat de droit, décision judiciaire, pour les autres. Le Honduras vit depuis 48 heures dans la confusion la plus totale. Et semble isolé sur la scène internationale. A 5h30 du matin, le dimanche 28 juin, des militaires, agissant sur ordre de la justice, ont littéralement sorti du lit le président de la République, Manuel Zelaya, l'ont arrêté et l'ont expulsé vers le Costa Rica. Encore un putsh dans un pays latino? Pas exactement. Une chose est sûre, le pays est plus divisé que jamais. Tout est parti d'un référendum que souhaitait organiser le chef de l'Etat afin de mettre en place, si le vote lui était favorable, une assemblée constituante chargée de modifier la constitution et d'autoriser la réélection du président.

Réélection, le (gros) mot est lâché. Dans un continent marqué par les coups d'Etat et les dictatures militaires, le sujet du maintien au pouvoir à la tête d'un pays après un ou deux mandats reste délicat. Le Honduras connaît là son cinquième soulèvement militaire depuis 1956. Et détient depuis dimanche dernier la palme du premier putsh en Amérique centrale depuis la fin de la guerre froide. Les débats autour de ce thème restent donc sensibles.

Norme

«Dans le monde démocratique, la réélection n'est pas un problème», déclarait récemment Georges Couffignal, directeur de l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine. Mais à chaque fois qu'elle a été remise au goût du jour, celle-ci a provoqué d'intenses échanges. Pourtant, elle semble être devenue la norme dans la région. La réélection devient une pandémie dans le paysage politique de l'Amérique latine. De plus en plus de chefs d'Etat tentent de prolonger leurs mandats. Les constitutions de 14 des 18 pays latino-américains permettent désormais à ces dirigeants d'être réélus», constate l'hebdomadaire colombien Cambio. Seuls le Guatemala, le Paraguay, le Mexique et le Honduras ne permettent pas à leur chef de l'Etat de se représenter pour un second mandat.

Dans certains de ces pays, la Constitution semble, aux yeux du peuple, avoir valeur de texte sacré. Y toucher est quasi interdit. Or, réélire un président ne signifie pas systématiquement mettre en place une dictature. Pourquoi donc la réélection a-t-elle une si mauvaise réputation? Peut-être parce que l'homme qui l'a initié sur le continent porte le nom d'Hugo Chávez... Le président du Venezuela, en février dernier, a remporté un référendum qui autorise la réélection indéfinie. Après dix ans au pouvoir, il pourra se représenter tant qu'il le souhaite. Evo Morales, en Bolivie, a également modifié la constitution, qui permet dorénavant de se représenter une fois.

Bonne et mauvaise réélection

Au Brésil, Lula n'a plus le droit de briguer un troisième mandat. Mais ses partisans commencent à se demander s'il ne devrait pas proposer une réforme allant dans le sens d'une réélection indéfinie et non limitée. Au Nicaragua, l'ex-guerillero Daniel Ortega, qui était contre la réélection quand il était dans l'opposition, la jugeant «nocive pour la démocratie», a changé d'idée. «Je ne sais pas pourquoi la réélection fait si peur, il faut laisser le peuple décider», a-t-il récemment déclaré, laissant entrevoir une éventuelle modification de la constitution. Les exemples sont encore nombreux.

L'influent analyste politique Andrés Oppenheimer, qui publie une tribune hebdomadaire dans le quotidien El Nuevo Herald de Miami, parle d'un «club des présidents autoritaires et d'un démantèlement de la démocratie qui a lieu au Venezuela, en Equateur, en Bolivie, au Nicaragua, et au Honduras.» Bizarrement, que des gouvernements de gauche. Y aurait-il alors une bonne et une mauvaise réélection? La Colombie d'Alvaro Uribe, comme par hasard, ne fait pas l'objet d'éditoriaux ou d'analyses pointant du doigt les dangers supposés d'un président réélu ad vitam eternam. Pourtant, Uribe a déjà modifié la constitution pour pouvoir se représenter et il est question d'une nouvelle réforme lui permettant de rester au pouvoir, s'il est élu bien sûr.

La réélection d'un président de droite, allié des Etats-Unis, serait-elle moins dangereuse que celle d'un président de gauche soutenu par Chávez?

Marc Fernandez

Image de une: La police charge des manifestants pro Zelaya. Edgard Garrido / Reuters

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