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Iran: un Président modéré comme Rohani, ça peut changer quoi?

Hassan Rohani, élu dès le premier tour avec 50,68% des suffrages, succède à Mahmoud Ahmadinejad. Lors de sa campagne, il a promis d'apaiser les tensions avec l'Occident. Et qu'en sera-t-il pour la société iranienne?

Supporter d'Hassan Rohani samedi soir à Téhéran. REUTERS/Fars News/Sina Shir
Supporter d'Hassan Rohani samedi soir à Téhéran. REUTERS/Fars News/Sina Shir

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Il y a quatre ans à Téhéran, une amie m'avait montré sa collection de manteaux, sortes d'uniformes avec lesquels les femmes peuvent se balader dans l'espace public puisqu'ils n'exposent pas leur corps aux regards masculins. Nostalgique, mon amie avait gardé dans son armoire ses «manteaux Khatami» comme elle les surnomme, ceux qu'elle pouvait encore porter à l'époque du président réformateur, entre 1997 et 2005. Plus courts, plus serrés et plus colorés que son dress code «Ahmadi» ample et plutôt noir.

Aujourd'hui, je me demande si elle ne va pas ressortir le modèle Khatami du placard. Car Hassan Rohani [Rouhani, dans sa translittération anglosaxonne, NDLE], élu samedi nouveau président de la République islamique d'Iran avec les voix des électeurs réformateurs, possède quelques points communs avec Mohammad Khatami. Comme lui, c'est un religieux. Comme Mohammad Khatami, il suscite l'engouement populaire dans les grandes villes. Peut-on déjà comparer son élection à celle de Khatami qui avait alors emporté l'élection présidentielle en 1997 avec 70% des voix, grâce au soutien de la jeunesse et des femmes, avant d'être réélu en 2001?

Pour la jeunesse de Téhéran, qui vit sous la pression des codes traditionnels et islamiques au quotidien et dans le souvenir du mouvement de 2009 violemment réprimé par le pouvoir, cette élection est déjà à un bol d'air frais. Les 18,6 millions d'Iraniens qui ont voté Rohani attendent beaucoup de cette future présidence. Et les scènes de liesses dans les rues de Téhéran la nuit dernière en disent long sur l'espoir soulevé par cette élection.

 «Parfois les rêves se réalisent», écrit ce jeune Iranien sur Instagram pour accompagner cette photo qu'il a prise à Téhéran.

Samedi soir à Téhéran, mêlés au cris de joies et aux klaxons, on entendait des jeunes gens chanter «Ahmadi bye bye!»

Sur Facebook, vers 20 heures, un jeune Iranien de Toronto postait cette vidéo envoyée par son cousin de Téhéran, dans laquelle les jeunes supporters du nouveau Président rendent hommage à Neda Agha-soltan, cette jeune manifestante iranienne dont la mort en direct le 20 juin 2009 avait fait le tour du monde. Samedi soir à Téhéran on pouvait entendre ceci:

«C'est le printemps de la liberté, Neda tu es à nos côtés»

Autre source d'espoir, Hassan Rohani est un des seuls à avoir parlé de la place des femmes pendant sa campagne, on les voit très largement dans son clip de électoral. Ce qui tranche avec la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), période au cours de laquelle on a vu s'intensifier les «plans de lutte contre les mal-voilées» avec la multiplication des Gasht Ershad –forme de brigades de police spécialisées dans la surveillance des bonnes mœurs vestimentaires. Souvent sans succès d'ailleurs, puisque celles qui n'adhèrent à pas ces contraintes vestimentaires rivalisent d'ingéniosité pour les détourner (manchettes rétractables, voile décapotable...).

Si le futur Président iranien respecte ses promesses de campagne, il irait plutôt dans le sens d'un relâchement du contrôle vestimentaire des femmes, et davantage de libertés dans d'autres domaines qui touchent à la jeunesse, sans pour autant remettre en cause le système, comme l'explique Clément Therme, chercheur associé à l'EHESS: 

«Rohani s'est prononcé pour la fin de l'ambiance sécuritaire qui règne au sein des Universités, un peu plus de liberté de parole au sein des cours, moins de pression sur le choix des professeurs autorisés à enseigner (…) Il a dénoncé la prise d’importance de l’appareil sécuritaire sans remettre en cause le système. Il voudrait renforcer la participation de la population au système.»

Azadeh Kian, professeur de sociologie à l'Université Paris VII et spécialiste de l'Iran expliquait que Rohani, qui avait fait ses études à l'étranger [Université calédonienne de Glasgow en Ecosse] est «beaucoup plus ouvert que les autres candidats en ce qui concerne l'égalité entre les sexes (...) Contrairement à Ahmadinejad qui avait une politique belliqueuse. Rohani sera un président qui n'aime pas les violences ni les tensions (…) Avec cette situation apaisée à l'intérieur du pays, les femmes iraniennes pourront d'avantage défendre leur droits».

Priorité à l'économie

Si on peut espérer que l'Iran de Rohani se dirige vers davantage de libertés, c’est aussi sur le terrain de l’économie qu’il sera attendu. La préoccupation principale des Iraniennes n'est plus de savoir quel manteau elles vont porter demain, mais plutôt comment elles vont finir le mois, voire la journée. Leur pouvoir d'achat a été sévèrement touché par une inflation record à 30% avec des pics allant jusqu'à 50%, voire plus pour certains produits de base comme le poulet dont le prix a presque triplé. Une situation telle qu'un des patrons de la police iranienne avait demandé à la télévision nationale de ne plus diffuser de films montrant des repas où figure du poulet, par crainte de susciter trop d'envie.

