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Khaled Mechaal, chef du Hamas: «Nous ne sommes pas des tueurs fanatiques»

Dans une interview exclusive, le chef du Hamas Khaled Mechaal explique comment Assad aurait dû écouter ses conseils et pourquoi il n'est ni «assoiffé de sang» ni «contre» les juifs.

Khaled Mechaal à l'occasion d'une visite dans la bande de Gaza, en décembre 2012. REUTERS/Suhaib Salem
Khaled Mechaal à l'occasion d'une visite dans la bande de Gaza, en décembre 2012. REUTERS/Suhaib Salem

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DOHA, Qatar

En janvier 2012, le Hamas abandonne son allié, Bachar el-Assad, se coupe du régime syrien et quitte son QG de Damas. La Syrie riposte alors par une offensive contre le leader du Hamas, Khaled Mechaal, qualifié de «traître ingrat» dans les médias officiels et l'Iran réduit les financements (estimés entre 20 et 30 millions de dollars par an) qu'il allouait jusqu'ici au mouvement. Depuis, Mechaal fait valoir qu'il n'est «pas contre les Israéliens sous prétexte qu'ils ont une foi différente», en insistant sur les valeurs de démocratie, de diversité et de droits de l'Homme. Qu'est-il donc arrivé au chef du Hamas?

Dans une interview exclusive accordée à Foreign Policy, son premier face à face depuis sa réélection le mois dernier, Mechaal explique pourquoi il s'est éloigné de ses mécènes. «[Le régime d'Assad] a choisi la mauvaise option – leur vision du conflit est fausse. Et ils se sont trompés non seulement sur le conflit interne à la Syrie, mais sur le Printemps Arabe dans son ensemble», déclare-t-il.

«Un peuple aspirant à la démocratie et à la liberté aurait dû se voir proposer des arrangements politiques pour répondre à ses aspirations légitimes. Ainsi, le pouvoir de la Syrie et les liens entre le peuple et ses dirigeants en seraient sortis renforcés, ce qui aurait été dans les meilleurs intérêts du pays.»

Pour remplacer ses alliances avec la Syrie et l'Iran, Mechaal s'est mis à tisser de solides liens avec des puissances émergentes, comme la Turquie et le Qatar –deux pays qui, bien loin d'être des parias internationaux, peuvent se targuer d'attaches fortes avec les Etats-Unis et l'Europe. En octobre, la visite de l'émir du Qatar à Gaza a marqué la première charge d'envergure contre les efforts internationaux visant à isoler le gouvernement du Hamas, et le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, prévoit lui aussi de se rendre bientôt dans la Bande de Gaza.

Selon Mechaal, le Hamas «se sentait responsable et se devait d'offrir tous les conseils possibles» quand les manifestations contre le régime syrien ont commencé, en mars 2011, avec comme objectif la recherche d'une solution rapide à la crise. Le mois dernier, le journaliste Nicholas Blanford, citant une source occidentale anonyme, expliquait que le Hamas avait présenté un programme en sept points à Assad pour désamorcer la crise, un plan comprenant des élections ouvertes et, au final, sa démission. Mais selon les dires de Mechaal, comme de la source occidentale, Assad a préféré ignorer les recommandations du Hamas.

«Après tous les efforts que nous avions déployés auprès du gouvernement syrien, nous avons eu le sentiment que personne n'écoutait», affirme Mechaal.

«Après l'évolution sanglante du Printemps Syrien, nous savions que les dirigeants syriens voulaient se servir du Hamas [pour renforcer leur légitimité]. Nous n'avions pas d'autre choix que de respecter nos croyances, nos principes et nos valeurs – et après dix mois, le seul choix qu'il nous restait, c'était de partir.»

Selon Mechaal, en essayant de résoudre le conflit par l'usage de la force, et non par une entente politique, Assad a ouvert la voie à la violence qui oppresse aujourd'hui le pays. «[Une solution politique] aurait épargné à la Syrie une bonne partie des malheurs, des morts, des destructions et des carnages auxquels nous assistons aujourd'hui», déclare-t-il.

L'arène israélo-palestinienne

En détaillant son programme pour les quatre ans de son mandat à la tête du Hamas, Mechaal insiste sur une question qui surpasse toutes les autres: le besoin de mettre fin à ce qu'il nomme «l’occupation» de la terre du peuple palestinien, comme aux «atrocités» qu'Israël commet à son endroit.

«Les Palestiniens souffrent des implantations, ils souffrent dans les camps de détention et dans les prisons de l'occupation», déclare Mechaal.

