Santé

Deux mamans, un papa

Les embryons à trois parents méritent qu'on s'y intéresse, techniquement comme éthiquement.

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Les députés britanniques ont voté, mardi 3 février 2015, en faveur de la loi autorisant la technique de fécondation in vitro avec remplacement mitochondrial. Nous republions à cette occasion un article de mai 2013 sur les «bébés à trois parents».

Personne ne sait combien ils sont, mais ils existent. On les appelle parfois les «bébés à trois parents», une formule assez sinistre. Pourtant, si vous en croisez un, impossible de faire la différence avec n'importe quel autre enfant.

Ils doivent leur existence à une technique de procréation assistée, le «transfert d'ooplasme». Cette technique demande de prélever un ovule chez une femme stérile pour ensuite lui injecter le cytoplasme gélatineux d'un second ovocyte, provenant d'une autre femme. Pour une raison quelconque, le procédé permet de restaurer la fertilité, sans doute parce qu'on transfère aussi des mitochondries saines. Et vu que ces minuscules usines cellulaires contiennent aussi de l'ADN, les enfants conçus de cette façon héritent des gènes de leur mère, de leur père et de la donneuse –d'où les «trois parents». 

Cette technique avait fait les gros titres voici une dizaine d'années, quand l'agence de santé américaine, la FDA, avait décidé de l'interdire. Et elle va sans doute bientôt refaire parler d'elle, maintenant que le monde se demande quoi faire du transfert mitochondrial –une forme de FIV permettant d'éviter certaines maladies génétiques en dotant délibérément les embryons de mitochondries issues de donneuses.

Des travaux sur les animaux et sur des embryons humains à un stade très précoce laissent entendre que le transfert mitochondrial est efficient et sûr. Et les scientifiques concernés estiment qu'il sera bientôt prêt pour des essais cliniques. Ses avantages ne font aucun doute –environ 1 enfant sur 7.000 naît avec une maladie mitochondriale.

Limiter les manipulations génétiques à une seule génération

Mais les avancées techniques ne disent pas toute l'histoire. Le transfert mitochondrial soulève aussi des problèmes éthiques. Parce qu'il s'agit d'une procédure d'ingénierie génétique agissant sur la «lignée germinale» et qu'elle modifie non seulement l'ADN de l'enfant traité, mais celui de toutes les générations ultérieures, ses risques sont généralement considérés comme inacceptables. C'est pour cette raison que nous n'éliminons pas la mucoviscidose par génie génétique, même s'il est techniquement possible de le faire.

Mais l'ingénierie mitochondriale est quelque peu différente. Le génome mitochondrial est minuscule, ce qui fait que les changements induits sont minimes. Et l'opinion publique semble parfaitement le comprendre: lors d'une récente consultation au Royaume-Uni, une grande partie des individus interrogés considéraient que ses bénéfices supplantaient les risques de modification de la lignée germinale.

Mais quoi qu'il en soit, le transfert mitochondrial n'implique pas forcément une ingénierie des cellules germinales. Les mitochondries ne se transmettent que sur la lignée maternelle, ce qui fait que les filles sont les seules à pouvoir léguer à leurs enfants les mitochondries issues des donneuses. Il est donc possible de limiter les manipulations génétiques à une seule génération, en ne permettant le transfert mitochondrial que sur des embryons masculins.

La peur des «trois parents» est excessive

Evidemment, la sélection du sexe de l'enfant à des fins médicales soulève aussi ses propres questionnements éthiques, mais ils sont loin d'être substantiels. Plusieurs pays acceptent d'ores et déjà ce genre de procédure quand les couples ont de forts risques de transmettre une maladie génétique à leurs fils.

Et dans le cadre des maladies mitochondriales, elle a déjà été utilisée dans au moins un cas. L'an dernier, une Américaine porteuse saine d'une mutation –elle n'en souffrait pas, mais pouvait quand même la transmettre à ses enfants– a pu, grâce au diagnostic préimplantatoire, sélectionner un embryon porteur d'un faible pourcentage de mitochondries défectueuses. Et l'embryon choisi était masculin. 

Quid alors de la peur des «trois parents»? Sa pertinence est loin d'être évidente. Les mitochondries contiennent des gènes, mais ils ne contribuent aucunement aux traits qui font notre humanité –la personnalité, l'intelligence, l'apparence, etc. Une donneuse n'aurait pas plus le droit de revendiquer la maternité de l'enfant qu'une personne qui lui aurait donné son sang. Dans tous les cas, le précédent créé par le transfert d'ooplasme laisse entendre qu'elle n'a même pas le moindre sens dans la pratique.

Au final, le transfert mitochondrial ne réussira peut-être pas à franchir la barrière des essais cliniques. Mais les préoccupations éthiques ne doivent en aucun cas être un frein à l'expérimentation. Les gains potentiels en matière de santé humaine sont bien trop conséquents.

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