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Le 6 juin 1998, une brunette échevelée, fumant comme un sapeur et outrageusement sexuée fait son apparition sur le petit écran d’HBO. Carrie Bradshaw, l’héroïne narratrice de Sex and the City, et son trio de copines vont alors subir les modes, draguer, tomber amoureuses, se faire larguer, pleurer et bruncher pendant 94 épisodes.
Inventif, cru, drôlissime, Sex and the City a marqué le monde des séries pour filles (même si les mecs adorent aussi, sans l’avouer, ces confessions féminines débridées). Les six saisons labourent ainsi la thématique du célibat jusqu’au jour où les donzelles rentrent dans le rang (monogame ou matrimonial), laissant le champ libre à l’étape suivante, la vie de famille, qui sera le terreau d’une autre grande série féminine, Desperate Housewives.
Alors que Carrie Diaries (une série préquelle de l’adolescence de l’héroïne) est en cours de diffusion aux Etats-Unis (sur CW et non HBO), essayant de surfer sur la vague teen initiée par Gossip Girls, Sex and the City demeure LA série des trentenaires (elles sont rares) et elle n’a rien perdu de son mordant. Malgré deux adaptations cinéma décevantes car trop puritaines et «brandées», la vie extravagante des quatre new-yorkaises sur le petit écran se déguste toujours avec plaisir depuis le «Once upon a time» initial, comme tout bon conte de fées. Que reste-t-il, quinze ans, après de la déferlante Sex and the City?
1. Qui a le plus d’aventures?
Comme son titre l’indique, la série s’intéresse tout particulièrement au sexe. En cette fin de siècle, les rapports homme/femme n’ont plus grand chose à voir avec les décennies qui précédent. Les vieilles filles trentenaires vues d’un mauvais œil quelques années auparavant sont devenues au tournant du millénaire des working girls indépendantes, financièrement et professionnellement accomplies, assumant pleinement leurs désirs et leurs fantasmes.
Miranda Hobbes (Cynthia Nixon), la rousse, brillante avocate au physique passe-partout, Charlotte York (Kristin Davis), la jolie brune coincée de Park Avenue, galeriste à succès, Samantha Jones (Kim Cattrall), la blonde incendiaire, public-relation délurée et cynique, et Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker), la fille à crinière, journaliste et shoe-addict forment un quatuor d'héroïnes à la fois différentes et complémentaires. Elles incarnent à elles quatre le portrait-robot d’une génération émancipée pour qui le sexe est un jeu, un passe-temps, un juste retour des choses, où le mâle n’est plus si dominant et peut aisément devenir le sex-toy de ces dames. Et au jeu de l’amour physique, la série n’a pas froid aux yeux.
La palme de la croqueuse ultime revient haut la main à Samantha, sorte de macho obsédé du cul dans un corps de bombe platine, avec 40 mecs au compteur. Si Sam enquille en moyenne un mec tous les 2-3 épisodes, la saison 3 marque sa suprématie sur ses copines. Pas moins de 15 hommes en 18 épisodes (elle s’envoie même en l’air avec deux partenaires différents dans l’épisode 8) viennent se rajouter à son tableau de chasse déjà bien rempli.
Quant à Carrie, Charlotte et Miranda, elles se partagent équitablement les mâles new-yorkais, avec 19 conquêtes chacune au long des six saisons. Avec une aventure tous les cinq épisodes en moyenne, elles alignent donc 57 pénis à trois, à peine plus que Samantha toute seule!
Cet équilibre sexuel est-il une coïncidence ou une façon pour les scénaristes de ne pas départager les concurrentes, Jones étant hors concours vu la prédation qu’elle exerce dans les rues de Manhattan? Mystère…
Mais cette apparente égalité cache des disparités. Charlotte, la gentille fille qui aime les petits chiens et les imprimés vichy, se tape tout de même 19 prétendants en deux saisons, occupée dans les autres à se marier (deux fois) et à divorcer, ce qui la ramène à une moyenne très honorable. Une chaudasse se cache-t-elle à Park Avenue?
Quant à Carrie, amoureuse de Mr Big (John pour les intimes, qui auront tenu jusqu’aux dernières secondes du dernier épisode de la série pour découvrir son patronyme), elle multiplie les réchauffages avec son milliardaire à limo, ce qui, évidemment, fausse la donne. Miranda, elle, n’explose pas plus les compteurs que ses consœurs, mais elle confesse son nombre magique (42) ce qui la place d’office loin derrière Samantha!