«[Notre objectif est] de stopper les souffrances de notre peuple à Jérusalem qu'engendre la judéisation de la ville (... ) Nous voulons une paix véritable qui permettra à notre peuple de reconquérir ses droits.»

Le Hamas est traditionnellement opposé à la solution à deux États –une position que le mouvement a réitéré en début d'année quand Mechaal a dénoncé les récentes tentatives du Secrétaire d’État américain visant à relancer le processus de paix, en déclarant qu'il [n'avait] «pas de vision ou de projet sérieux» et que ses efforts étaient voués à l’échec. Il a aussi rejeté l'avis favorable donné par la Ligue Arabe à un échange de terres entre Israël et les territoires palestiniens, dans le cadre d'un accord de paix.

Dans son interview avec FP, Mechaal a encore une fois argué que la responsabilité de la non-résolution du conflit israélo-palestinien n'était pas à chercher du côté des Palestiniens. «Israël est le seul responsable, Israël occupe la terre (...) ils commettent le pire des meurtres», affirme-t-il.

«La communauté internationale devrait se pencher sur le vrai problème –pas demander au Hamas, aux Palestiniens ou aux Arabes leur avis sur tel ou tel point de détail. Les Palestiniens et les Arabes ont fait preuve de beaucoup de flexibilité, une flexibilité maximale pour résoudre ce conflit.»

L'une des premières priorités de Mechaal est aussi de réconcilier le Hamas et le Fatah, qui domine la politique palestinienne en Cisjordanie. Les relations entre les deux factions palestiniennes ont été rompues depuis la prise armée de la Bande de Gaza par le Hamas en 2007, et Mechaal accuse Kerry d'avoir fait valoir son «veto» américain sur la réconciliation durant sa récente visite dans la région. Selon Mechaal, son but serait de relancer les négociations israélo-palestiniennes, aujourd'hui au point mort. «L'Autorité Palestinienne a été extorquée financièrement –des pressions financières ont été exercées [sur elle] afin d'entraver la réconciliation», affirme-t-il.

Mais Mechaal fait aussi savoir que les différences entre le Hamas et le Fatah sur les moyens légitimes de s'opposer à Israël s'amenuisent. Le chef du Hamas explique que la résistance armée demeure partie intégrante du mouvement, mais qu'il soutient aussi les méthodes non-violentes encouragées par le Président Mahmoud Abbas.

«La résistance [militaire] du Hamas est un moyen en vue d'une fin, ce n'est pas une fin en soi, explique Mechaal. La résistance populaire est une autre option, comme le sont la diplomatie, une présence sur la scène médiatique et des tentatives de faire payer à l'occupation le prix de ses crimes sur la scène juridique.»

En principe, le Hamas serait ouvert à des négociations avec Israël, explique Mechaal, mais aujourd'hui, la réalité sur le terrain rend complètement aberrants de tels pourparlers. «La condition la plus importante du succès des négociations est l'équilibre des puissances, car sans [cela] aucune paix n'est possible», affirme-t-il. Essayer de s'engager sur le terrain diplomatique avec les Israéliens sans aucun moyen de pression adéquat, poursuit-il, ferait que les négociations reviendraient à «mendier encore et toujours les droits de notre peuple».

Si les deux ans qui viennent de s'écouler ont mis à l'épreuve le sens politique de Mechaal, les défis auxquels il doit faire face aujourd'hui semblent encore plus ardus. Sortir le Hamas de Damas n'en était que la première étape: Mechaal doit encore venir à bout d'un conflit régional qui s'intensifie autour de la Syrie, de dirigeants palestiniens qui s'opposent à ses projets et des gouvernements israélien et américain qui préfèrent voir le Hamas détruit plutôt que de négocier avec lui. Mais avec de nouveaux alliés et une assise très solide sur Gaza, Mechaal veut visiblement présenter le Hamas comme un mouvement légitime sur la scène internationale – un interlocuteur que les autres représentants du monde arabe ne peuvent ignorer, même s'ils le voulaient plus que tout. 

«Nous ne sommes pas des tueurs fanatiques. Nous ne sommes pas des gens assoiffés de sang, conclut Mechaal. Nous ne sommes pas contre les Israéliens sous prétexte qu'ils ont une foi différente, ou qu'ils sont d'une race différente. Notre problème avec eux, c'est qu'ils occupent notre terre. Quand l'occupation sera terminée, nous œuvrerons en fonction de nos valeurs et de notre éthique (...) Et ces valeurs sont la démocratie, la justice, les droits de l'Homme et le respect de la diversité de notre monde.»

David Kenner

Traduit par Peggy Sastre

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