Économie

Le Japon joue la carte old

Dans un pays qui compte plus de personnes âgées que d’enfants, le marché des produits et services destinés aux seniors est des plus lucratifs. Et commence à s’exporter en France.

Dans une maison de retraite, une pensionnaire tient dans ses bras le robot thérapeutique Paro, juillet 2011.  REUTERS/Kim
Dans une maison de retraite, une pensionnaire tient dans ses bras le robot thérapeutique Paro, juillet 2011. REUTERS/Kim

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En apparence, c’est un smartphone ordinaire. Il faut regarder de plus près ses grandes icônes et son affichage en gros caractères pour comprendre que le Raku-Raku, fabriqué par le japonais Fujitsu, et qui devrait être commercialisé en France au mois de juin, est un téléphone dédié aux personnes âgées.

Pour composer un numéro de téléphone ou lancer une application, il faut appuyer fort sur l’écran tactile, jusqu’à ce qu’une légère vibration vienne confirmer la saisie. L’appareil transforme la fréquence de la voix de l’interlocuteur pour la rendre plus intelligible, et peut aussi ralentir le débit de la conversation. Il est enfin doté d’un podomètre pour inciter les personnes âgées à rester en forme (et ainsi limiter les dépenses de santé).

Ce mobile, qui sera vendu en France sous le nom de Stylistic S01, a été lancé en août 2012 au Japon par l’opérateur NTT Docomo, partant du constat que les plus de 60 ans représentaient un quart de sa clientèle.

Le marché français a été choisi pour débuter l’exportation car un grand nombre de personnes âgées y utilisent déjà des smartphones, et le constructeur espère y écouler plusieurs milliers d’appareils dès la première année. Avec sa population vieillissante, l’Europe pourrait devenir un marché privilégié pour les fabricants nippons de produits destinés aux seniors, un marché déjà florissant au Japon.

Au bonheur des marques

En mai 2012, le fabricant de produits d’hygiène japonais Unicharm annonçait que ses ventes de couches pour adultes venaient de dépasser celles pour enfants. Un cap symbolique, mais guère surprenant: depuis quelques années, le marché des services et produits pour seniors et la «gérontechnologie», la technologie employée à améliorer le confort de vie des personnes âgées, y est en plein essor, porté par une démographie vieillissante. Alors que 24,7% de la population japonaise a plus de 65 ans aujourd’hui (contre 17,5% en France), cette proportion devrait atteindre 41% en 2050, selon les projections.

Depuis 2003, il y a plus de seniors que d’enfants au Japon. Même si l’âge de départ à la retraite a été repoussé de 60 ans à 65 ans en 2010, cette classe de la population, nombreuse, qui a du temps et un fort pouvoir d’achat, fait le bonheur des entrepreneurs.

Selon le gouvernement japonais, les foyers dont le chef de famille est âgé de 60 ans ou plus représentaient 40% de la consommation totale en 2011, contre 30% en 2000. Si l’on ajoute à cela une tendance à la dépense plus qu’à l’épargne, c’est un marché juteux, évalué à 100.000 milliards de yen par an (environ 760 milliards d’euros), dont un nombre d’entreprises croissant veut sa part.

Outre les couches, les produits conçus spécialement pour les seniors occupent de plus en plus d’espace dans les rayons des magasins et des supermarchés. Qu’il s’agisse d’articles de papeterie comme ces ciseaux pour personnes âgées, de produits pauvres en graisses et riches en vitamines ou de jeux vidéo pour faire travailler son cerveau (programme d’entraînement cérébral, sorti sur Nintendo DS en 2005, à l’efficacité contestée par certains scientifiques), ils sont certains d’être bien vendus.

Pour les vieux, mais sans le dire

Certains magasins ont même entrepris des transformations en profondeur pour attirer cette clientèle à prendre avec des pincettes. La chaîne de supermarchés japonais Aeon oriente ainsi tous ses efforts vers l’accueil du troisième âge, tout en communiquant peu sur ce fait.

«La plupart des clients âgés n’aiment pas être traités comme des “seniors”; les enseignes doivent faire attention de ne pas les froisser avec des produits qui leur sont adressés de manière trop évidente», explique l’auteur d’un rapport sur la «silver economy».

Allées plus larges, voiturettes adaptées, produits placés moins haut et étiquettes plus lisibles sont quelques-uns des changements visibles. Une réduction de 5% a également été mise en place pour tous les clients âgés de plus de 55 ans qui font leurs courses le 15 du mois, jour... du versement des pensions de retraite.

On soigne le moindre détail jusque dans les banques et les administrations, où les repose-cannes fixés aux guichets ont été généralisés ces dernières années.

Le point critique pour les personnes âgées, et pour qu’elles puissent aller jusqu’aux services que l’on crée pour elles, c’est la mobilité. La canne intelligente de Fujitsu, qui indique le chemin grâce à son GPS intégré, mesure le rythme cardiaque de son propriétaire et peut envoyer des alertes par e-mail en cas de chute de celui-ci. Plus massif, le Ropits, conçu par Hitachi, est une sorte de super fauteuil roulant équipé de GPS, caméras et laser pour détecter les obstacles. A la manière de Kitt dans K2000, il est capable de venir tout seul à la rencontre de son passager. Et on se rapproche encore un peu plus de la science-fiction avec HAL, un exosquelette à fixer sur les bras, les jambes et le torse pour aider à la marche et à porter des objets.

Ropits, la voiturette qui peut venir chercher son passager:

Loin des volumineux et quelque peu effrayants exosquelettes, les chercheurs planchent aussi sur des robots «mignons», capables de susciter l’empathie. Le Japon, amoureux de ses robots depuis des décennies, cherche logiquement à les utiliser pour faire face à la solitude, problème croissant de cette société vieillissante à la natalité en berne. Ces robots capables d’aider les personnes âgées dans les tâches quotidiennes ou de leur tenir compagnie prennent donc parfois des formes d’animaux en peluche, comme Paro, le robot-phoque thérapeutique créé par un chercheur japonais et déjà commercialisé en France, qui est utilisé dans certains services gériatriques.

Et parce que le nombre d’auxiliaires de vie sera toujours insuffisant du fait de la démographie, le gouvernement offre une aide financière aux entreprises qui développent des «robots infirmiers», utilisables en milieu hospitalier et dédiés à une seule tâche, par exemple aider le patient à se lever.

Le robot Riba II qui aide les patients à se lever:

Des services en ligne ont aussi vu le jour, tel le Docomo-Healthcare, un arsenal de capteurs qui mesurent tout, de l’exercice quotidien au poids en passant par la qualité du sommeil et la température corporelle. Ces capteurs sont reliés par le Cloud à un centre de santé à distance, capable de réagir si les données sont inquiétantes. En envoyant sur place un robot?

Mathias Cena

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