2. Les conseils cul sont-ils exhaustifs?
Qui dit sexe et personnages féminins dit confessions intimes, conseils salaces et anecdotes croustillantes. Pour tous les hommes qui se sont un jour demandés de quoi pouvaient bien parler des copines loin des oreilles masculines, Sex and the City est une mine d’or.
La bande de Carrie pourrait aisément animer un télé-achat classé X, tant tous les colifichets de sex-shop ont été testés par le quatuor. En tête évidemment, le vibromasseur lapin, devenu un hit dès sa présentation laudative par les personnages.
Mais les filles ne sont pas arrêtées à ce grand classique, aujourd’hui parfaitement admis dans la société. Les faux tétons (popularisés par Victoria Beckham), le string à perles (qui transforme une course dans l’escalier en montée au septième ciel), la balançoire (accessoire un poil encombrant mais apparemment très efficace, aussi présent dans un épisode de Desperate Housewives) et surtout le gode-ceinture (outil vanté par Samantha lors de son aventure lesbienne) ont droit à un épisode.
Outre les gadgets érotiques, les pratiques sexuelles sont elles aussi listées tout au long des six saisons. Le lesbianisme donc, mais aussi la sodomie (par l’entremise du personnage de Charlotte), le dirty talk (péché mignon de Miranda), les plans à trois, la golden shower ou la fellation (et son dommage collatéral, l’éjaculation faciale) ont droit à leur quart d’heure de discussion. Les pour et les contre, les avantages et les inconvénients, rien n’est laissé au hasard.
Quant à l’évolution des mœurs, elle trouve aussi un écho très contemporain dans l’évocation du principe du fuck friend, de l’épilation totale, du Viagra, du speed dating ou encore de la sex tape.
Rarement une série grand public s’est autorisée une telle liberté de parole (et d’images, les seins des actrices, exceptés ceux de Sarah Jessica Parker, ayant eu leur passage télé, sans compter le full frontal de Kim Cattrall). Malheureusement, malgré cette bonne volonté évidente à parler sexe ouvertement et sans tabou, la représentation de l’acte demeure plan-plan. Les filles jouissent trop souvent pour être honnêtes, quelques allers-retours et l’affaire est dans le sac.
Si on peut considérer Samantha comme une orgasmique vaginale, statistiquement il est peu probable que les quatre amies soient aussi dans ce cas de figure. Et pourtant le coït persiste à ressembler à l’alpha et l’omega de toute partie de jambe en l’air. Une vision finalement très masculine pour une série officiellement girly.
3. Et la mode dans tout ça?
L’autre mamelle de Sex and the City, c'est son rapport à la mode. Véritable défilé permanent, bourrée de placements de produits, la série a démocratisé bon nombre de marques, principalement de chaussures (Ugg, Manolo Blahnik ou Stuart Weitzman ont agrandi le cercle de leurs aficionadas à l’international grâce à Carrie et ses copines).
Tapant dans le haut de gamme (Prada, Dior, Hermès), les quatre new-yorkaises incarnent les fashion-victims absolues. Claquant toutes ses piges en sacs à main et robes de cocktail, Carrie est le plus souvent fauchée (mais bien fringuée), alimentant le cliché des femmes dépensières et superficielles.
L’intelligence de la série se trouve dans la distribution de ces clichés. Si Carrie est une accro à la mode, prête à tout pour une paire d’escarpins (la frivole décérébrée), Miranda, elle, se présente comme une intello loin de ces considérations matérialistes. En dispersant les «tares» supposément féminines sur ses quatre héroïnes, Sex and the City évite le trop-plein de lieux communs et garde son parfum scandaleux et iconoclaste.
Toutefois, toute victime de la mode peut faire des faux pas, et Carrie Bradshaw ne fait pas exception à la règle. Le look caillera bling-bling (grosse chaîne en or de rappeur autour du cou) sent le has-been à plein nez (certaines diraient même le never been). Et que dire du bandana (ostracisé depuis le milieu des années 1980), du sac banane (kitsch à souhait, particulièrement lorsqu’il est rose pailleté), de la chemise dévoilant le nombril (so Britney Spears version teenager) ou encore d’un leitmotiv visuel de la série, à savoir le collier nominal!
Ces nombreuses incartades vestimentaires datent implacablement la série dans les années 1990 (pas la meilleure décennie niveau look) et amoindrissent la portée de leader de tendance de Carrie. Mais soyons charitable, la plupart des tenues de la demoiselle frôlent le génie, si l’on admet crédible d’être en robe bustier 365 jours par an à New York.
