Économie

La crise ne vient pas d'ailleurs, elle est européenne

Contrairement à ce que pense l'opinion française, elle est chez nous en Europe, seule zone du monde à connaître encore la récession alors que tous les autres pays retrouvent la croissance.

<a href="http://www.flickr.com/photos/uhlhorn/8139984486/">UFO</a> / uhlhorn via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
UFO / uhlhorn via FlickrCC License by

Temps de lecture: 3 minutes

Les réformes sont freinées en France par deux convictions intimes des Français. Un, ils pensent que la crise vient d'ailleurs: du capitalisme libéral mondialisé, de la Chine, de «la finance», de l'Allemagne et autres boucs émissaires. Et, deux, qu'elle détruit le social. Qu'y a-t-il de vrai?

Première croyance: la crise vient d'ailleurs. Selon les dernières prévisions du FMI, la croissance dans les pays émergents et les pays en développement devrait atteindre 5,3% en 2013 et 5,7% en 2014. Aux Etats-Unis, elle serait de 1,9% en 2013 et de 3% en 2014. En revanche, l'Europe est en récession cette année (-0,3%) et la reprise ne sera qu'atone (+1,1%) en 2014. Ces chiffres sont accusatoires: la crise n'est plus qu'européenne.

De 1960 à 2000, les Etats-Unis, leader du monde riche, ont crû en moyenne de 2,5% l'an. Vingt pays pauvres ont fait mieux, 4% l'an, en somme 1,5% plus vite, selon des calculs de l'économiste Arvind Subramanian, du Peterson Institute.

Ces pays sont connus: Japon, Corée, Chine, Inde... Puis, entre 2000 et 2010, ce sont quatre-vingts pays, cette fois de toute l'Amérique latine et d'Afrique, qui dépassent la vitesse américaine de non plus 1,5% mais 3,25% l'an.

Rattrapage

Autrement dit, quatre fois plus de pays vont deux fois plus vite que leurs prédécesseurs! Si le rythme perdure, l'Afrique subsaharienne devrait dans cinquante ans atteindre le niveau actuel du Chili, pays appartenant au club de l'OCDE.

La crise a-t-elle cassé ce mécanisme de rattrapage accéléré? De 2008 à 2012, le rythme de croissance du Sud a ralenti de 4,5% à 3%. Mais le gap avec les pays riches s'est grosso modo maintenu, comme le montrent les chiffres de 2013. La croissance des émergents a été affectée conjoncturellement par la crise des subprimes et la crise de l'Eurozone. Mais pas structurellement. Ces pays ne sont nullement en «crise».

Ce phénomène de rattrapage a un autre nom: la réduction rapide des inégalités «entre» les pays. Cette convergence prouve que, non, la planète ne devient pas de façon unidirectionnelle plus inégalitaire. L'examen des inégalités «à l'intérieur» des pays est, lui, plus complexe.

Prenons d'abord la pauvreté. L'Objectif du millénaire pour le développement qui visait à réduire de moitié la part de la population mondiale vivant dans l'extrême pauvreté d'ici à 2015 a été atteint avec une avance de cinq ans. Il reste, certes, encore 1,3 milliard de personnes qui vivent avec moins de 1,25 dollar par jour et plus de 2 milliards qui vivent avec moins de 2 dollars. Mais l'éradication, le nouvel objectif de l'ONU, est possible grâce au «rattrapage accéléré» des pays du Sud.

Moins de pauvres, plus de riches

Cette victoire contre la pauvreté ne se traduit pas sur les inégalités. S'il y a moins de pauvres, il y a aussi plus de riches. Dans les pays émergents, une classe moyenne et une élite de milliardaires sont nées du boom. En conséquence, de la Chine au Brésil, les revenus se sont écartés et les indices d'inégalités internes à chaque pays ont fortement augmenté.

Dans les pays développés, que s'est-il passé? Avant la crise, on le sait, l'évolution des revenus avait défavorisé la classe moyenne et privilégié des super-riches. Les impôts ont corrigé cette tendance, avec succès dans certains pays comme la France.

Mais ensuite, quel a été l'effet de la crise? Une étude de l'OCDE portant sur 2007-2010 est très instructive. On y lit que l'effet sur les ménages a fait mal: les inégalités de revenus privés (avant les prestations sociales) ont crû dans pratiquement tous les pays. L'indice Gini qui mesure les inégalités a gagné 1,4%.

Mais les transferts sociaux sont parvenus à entièrement corriger cette dégradation. Les aides reçues par les ménages ont été d'autant plus élevées que leur pays était en difficulté. En clair, l'Etat social n'est pas mort: il a fonctionné. En Finlande ou en Norvège, le gain total a même été positif avec au bout du compte une réduction des inégalités. En revanche, en Pologne ou en République tchèque, c'est le contraire, les aides de l'Etat sont si mal distribuées, qu'elles ont encore accru les inégalités au lieu de les réduire.

Deux leçons

L'examen de la pauvreté confirme le tableau: les transferts ont limité les méfaits de la crise sur la pauvreté. Celle-ci a crû un peu en Italie et en Espagne mais a reculé au Portugal et au Royaume-Uni. Le détail mérite d'être regardé: la pauvreté a augmenté chez les enfants, les jeunes et les adultes mais elle a épargné les seniors. Voilà qui en dit long sur le pouvoir des cheveux gris dans nos démocraties.

Ces résultats, souligne l'OCDE, s'arrêtent à 2010. La poursuite de la crise en Europe et les programmes d'ajustement budgétaire vont conjointement mettre à rude épreuve les systèmes d'Etat providence. Mais tous ces chiffres donnent deux leçons claires.

Premièrement, la crise ne frappe plus le monde entier mais l'Europe. Il faut cesser de voir dans «la crise» une calamité venue d'en haut et chercher d'abord chez soi, les bonnes politiques.

Les dirigeants européens sont les responsables de la persistance de la crise en Europe; ni individuellement ni ensemble, ils n'ont pris conscience de l'ampleur des problèmes. Deuxièmement: l'économie mondialisée n'impose pas un recul du social. La lutte n'est certes pas facile mais son issue dépend, elle aussi, des choix politiques dans chaque pays. La crise comme ses ravages dépendent de nous. Il n'y a pas de fatalité, mais des bons et des mauvais gouvernements.

Eric Le Boucher

Article également paru dans Les Echos

cover
-
/
cover

Liste de lecture