«Normalement les questions de politiques internationales sont secondaires dans une campagne mais cette fois, elles ont pris beaucoup d'importance parce qu'elles sont liées aux enjeux économiques. Les négociations nucléaires déterminent la levée ou non des sanctions internationales qui jouent sur l'inflation», explique Clément Therme.

Et dans ce domaine Hassan Rohani a marqué les esprits lors du second débat télévisé entre les candidats, durant lequel il s'en est farouchement pris à l'ultraconservateur Saïd Jalili, actuel négociateur de l'Iran pour le dossier nucléaire et favori supposé du Guide suprême Ali Khamenei. La fermeté de l'équipe Jalili durant ces négociations a provoqué un durcissement des sanctions internationales contre l'Iran.

Premier signe d'apaisement et d'espoir, depuis l'annonce des résultats partiels et avant même la confirmation des résultats officiels de l'élection, dans la journée du samedi 15 juin, le rial a pris de la valeur, avec une hausse de 9% sur le dollar.

Vers le «modèle chinois»

Sous la présidence du réformateur Khatami, le pays avait connu une période d'effervescence artistique et de liberté pour la presse et les maisons d'édition, avec un certain recul de la censure. Hassan Rohani a dit vouloir s'engager vers une libéralisation du champs culturel mais il faut noter qu'il n'est pas réformiste, juste un conservateur modéré, comme le rappelle Clément Therme:

«Rohani n'appartient pas à la même école de pensée de Khatami et les réformateurs. Il est membre du Kaargozaaraan-e Saazandegi [association des cadres de la reconstruction], dans la lignée de Rafsanjani qui donne la priorité à l'ouverture économique, surtout dans ce contexte économique de récession. Il souhaite aller vers un “modèle chinois”. C'est une différence avec les réformistes qui sont intéressés d'abord par les droits de l'homme islamiques et l'évolution culturelle. Rohani n'a pas cette priorité, il veut obtenir une levée graduelle des sanctions économiques avant tout le reste.»

Pourtant, durant sa campagne, le candidat Rohani a bien promis qu'il n'y aurait plus de prisonniers politiques. Osera-t-il aller jusqu'à demander la libération de Mir Hossein Moussavi et de Mehdi Karoubi? Les deux candidats malheureux à l'élection présidentielle de 2009 sont en résidence surveillée depuis plus de 800 jours.

Le Guide reste au dessus

Quel qu'il soit, la marge de manœuvre du président iranien reste assez limitée. Hassan Rohani ne peut pas donner d'ordre de libération de prisonniers, au risque de décevoir ses soutiens réformateurs. Entre 1997 et 2005, le président Khatami n'a même pas pu empêcher la fermeture par la justice, entre les mains des conservateurs, de dizaines de journaux nés sous son mandat. Il n'a pas fait grand-chose non plus face à la répression des protestations étudiantes de 1999 et les meurtres de plusieurs figures intellectuelles proches de son courant.

L'autre domaine qui reste très clairement entre les mains du Guide suprême Ali Khamenei, c'est le nucléaire. Le nouveau président iranien connait bien ce dossier puisqu'il a occupé le poste de négociateur en chef du dossier nucléaire pour Téhéran entre 2003 et 2005, avant d'en être écarté par Mahmoud Ahmadinejad.

Sur ce point, sa marge de manœuvre est limitée par sa fonction: il est l'équivalent d'un Premier ministre vis-à-vis de son Président en France. Comme le souligne Clément Therme, il peut tout de même apaiser les tensions diplomatiques avec les Occidentaux:

«Il aura certainement un rôle à jouer en tant que représentant de l'Iran dans le monde, le Guide ne pouvant pas voyager. L'élection de Rohani pourrait alors faciliter le dialogue avec l'Occident, tandis que d'autres candidats dont Saïd Jalili qu'on disait favori du Guide avait un discours belliqueux comme Ahmadinejad.»

Un nouvel espoir

Il y a quatre ans, le mouvement vert avait échoué politiquement et samedi, après quatre ans de frustration et d'amertume, les supporters de la vague verte ont savouré leur revanche. L'élection de Rohani marque une vengeance sur les ultraconservateurs qui n'ont rassemblés que très peu de votants (6,07 millions de voix pour Ghalibaf, 3,17 millions pour Jalili). Mais elle est d'abord une victoire pour le Guide suprême qui s'est réjoui du taux de participation à 72%. Et grâce à l'adhésion très large autour du nouveau Président, le régime en sort renforcé. 

Les élites politiques de la République islamique, déçues par Ahmadinejad, se sont repliées sur elles-mêmes depuis 2009. Rouhani peut créer un véritable consensus autour de lui, des réformateurs aux conservateurs modérés. Il a la capacité de remobiliser les racines de la Révolution islamique, les grandes figures qui avait été déçues par les années Ahmadinejad. Les conservateurs sortent affaiblis, mais le régime sort renforcé de ces élections.

Ce qui peut expliquer pourquoi ce dimanche matin, sur son compte Twitter, le Guide suprême se réjouit de l'enthousiasme suscité par cette élection:

Une union importante et peut-être nécessaire à la survie du régime iranien à un moment où la guerre en Syrie, les hostilités contre les chiites et les tensions avec les Occidentaux menacent plus que jamais le pouvoir de Téhéran.

Bahar Makooi 

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