Etrangement, les tenues, en parallèle de l’évolution de la popularité du show, ont progressivement migré d’une allure trendy et excentrique à une touche «haute couture», du plus bel effet, mais clivante pour les pauvres spectatrices, incapables de rivaliser. De modèle à copier, Carrie est devenue une icône qu’on admire, loin, trop loin de ses admiratrices.
Mais la mode ne se résume plus depuis longtemps aux seuls vêtements. L’air du temps est aussi palpable dans les habitudes des personnages et un exemple particulier éclaire parfaitement ces modifications sociétales.
Dès le pilote, l’héroïne est identifiable par le nuage de fumée qu’elle déroule derrière elle. Pendant trois saisons, Bradshaw aligne clope sur clope, fume au réveil et dans les restaurants, bref assume son vice avec panache. Cependant, le succès de la série a sans doute obligé les scénaristes à abandonner cette mauvaise habitude et, au tournant de la troisième saison, la jeune femme arrête de fumer, cassant son image «sulfureuse» de nicotine addict.
Autre évolution, l’apparition du portable. Véritables acharnées du téléphone, les quatre copines passent leur temps accrochées au combiné filaire de leur appartement ou stationnées dans une cabine téléphonique.
Mais les temps changent et l’arrivée sur le marché des téléphones mobile modifie profondément leur rapport à la ville. Du indoor, on passe à l’extérieur et surtout au mouvement. Le statisme des séquences de blabla entre filles est remplacé par des déambulations urbaines, plus vivantes et nettement plus contemporaines pour les spectateurs d’aujourd’hui.
Le passage du temps s’immisce dans d’autres détails (les changements d’ordinateurs de Carrie, qui permettent de suivre l’avancée des designs Apple) et parfois marque profondément la série, comme la disparition des Twin Towers, présentes dans le générique original mais qui disparaissent au cours de la saison 4 (entre l’épisode 12 et 13) pour laisser place à une skyline redessinée.
4. Who’s Who?
Comme toute série qui rencontre le succès, Sex and the City a invité quelques stars à se joindre au casting, le temps d’un épisode ou pour un rôle récurrent. Deux hommes tiennent le haut du pavé en tant qu’amants des personnages.
Kyle MacLachlan (qu’on retrouvera quelques années plus tard dans Desperate Housewives, encore un point commun entre les deux shows) campe Trey McDougal, un chirurgien écossais pendu aux jupes de sa vieille mère. Il épouse Charlotte, mais souffrant de problèmes d’érection puis de fertilité (rien ne lui est épargné), voit leur mariage partir à vau-l’eau. Il tiendra tout de même deux saisons (3 et 4), sans véritablement interagir avec les copines de sa femme.
L’autre grande guest-star se nomme Mikhaïl Barychnikov. Danseur du Bolchoï avant de demander l’asile politique lors d’une tournée au Canada, il incarne lors de l’ultime saison l’artiste amoureux de Carrie. Celui qui semble capable d’éclipser Mr Big embarquera même l’Américaine à Paris, mais il ne se révèlera finalement qu’une passade. Les scénaristes n’ont pas pu s’empêcher de faire un clin d’œil à sa carrière lors d’un épisode où il esquisse quelques pas de danse, dans un McDo, Amérique oblige!
D’autres célébrités feront des apparitions éclairs dans leur propre rôle (Lucy Liu, Heidi Klum, Carrie Fisher, Hugh Hefner, Matthew McConaughey) ou interprétant des personnages fictifs (David Duchovny, le premier petit ami de Carrie au lycée, Alanis Morissette en lesbienne ou Sarah Michelle Gellar en attachée de presse survoltée).
Ces choix reflètent les têtes à la mode à l’époque des tournages. Fort d’un succès (Buffy, Ally McBeal, X-Files…), un acteur ne pouvait qu’accepter un featuring dans la série tendance du moment.
Mais avec quinze ans de recul, les petits rôles s’avèrent nettement plus intéressants pour voir qui a réussi à percer à Hollywood. Et a priori, coucher avec Carrie Bradshaw, ça porte chance. Justin Theroux (qui joue à deux reprises des rôles différents), Matthew Vaughn, Timothy Olifant, John Slattery (Roger Sterling dans Mad Men) ou encore Bradley Cooper ont erré dans les draps de la New-Yorkaise avec succès. Comme quoi à Hollywood ou dans la Grosse Pomme, il faut coucher pour réussir!
Ursula Michel